Intervention de Yves Durand

Réunion du 22 février 2017 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Durand, président du comité de suivi de la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République :

Monsieur le président, mes chers collègues, je vais vous présenter le deuxième rapport du comité de suivi de la loi pour la refondation de l'école au nom de l'ensemble des membres du comité, qui réunit quatre députés, quatre sénateurs et quatre personnalités qualifiées, dont M. le recteur Bouvier et Mme Virginie Gohin qui a assuré le secrétariat général. Si j'insiste sur ce point, c'est pour souligner que nous avons travaillé ensemble et accepté ensemble les termes du rapport et les recommandations que je vais vous présenter.

Je ne reviens pas sur les dispositifs essentiels de la loi, mais je voudrais préciser la façon dont nous avons travaillé. Nous avons souhaité, pour ce deuxième rapport, reprendre les mêmes critères d'évaluation et de suivi que pour le premier rapport, qui portait sur l'année 2015. Je les rappelle rapidement.

Pour suivre l'application de la loi, nous avons sélectionné trois groupes de critères : la réglementation, l'appropriation des enjeux et de la cohérence de la loi par ses usagers et la conduite du changement, qui recouvre la question du pilotage de l'application de la réforme.

Les quatre grands chantiers de la loi auxquels nous avons appliqué ces trois groupes de critères sont la priorité au primaire, la réforme de la formation des enseignants, les nouvelles instances, c'est-à-dire le Conseil supérieur des programmes (CSP) et le Conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESCO), et enfin le service public du numérique éducatif.

D'une manière générale, nous constatons d'abord une mise en oeuvre « en bloc » de la réforme. Il y avait en effet deux possibilités pour appliquer la loi de refondation de l'école. La première consistait à appliquer la loi par « petits bouts », éventuellement par degré, et donc à l'étaler dans le temps. La deuxième possibilité consistait à l'appliquer « en bloc », c'est-à-dire à réformer en même temps tout le système éducatif afin que l'ensemble des enseignants, de la maternelle jusqu'à la fin du collège, soient effectivement concernés par la réforme.

Le deuxième constat que nous faisons, c'est la conjugaison du temps long et du temps court dans l'action publique. On a tendance à dire que l'école a besoin du temps long. Dans le même temps, on se rend compte, quand on va sur le terrain, qu'il y a urgence à réformer l'école. Il y a donc une sorte de choc entre ce temps long nécessité par l'évolution et parfois même l'évolution culturelle au sein de l'école, et la nécessité d'aller vite parce qu'il y a urgence et que le temps politique est plus court que le temps long de l'école. Je ne reviendrai pas sur le quinquennat, mais le fait que nous ayons des échéances politiques relativement rapides accentue ce choc entre temps court et temps long, qui rend parfois difficile l'appropriation et l'évaluation des réformes. Cela joue pour l'école comme pour le reste.

Je constate donc que la loi pour la refondation de l'école s'applique et que les acteurs, dans tous les domaines de l'action publique, se la sont appropriée. Les acteurs se sont en effet mobilisés à tous les échelons pour atteindre les objectifs assignés par la loi, c'est-à-dire la réussite de tous les élèves et la maîtrise du socle commun de connaissances, de compétences et de culture.

En ce qui concerne la priorité au primaire, elle a nettement progressé par rapport à l'année précédente, et on constate une véritable appropriation des dispositifs existants. S'agissant, par exemple, du dispositif « Plus de maîtres que de classes », les acteurs, en particulier dans les écoles, ont parfaitement perçu le sens même de ce dispositif dans le cadre général de la refondation de l'école. Et les moyens promis seront effectivement affectés fin 2017.

J'en viens à la mise en oeuvre des programmes et des dispositifs nouveaux. La question des programmes a parfois suscité des interrogations. Leur application en bloc a pu sembler lourde aux enseignants qui ont dû appliquer tous les nouveaux programmes d'une manière globale. Mais cette application en bloc a été accompagnée par des ressources nationales qui ont été extrêmement efficaces.

Les acteurs attendent dès lors désormais, par rapport à la situation actuelle, un portage institutionnel revitalisé en faveur d'une réforme globale, la poursuite de la formation des enseignants, sans oublier la nouvelle évaluation, qui est au coeur des préoccupations des enseignants.

Après avoir fait ce constat, nous avons souhaité émettre un certain nombre de recommandations de façon à poursuivre et amplifier la refondation de l'école.

