Intervention de Jacques Toubon

Réunion du 21 février 2017 à 17h15
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Jacques Toubon, Défenseur des droits :

Pour répondre à l'ensemble des intervenants, je commencerai – une fois n'est pas coutume – par l'intendance, c'est-à-dire par la question de M. Tardy.

Je peux vous rassurer. Ces fortes baisses de crédits résultent de la solution apportée depuis septembre dernier – et qui concerne 2017 en année pleine – à l'un des problèmes redoutables qui se posait au Défenseur des droits lorsqu'il s'est installé en 2011 : son double site et le caractère inadapté de ses locaux. Une opération a été lancée par les services du Premier ministre afin de rénover les deux bâtiments du périmètre « Fontenoy-Ségur », dans le 7e arrondissement de Paris, entre l'École militaire et l'UNESCO. C'est là que vont s'installer une trentaine d'organismes, petits ou grands, que l'on peut appeler de manière générique autorités administratives indépendantes et qui dépendent des services du Premier ministre. Les deux premiers à investir le bâtiment Fontenoy ont été, aux trois étages inférieurs, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et, aux quatre étages supérieurs, le Défenseur des droits. Au-delà de sa dimension immobilière, il s'agit d'une opération de mutualisation : beaucoup de fonctions support auparavant exercées directement par nous, ce qui mobilisait des effectifs et des crédits, sont maintenant mises en oeuvre de manière mutualisée, et le seront de plus en plus, par les services du Premier ministre. D'où la baisse de crédits, notre budget d'intervention restant stable. Les baisses sont donc, pour une fois, plutôt bon signe : malgré tout, les pouvoirs publics et l'administration de notre pays avancent !

Vous avez en revanche souligné, très justement, que trois missions supplémentaires nous sont dévolues.

Le Parlement est pour beaucoup dans la première, puisqu'il a créé, au fil des lois votées cette année, quatre critères de discrimination supplémentaires – et je n'étais pas favorable à tous ! – dont le dernier en date est la domiciliation bancaire pour les personnes originaires d'outre-mer, introduit dans la loi relative à l'égalité réelle outre-mer.

La deuxième mission est l'orientation et la protection des lanceurs d'alerte, dont vous avez parlé.

Troisièmement, nous allons commencer, au titre de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, l'expérimentation d'une médiation préalable au contentieux administratif en matière sociale.

À cela s'ajoute une augmentation de 10 % des réclamations : indépendamment de ces nouvelles missions, des dossiers s'ajoutent à la pile de ceux dont nous sommes saisis.

Nous l'avons dit très clairement au ministre de l'Économie M. Michel Sapin : nous espérons qu'au cours de l'année des moyens adéquats seront mis à la disposition du Défenseur pour que celui-ci puisse accomplir toutes ses missions.

Mme Chapdelaine, en spécialiste des questions de discrimination, m'a posé les bonnes questions ; je vais essayer de lui apporter les bonnes réponses.

En ce qui concerne les associations, leur démarche est très souvent accompagnée par le Défenseur des droits, qu'elles s'occupent des droits des étrangers, de ceux des malades, des droits des élèves au sein des établissements d'enseignement, de certaines populations discriminées, des femmes victimes de violences, etc. Notre travail est donc étroitement lié non seulement aux réclamations individuelles, mais aussi à celles que nous transmettent les associations.

Parmi les quatre nouveaux critères de discrimination que vous avez votés figure la « particulière vulnérabilité résultant de la situation économique ». Nous avons dit et nous continuons de dire que, du point de vue juridique, nous ne nous sommes pas tout à fait sûrs de la portée de ce critère. En revanche, nous pensons que cette approche permet de poser plus activement encore la question de l'égalité devant les services publics, à distinguer de la discrimination proprement dite. Et, comme je l'ai dit devant le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE) et son président M. Étienne Pinte, ainsi qu'à ATD Quart Monde et à la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS), nous pensons pouvoir travailler avec les associations pour tenter de déceler des situations où certaines catégories de population vulnérables sont véritablement victimes de cette inégalité d'accès aux services publics. D'une certaine manière, nous l'avons déjà fait en 2015 – vous le savez, la presse en a alors parlé – en décrivant l'inégalité dont souffraient incontestablement les élèves de deux collèges de Saint-Denis, notamment à cause du non-remplacement de leurs professeurs. D'ailleurs, à la rentrée suivante, la ministre Mme Vallaud-Belkacem s'est efforcée de remettre ces établissements à flot.

En ce qui concerne la police, nous pourrions en parler très longtemps, d'autant qu'il s'agit d'un sujet d'actualité et, comme je l'ai dit, d'un fait de société. Je m'en tiendrai à ce qui me semble être fondamental.

