Intervention de Noël Mamère

Séance en hémicycle du 28 octobre 2014 à 21h30
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 - projet de loi de finances pour 2015 — Aide publique au développement – prêts à des États étrangers

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNoël Mamère :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État chargée du développement et de la francophonie,monsieur le secrétaire d’État chargé du budget, mes chers collègues, l’enveloppe budgétaire allouée à l’aide publique au développement est gravement affectée : elle diminue de près de 3 %. L’aide publique au développement enregistre une perte de 800 millions d’euros par rapport au budget 2014, pour une enveloppe totale de 2,81 milliards d’euros.

Cette aide ne cesse de baisser depuis 2010. Selon les chiffres de l’OCDE, l’aide publique au développement de la France avait diminué de 9,8 % en 2013, alors qu’elle augmentait de 6,1 % dans le monde la même année. Ce chiffre ne correspond d’ailleurs pas à l’aide réellement dépensée dans les pays en développement ; en effet, pour ne prendre qu’un exemple que je suis obligé de répéter chaque année, les bourses que des étudiants des pays pauvres peuvent parfois recevoir pour poursuivre leurs études en France sont aussi comptées comme de l’aide au développement.

Depuis quelques années, nous assistons à un phénomène inquiétant : des contributions importantes d’urgence sont annoncées pour répondre aux crises – comme la crise syrienne, ou Ebola – sans pour autant que cela se traduise par de nouveaux financements dans les faits. Quels sont alors les vrais chiffres de l’aide sanitaire si l’on substitue l’aide d’urgence à la prévention, indispensable au moment même où les pays concernés par le virus ont besoin de renforcer durablement leurs systèmes de santé ? Cette tendance à la baisse peut avoir un impact dévastateur sur la lutte contre l’extrême pauvreté. Celle-ci a été réduite de moitié dans le monde depuis 1990 ; elle pourrait être réduite quasiment à néant d’ici à 2030, à la seule condition que les pays donateurs n’abandonnent pas les pays les plus pauvres dans les années à venir.

Si la France le voulait, elle pourrait donc tenir ses engagements : c’est une simple question de volonté politique. Le Royaume-Uni, qui pourtant applique des recettes ultra-libérales, a atteint cette année l’objectif d’allouer 0,7 % de son PNB à l’aide au développement. La France, elle, s’éloigne encore un peu plus de cet objectif – que le Président de la République a pourtant encore rappelé l’année dernière –, et ce alors qu’il n’y a aucune fatalité à ce que le budget de l’aide au développement baisse.

Nous nous inquiétons notamment de la baisse de plus de 20 millions d’euros des crédits affectés au programme 209 « Solidarité à l’égard des pays en développement ». Ce programme devait mettre en oeuvre les nouvelles orientations fixées par la loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale, dite loi Canfin, adoptée en juin 2014. Nous pouvons que nous féliciter des avancées de cette loi ; malheureusement, dans les faits, les moyens financiers nécessaires à sa mise en application ne sont pas prévus. Les subventions et les dons continuent à diminuer. L’AFD est de plus en plus une banque et de moins en moins une agence : j’ai d’ailleurs toujours considéré que cette confusion des genres, unique au monde, mettait en péril l’aide publique au développement. Une fois de plus, ce budget confirme cette prévision.

Surtout cette nouvelle baisse de la solidarité apparaît contradictoire avec les orientations que nous portons sur le plan militaire. Vous connaissez ma position – qui n’est pas nécessairement celle de mon groupe parlementaire – sur les interventions françaises en Afrique. Mais il faut être cohérent : les interventions françaises au Mali et en République centrafricaine ne peuvent se cantonner aux aspects strictement militaro-sécuritaires. Si nous n’avons ni stratégie ni moyens pour aider à reconstruire ces États, alors l’action de nos soldats n’aura servi à rien : l’exemple des interventions américaines en Afghanistan et en Irak le montre bien.

Stabiliser un pays, reconstruire et renforcer un État, cela ne se fait pas d’un claquement de doigts, il y faut des moyens. On voit bien, par exemple, que si l’on ne soutient pas financièrement la réconciliation dans le nord du Mali, cela ne marchera pas. Pourtant, alors même qu’elle devrait accentuer son action, la France se désengage des programmes bilatéraux de renforcement institutionnel et de gouvernance, qui sont particulièrement importants dans les situations de reconstruction post-crise. Comme le rappelle Coordination SUD, l’instrument financier du ministère des affaires étrangères et du développement international dédié à cette coopération bilatérale, le Fonds de solidarité prioritaire, ne représente que 22 millions d’euros pour 2014, et a été amputé d’un tiers depuis 2010. Seuls 22 millions d’euros d’aide française seulement sont consacrés aux 16 pays pauvres prioritaires, dont des pays d’Afrique subsaharienne comme la Centrafrique, le Mali, la République démocratique du Congo, et le Niger.

Nous soutenons donc avec force la proposition de notre collègue Jean-Pierre Dufau. Il a en effet déposé un amendement visant notamment à mieux doter le FSP, qui est particulièrement sollicité par Ebola. Il ne sert à rien de gesticuler dans les conférences de donateurs si l’on fait le contraire de ce que l’on dit dans ces cénacles internationaux.

Enfin, au moment où, avec la Conférence des parties – COP – Climat 2015, nous devrons apporter des gages aux pays les plus pauvres pour lutter contre le changement climatique, la diminution de l’aide française n’est pas un bon signe. Comment établir un partenariat sur le climat quand, en même temps, ces pays ont le sentiment d’être abandonnés dans les domaines sociaux, sanitaires ou humanitaires ?

En résumé, ce budget, qui s’inscrit dans la politique drastique de réduction des déficits, va à l’encontre des principes édictés par la loi Canfin et de la politique menée par la France en matière de coopération, de politique étrangère et de défense. Au sens premier du terme, il est sans doute irresponsable. Il illustre à lui seul les raisons de fond pour lesquelles le groupe écologiste a choisi de s’abstenir.

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