En ce qui concerne le primaire, nous préconisons de poursuivre l'effort de mise en cohérence et de continuité éducative, de s'appuyer davantage sur les sciences cognitives, de soutenir la réflexion sur la progression au long de chaque cycle, de clarifier l'offre des ressources qui sont mises à la disposition des enseignants et de former les enseignants en partant du point de vue des élèves et en tenant compte de la diversité de ces derniers.

Après la priorité au primaire, j'en viens à notre deuxième chantier : la réforme de la formation des enseignants au sein des nouvelles ESPE.

Le rapport d'information de nos collègues Frédéric Reiss et Michel Ménard sur la formation des enseignants nous a été très utile et nous y avons trouvé certains points de convergence.

D'abord, la réforme de la formation a relancé l'attractivité du métier d'enseignant. Les étudiants qui sont en master « Métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation » (MEEF) réussissent beaucoup mieux que les autres les concours. C'est un point intéressant, qui montre qu'il y a une véritable cohérence dans l'appropriation du métier d'enseignant.

La réforme de la formation tend aussi à encourager l'identité territoriale et partenariale de l'ESPE. L'ESPE fait partie d'un territoire et ses partenaires sont spécifiques à ce territoire.

L'objectif est également de consolider la formation par alternance. Nous n'avons pas réussi à combler la fracture entre la théorie et la pratique. Il existe encore aujourd'hui un enseignement théorique, d'une part, et un enseignement pratique, d'autre part, dont la liaison n'est pas évidente pour les stagiaires. Les directeurs des ESPE ont une très forte implication dans ce domaine, mais il y a encore une forte marge de progression.

Il faut également opérationnaliser le budget de projet – dont je suis l'auteur, ce dont je ne me félicite pas – qui figure dans la loi et qui reste encore trop souvent – mes collègues maires vont comprendre à quoi je fais allusion – un compte administratif, c'est-à-dire un état des lieux, non un véritable projet de budget qui se projette dans l'avenir et qui prévoit les moyens de l'ESPE en la matière pour l'année à venir.

Enfin, il convient de professionnaliser le contenu des concours. Ce n'est pas tant la place des concours qui pose problème aujourd'hui que leur contenu, qui doit être de plus en plus professionnalisant. Au fond, sur quelle compétence recrute-t-on les enseignants ? Le rapport du 29 novembre 2016 du Comité de suivi de la réforme de la formation des enseignants présidé par le recteur Daniel Filâtre a ainsi bien posé la question : doit-on valider deux fois des savoirs disciplinaires ? C'est la question que l'on doit poser aujourd'hui si l'on veut progresser dans la professionnalisation de la formation, telle qu'elle est inscrite dans la loi.

Toujours en ce qui concerne la formation, nous préconisons de consolider les engagements réciproques de l'employeur – l'Éducation nationale – et du formateur – l'université. L'université a la charge de la formation, et l'employeur, c'est-à-dire le ministère de l'Éducation nationale, doit préciser ses attentes. C'est ce que vous avez dit dans le rapport d'information sur la formation des enseignants que j'évoquais, mes chers collègues : le cahier des charges doit être plus strict en ce qui concerne les demandes faites au formateur.

Pour répondre à une question du président Patrick Bloche, il convient d'étaler le segment de la formation de la licence jusqu'aux deux années de titularisation, les T2. Autrement dit, il faut augmenter le temps de formation, et non le concentrer comme aujourd'hui sur les seules deux années de master. Il faut poursuivre la professionnalisation du concours et favoriser, dès l'ESPE, le rapprochement entre le premier et le second degré pour créer une véritable culture de l'enseignement. Cela figure aussi dans la loi, mais la mise en oeuvre est difficile parce qu'il y a deux cultures différentes et deux statuts différents. Nous y reviendrons quand nous parlerons des enseignements communs, que l'on appelle plus communément le tronc commun, même si le terme ne figure pas dans la loi.

Enfin, nous préconisons de soutenir les démarches associant formation et recherche. Nous allons continuer nos travaux sur la question de la liaison entre recherche et formation, qui est essentielle et qui n'est pas suffisamment développée en France.

La loi a créé deux nouvelles instances : le Conseil supérieur des programmes (CSP) et le Conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESCO).

Le CSP a fait un travail extraordinaire. Nous avions chargé la barque dans la loi, mais il s'est acquitté de sa tâche consistant à créer de nouveaux programmes avec beaucoup de courage et d'efficacité. Le rodage progressif de ce dispositif a posé quelques problèmes, mais globalement, le CSP a fait son travail.

