Intervention de Général Pierre de Villiers

Réunion du 8 février 2017 à 17h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées :

S'agissant de Barkhane, le modèle à 2 % tient compte de contrats opérationnels à la hauteur des engagements actuels, dont nous ne pensons pas qu'ils baisseront dans les cinq années à venir.

Il est clair que l'action militaire actuellement menée dans le cadre de l'opération Barkhane est efficace. Elle empêche les terroristes de mener une quelconque action majeure et coordonnée. Par ailleurs, vous le savez, c'est l'emploi de la force, dans le cadre de l'opération Serval, dont Barkhane est le prolongement, qui a permis la tenue d'élections libres au Mali. Mais, les problèmes d'ordre tout à la fois géographique, historique, culturel, ethnique, économique et sécuritaire auxquels ce pays est confronté ne se résoudront pas en quelques années. Nous avons parfois le sentiment, dans nos sociétés, que la supériorité technologique rend tout possible et permet de s'affranchir du temps. Or, la réalité est que l'action militaire demande toujours du temps et que l'emploi de la force n'a de sens que s'il s'intègre dans une approche globale qui s'inscrit, elle aussi, dans le temps long. C'est la réalité à laquelle nous sommes aujourd'hui confrontés au Mali.

Si, sur le plan sécuritaire, nous obtenons des résultats, le problème reste, il faut bien le reconnaître, l'accord de paix et de réconciliation (APR) signé à Alger en 2015 n'est que très partiellement appliqué : pas de vraies patrouilles communes, pas de désarmement, pas d'autorité intérimaire au nord de la boucle du Niger. Je note que même sur la boucle du Niger la situation est difficile.

L'avenir du Mali, pays dont la situation est la plus critique, et, plus largement, des pays du G5 Sahel, passe d'abord par la politique avec un grand « P », la sécurité n'étant qu'un aspect parmi d'autres. Certes, tout le monde concentre son attention sur la sécurité dans la mesure où elle conditionne le développement, mais sans développement, elle ne sert à rien. C'est exactement ce qui se passe au Mali. C'est donc bien en conjuguant les actions de sécurisation – ce que nous venons encore de faire dans le Nord du Mali dans le cadre de l'opération Septentrion – et la mise en oeuvre de l'APR que la donne changera.

Combien de temps encore va durer l'opération Barkhane ? Inversons la question : si nous y mettons un terme, que va-t-il se passer ? Les terroristes vont alors immédiatement reprendre position dans le Nord-Mali et descendre vers la boucle du Niger. Aussi, très vite, le phénomène contre lequel nous avons lutté dans le cadre de l'opération Serval se reproduira-t-il. Nous ne pouvons donc pas partir pour le moment. Nous le pourrons quand les forces armées et de sécurité du Mali (FAMa) seront capables d'assurer elles-mêmes – avec les pays voisins – leur propre sécurité. Vous l'avez dit : l'avenir, c'est bien le G5 Sahel.

J'ai adhéré au volet militaire du G5 Sahel dès ma prise de fonctions, le 15 février 2014, car j'ai tout de suite perçu que c'était une solution durable. Ce dispositif fonctionne très bien et donne des résultats. Je vous ai parlé de 120 opérations – transfrontalières pour l'essentiel. Nous en avons mené une récemment avec le Burkina Faso, le Mali et le Niger. C'est l'avenir ; ces trois pays, par exemple, sont désormais capables de constituer un état-major conjoint, de planifier et de conduire une opération. Tout cela ne va certes pas de soi : il faut que ces armées disposent des effectifs, des équipements, de la formation nécessaires et qu'elles sachent travailler ensemble, ce qui demande, là encore, du temps. Nous ne pourrons probablement pas totalement nous désengager de l'opération Barkhane à l'horizon du prochain quinquennat, même s'il faudra procéder à des ajustements en fonction de l'entrée en vigueur ou non de l'accord de paix et de réconciliation. La réalisation des efforts de développement politique et économique est en effet le point clef. C'est ce qui a été rappelé lors du sommet Afrique-France à Bamako. Toutes les parties ont manifesté leur accord pour avancer en ce sens.

Plus généralement, il faut jouer sur tous les leviers de paix : la MINUSMA, EUTM Mali. Il faut également compter sur l'arrivée des pays européens décidés à s'engager : réjouissons-nous ainsi du concours des Allemands – leur armée dispose de grandes capacités et les financements que peut apporter l'Europe sont de nature à renforcer la confiance et à contribuer au bien-être de la population. Pour résumer : afin d'éviter que les terroristes ne reprennent l'ascendant, ajoutons à ces leviers les trois points que j'ai évoqués précédemment : application de l'APR, action du G5 Sahel et déploiement des FAMa.

Je sais que l'opération Barkhane est lourde, mais elle est supportable avec un budget de la défense représentant 2 % du PIB. Tous les flux – maintien en condition opérationnelle, entretien programmé du matériel, munitions… – qui alimentent les OPEX sont pris en compte dans le schéma budgétaire que nous préconisons.