Quand on dit que la police est composée en grande partie de « gardiens de la paix », ce n'est pas un vain mot : cela signifie qu'elle a été instituée, qu'elle a reçu des pouvoirs et des armes qui lui confèrent une violence légitime pour faire appliquer la loi, pour faire respecter le contrat social et pour que la paix règne entre tous ceux qui vivent sur le territoire. L'objectif visé doit donc être le suivant : que les rapports entre la police et la population contribuent à la cohésion et à la paix sociale, au lieu de faire naître dans une société qui en souffre déjà énormément des conflits, voire quelquefois des tragédies comme celle que l'on a vue il y a trois semaines à Aulnay-sous-Bois. Dans cette perspective, notre mission consiste à faire respecter la déontologie de la sécurité, c'est-à-dire les règles régissant le comportement professionnel des policiers, des gendarmes, des gardiens de prison, des policiers municipaux, etc. Deux principes s'imposent : la nécessité de l'intervention et sa proportionnalité.

Plus généralement, saisi de ces cas, et ayant été amené à réfléchir sur d'autres sujets, dont les armes de force intermédiaire, j'estime qu'il faut non pas une police de proximité, car ce terme introduit un biais, mais une police présente en permanence, qui se sente comme un poisson dans l'eau là où elle intervient, au lieu de se porter vers tel ou tel endroit quand c'est nécessaire – et, parfois, quand cela ne l'est pas… Cela suppose – je me mêle ici de ce qui ne me regarde pas – davantage d'effectifs et de moyens.

Quant aux contrôles d'identité à proprement parler, il faut que nous puissions savoir combien il y en a, quand ils ont lieu, pour quel motif, à l'encontre de qui : c'est le minimum républicain ! L'attestation nominative enregistrée est l'une des hypothèses que mon prédécesseur, Dominique Baudis, inscrivait dans son rapport dès octobre 2012. Le récépissé, disait-il en substance, n'est pas la panacée, mais nous constatons que, dans tous les pays où une traçabilité a été instituée, le nombre de contrôles a diminué, notamment celui des contrôles effectués de manière discrétionnaire et arbitraire. Or tel est bien le but auquel nous voulons parvenir pour obtenir la paix sociale. Ce dispositif est donc ce vers quoi il faut aller.

Les caméras-piétons représentent une tentative en ce sens, mais quand les 2 600 dispositifs dont le ministre de l'Intérieur M. Bruno Le Roux a parlé vont-ils être installés, et où ? Qui les déclenchera ? Pendant combien de temps la caméra fonctionne-t-elle ? Quand commence-t-elle à filmer, quand s'arrête-t-elle ? Surtout, que fait-on de la vidéo ? Combien de temps la conserve-t-on ? À la disposition de qui est-elle mise ? Si l'on veut préserver la possibilité d'un recours, donc respecter le contradictoire, elle doit être disponible pour tous : pour le plaignant comme pour l'administration et le policier. La même question s'est posée à propos des enregistrements vidéo des établissements pénitentiaires, que l'administration pénitentiaire déclare pour le moment vouloir réserver à son usage et à celui des syndicats, à l'exclusion des détenus. Nous estimons pour notre part, en vertu du principe du contradictoire, que tous devraient disposer des mêmes éléments. La question est donc posée, mais il est clair qu'il y a là une avancée.

Enfin, même si ce n'est peut-être pas possible dans la situation politique actuelle, il faut sortir de l'espèce de mithridatisation qui frappe les hommes politiques de tous bords et les conduit, sur ce sujet, à s'envoyer des invectives, à présenter des solutions à l'emporte-pièce ou à refuser les solutions à l'emporte-pièce des autres. Pourquoi ne pas organiser – la formule n'est pas si mauvaise – une conférence de consensus, un lit de justice au sens propre de ce dernier terme, où seraient représentés l'ensemble des forces de l'ordre – administrations et syndicats –, les élus locaux qui, souvent, portent toute la responsabilité sans avoir les moyens de l'exercer, les associations, des sociologues, des anthropologues, des juristes, au lieu que chacun reste dans son coin, comme paralysé par les enjeux en présence ?

C'est très difficile ; mais le gardien de la paix, comme son nom le suggère, est impérativement requis pour l'application de la loi – son enforcement, le mot anglais dit bien la force que cela requiert –, laquelle doit cependant respecter les principes, en particulier les droits élémentaires, dont le droit à l'intégrité physique.

J'en viens à Calais. J'ai parlé des conséquences de la situation. Nous n'en serions pas là si, par le traité du Touquet, nous ne nous étions pas absurdement entendus avec les Anglais pour empêcher les citoyens européens et les citoyens du monde de sortir de Schengen – car le problème n'est pas ici d'y entrer, mais d'en sortir – en dressant un mur à Calais ! Dans mon rapport du 6 octobre 2015 – rédigé, avant même les grandes difficultés qui ont conduit au démantèlement, sur le fondement d'une double mission d'observation de mes services tout au long de l'été –, j'ai dit non pas ce que je croyais, mais ce que j'avais vu. Cela a été contesté par le ministre de l'Intérieur. Pourtant, c'est ce qui s'est passé ! Et quand on a démantelé Calais un an plus tard, en octobre 2016, nous avons réussi, grâce notamment à l'action de notre Défenseure des enfants, à sauver le CAP – le camp d'accueil provisoire, c'est-à-dire les containers préfabriqués – pour que, pendant quelques jours, les mineurs soient mis à l'abri. Sinon, ils auraient été évacués comme les autres, en autobus, et se seraient retrouvés n'importe où, mêlés aux adultes. Or la France a l'obligation légale, en vertu des conventions internationales, de faire en sorte que les mineurs soient traités comme tels, c'est-à-dire mis à l'abri et hébergés en tant qu'enfants, et non traités comme des étrangers ou des migrants. Je suis désolé de constater que nous avions eu raison. C'est, je le répète, une question de politique générale.