Reste le problème de l'indépendance du CSP, que nous avions d'ailleurs évoqué dans le premier rapport. Bien que l'indépendance du CSP soit inscrite dans la loi, il est rattaché au ministère de l'Éducation nationale. Il y a là une ambiguïté qui gêne à la fois la ministre et le CSP. C'est ce qui m'amène à faire une recommandation sur laquelle je vais revenir dans un instant.

Si nous voulons que le Conseil supérieur des programmes soit encore plus efficace, il faut établir un calendrier général prévisionnel de production et créer une agence véritablement indépendante du ministère, dotée de moyens matériels et humains et de mandats mieux adaptés à ses missions, et dont la composition soit plus représentative de la société française. Nous pourrions nous inspirer de l'exemple de certains pays étrangers. Ainsi, le Conseil supérieur de l'éducation (CSE) du Québec parvient à prendre en compte l'ensemble des demandes de la nation en matière de programmes scolaires. Lorsque nous avons élaboré la loi, nous nous sommes d'ailleurs inspirés de cet exemple, mais sans aller au bout de la logique, ce à quoi notre recommandation propose de remédier.

En ce qui concerne le CNESCO, nous avons été un peu sévères dans le premier rapport. Il a joué son rôle, en apportant une contribution certaine à la diffusion des études scientifiques existantes. Il est toutefois nécessaire d'opérer un recentrage sur l'activité d'évaluation du système éducatif, afin de contribuer à intégrer l'évaluation comme culture professionnelle. Nous préconisons de situer le CNESCO dans le paysage global institutionnel de l'évaluation et de rééquilibrer son activité sur l'évaluation du système, des élèves et des pratiques.

J'en arrive au dernier chantier : le service public du numérique éducatif. Nous avons fait le constat d'une politique nationale volontaire, avec des réalités très contrastées sur les territoires selon les politiques partenariales puisque départements et communes sont parties prenantes. Certains établissements sont connectés, d'autres non. Il y a encore une très grande diversité dans ce domaine, ce qui pose le problème du service public, qui garantit l'égalité d'accès. Le service public du numérique éducatif bénéficie d'une forte volonté nationale, d'une offre massive de ressources au niveau national et d'initiatives prometteuses liant recherche et numérique. Je pense notamment à la politique menée autour de l'appel à projets e-FRAN, qui affiche déjà des résultats prometteurs. Il s'agit, au fond, de réfléchir à la manière d'utiliser le numérique dans le cadre des apprentissages, en prenant en compte la diversité et le caractère contrasté des territoires.

D'où nos recommandations dans ce domaine.

D'abord, la question des ressources humaines est centrale dans le domaine du numérique. Le numérique, ce ne sont pas que des machines, ce sont aussi des enseignants, des acteurs formés et, bien sûr, des formateurs. Or, aujourd'hui, il y a un problème à ce niveau. Ensuite, nous avons constaté lors de nos déplacements que si le numérique n'est pas la panacée, il est efficace sur le plan pédagogique lorsqu'il s'appuie sur les compétences fondamentales nécessaires aux élèves pour profiter de ses potentialités. Ainsi faut-il par exemple d'abord savoir bien lire pour pouvoir utiliser le numérique. Nous proposons donc de consolider ces compétences fondamentales. Enfin, nous préconisons de former les enseignants au numérique à l'échelle des écoles et des établissements.

Pour conclure, je dirai que nous avons constaté une appropriation très nette de la cohérence des axes de la loi. C'est une évolution importante qui va faciliter son application.

Il est nécessaire de poursuivre la réflexion sur la personnalisation de l'aide et sur l'évaluation. Il nous paraît également souhaitable d'engager une approche territoriale de l'action publique d'éducation incluant une réflexion sur l'autonomie, dans le cadre national.

Enfin, il faut consolider les partenariats et instaurer une véritable culture de l'évaluation. Le CNESCO y contribue, ainsi que toutes les instances d'évaluation, comme les inspections générales, mais la culture de l'évaluation doit être développée, car c'est l'une des priorités de la loi.

Nous avons beaucoup travaillé pour rendre ce rapport. Il y a eu pratiquement une audition par semaine et nous avons effectué des déplacements dans les académies. Je tiens à remercier tous les membres du comité de suivi et féliciter Virginie Gohin pour son remarquable travail en particulier dans la rédaction du rapport.

Le comité de suivi va continuer à travailler. Hier après-midi, nous avons reçu François Taddéi. Le prochain point sur lequel nous voulons travailler concerne précisément le lien entre recherche, formation et éducation.

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