J'en viens à la cyberdéfense et au renseignement. En matière de cyber, je considère que nous avons pris le bon train en 2008. Nous sommes dans le bon wagon, qu'il s'agisse des personnels – même s'il est difficile de recruter et de fidéliser des hackers de talent, qu'il faut bien sûr payer –, mais aussi de la technologie puisque nous sommes capables non seulement de nous protéger, mais aussi de riposter.

Quand il a inauguré le centre d'excellence cyber à Bruz, le ministre a fait le point sur la situation de manière exhaustive. Nous avons trois armées et ce serait une erreur de vouloir créer une quatrième armée du soutien, une quatrième armée des forces spéciales, une quatrième armée de la cyberdéfense… Une armée, c'est une culture, une histoire, un milieu d'engagement. Certes, le cyber est un milieu, mais c'est un milieu totalement transverse : il est présent partout, dans chacun des trois milieux classiques et au-delà. La cyberdéfense concerne donc les trois armées et ce sont elles qui fournissent d'ores et déjà le personnel qui agit dans l'espace numérique. Nous ne serons efficaces dans cet espace qu'à condition de mener des actions collectives de manière transverse.

À cet égard, je tiens à souligner l'excellente coopération entre les différents acteurs : l'industrie, la DGA, les armées, le SGDSN, l'état-major des armées, les services de renseignement. Nous sommes unis et nous avons trouvé un mode de gouvernance qui fonctionne, si bien que nos réalisations, en matière de cyberdéfense, sont remarquables et à la hauteur des guerres de perception auxquelles nous sommes confrontés dans un contexte de guerre globale.

Bien sûr qu'existe un lien entre le cyber et le renseignement et bien sûr que le directeur du renseignement militaire, le général de corps d'armée Gomart, est étroitement associé à l'activité du vice-amiral Coustillière.

Objectivement, je peux vous témoigner que tout se passe remarquablement bien. Quant au centre d'excellence de Bruz, il vaut le détour. C'est exceptionnel. Je vous conseille d'organiser une visite de la commission sur place dans les mois qui viennent afin que touchiez du doigt toutes nos capacités – capacités dont nous pouvons être fiers.

Dans la perspective de porter le budget de la défense à 2 % du PIB, une augmentation de 600 personnes est prévue pour la période 2014-2019 au titre de la cyberdéfense. Sans cet accroissement, nous décrocherions. En cela, il n'est pas raisonnable de considérer l'effort de défense sous le seul prisme du déficit budgétaire. Je constate que le monde est de plus en plus dangereux et que toutes les données changent en même temps et dans le mauvais sens. Comment, dans ces conditions, ne pas reconnaître la nécessité d'accroître l'effort de défense ?

Vaincre dans la guerre moderne demande une subtile alchimie entre les hommes, qui font la décision dans la conduite des opérations, et la technologie qui confère la supériorité informationnelle ou physique. Prenons l'exemple de l'opération Barkhane que nous pilotons. Quand parvient le renseignement – et il faut avoir les moyens de l'obtenir – selon lequel un groupe est susceptible de mener une action terroriste, il faut le vérifier à l'aide de moyens techniques (cyber, satellites, avions ou drones Reaper). Ensuite, il faut suivre vingt-quatre heures sur vingt-quatre des adversaires qui sont souvent très mobiles et très discrets. D'où l'importance d'acquérir de nouveaux drones – deux ont d'ores et déjà été livrés à Noël. Mais, comme pour un avion ou un hélicoptère, si le pilote d'un Reaper manque d'entraînement, le drone « reste au garage ». C'est la raison pour laquelle nous devons faire un effort de formation de nouveaux pilotes. J'en reviens à mon exemple : une fois que, grâce à l'image fournie par le drone, nous avons la certitude que la cible est hostile et une fois que nous savons où elle se trouve, il convient de préparer l'attaque avec les moyens ad hoc. Il faut bien comprendre que cette attaque nécessite des hommes qui sont toujours ceux qui, à la fin, se porteront au contact du danger.

Pour obtenir la victoire, il faut des hommes formés et entraînés, une doctrine d'emploi et disposer de toute la palette capacitaire au bon niveau technologique. C'est pour cela qu'il faut porter le budget de la défense à 2 % du PIB. À défaut, nous resterons dépendants des États-Unis. Les Américains nous aident au Sahel – c'est après tout le rôle des alliés – mais il est tout de même préférable que la France possède elle-même tous les éléments nécessaires à la conduite de la guerre moderne.

Je prendrai un autre exemple montrant la nécessité d'avoir des hommes formés et entraînés : l'attaque du Carrousel du Louvre qui a eu lieu vendredi dernier. Lundi, j'étais au 152e régiment d'infanterie à Colmar – chaque semaine, en effet, je suis sur le terrain : demain je vais visiter un dépôt de munitions à Avord ; autrement dit je vais là où on ne voit pas souvent un CEMA…

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