En ce qui concerne la protection de l'enfant, Dominique Baudis avait présenté en juin 2014 le rapport « Marina », du nom de la petite Marina Sabatier, tragiquement tuée à l'âge de huit ans par ses parents malgré un parcours classique au sein des services sociaux de différents départements, qui étaient passés complètement à côté de son cas. À la même époque a été déposée la proposition de loi sénatoriale de Mmes Meunier et Dini, devenue ensuite la loi dite Rossignol, du nom de la ministre, du 14 mars 2016, relative à la protection de l'enfant. Nous avons beaucoup contribué à ce travail.

Au total, on est assez loin du compte. Vous l'avez dit, les délais de saisine et de décision des juges restent trop longs et les services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) connaissent encore trop de difficultés, ne serait-ce que faute d'effectifs. Les progrès apportés par la loi du 14 mars 2016, notamment l'institution d'une forme de pilotage national grâce à la création du Conseil national de la protection de l'enfance, n'ont pas résolu les problèmes. C'est un dossier pour la prochaine législature, de même que celui des majeurs incapables.

Nous ne nous en efforçons pas moins de prendre des mesures. Voyez le cas de cet adolescent qui s'est jeté par une fenêtre du foyer où il vivait à Châlons-en-Champagne, il y a trois semaines. Nous sommes saisis de l'affaire à un double titre. D'une part, nous cherchons à savoir ce qui s'est passé et s'il y a eu des erreurs dans sa prise en charge ; d'autre part, nous nous demandons si la déléguée syndicale qui avait signalé la situation du jeune garçon n'a pas été victime de représailles et de discrimination de la part de sa direction.

Madame Capdevielle, le Défenseur des droits, Défenseur des enfants, est clairement d'avis que l'on a intérêt, pour le bien de la société, à traiter les mineurs de manière particulière le plus longtemps possible, c'est-à-dire jusqu'à la majorité actuellement en vigueur : par des sanctions pénales que prévoit l'ordonnance de 1945, d'une part ; par des mesures éducatives qui caractérisent cette ordonnance, d'autre part. Ce point de vue ne résulte pas seulement d'une conviction, fondée sur la mise en oeuvre de la Convention internationale des droits de l'enfant, mais aussi de quelque chose que tout le monde sait et qui commence à se dire : le fait d'abaisser la majorité pénale comme cela est proposé ne changerait rien à la sévérité de la répression et des condamnations. Il y a ici suffisamment d'avocats pour en témoigner. Dans l'état actuel des paliers – treize ans, seize ans, dix-huit ans –, les juges appliquent des sanctions très sévères au sein des tribunaux pour enfants comme des tribunaux pour adultes. Le passage du tribunal des mineurs au tribunal correctionnel, qui serait la principale conséquence de l'abaissement de la majorité pénale, ne changerait rien pour ceux des jeunes qui méritent d'être sévèrement sanctionnés par la société parce qu'ils ont commis des crimes. Par ailleurs, le risque de problèmes sera d'autant moindre que l'on renforcera davantage la dimension éducative du traitement des mineurs, en particulier délinquants.

En ce qui concerne la nouvelle procédure de divorce, nous l'avons très clairement désapprouvée. En tout cas, si chacun peut avoir son opinion sur le besoin de faciliter le divorce, de l'accélérer, de le rendre plus ou moins cher, pour notre part, dès lors que, dans 50 % des cas, le couple qui divorce a des enfants, il semblait nécessaire de faire quelque chose au nom des droits des enfants. Vous avez finalement voté l'obligation pour les parents de demander à l'enfant s'il a quelque chose à dire, s'il veut être entendu ; et, s'il le souhaite, un juge l'entend. Mais il suffit de lire l'arrêté fixant le modèle de formulaire d'information des enfants – je me permets de le dire puisque nous l'avons écrit au ministère de la justice – pour comprendre qu'il s'agit d'une illusion de protection dans 99 % des cas. Franchement, imagine-t-on le papa ou la maman, dans une situation pareille, aller dire à son enfant « mon petit », ou « ma petite », « est-ce que tu veux bien remplir ce papier pour dire si tu as envie que l'on te demande quelque chose » ? C'est inconcevable ! Comme saint Thomas, j'attends de voir – de voir comment la loi est mise en oeuvre, en particulier par le barreau qui jouera un rôle accru dans cette affaire, avant l'intervention du notaire. Je pense vraiment qu'il existe un risque pour les enfants, tout en espérant qu'il ne se concrétisera pas.

Je vous ai répondu concernant le rapprochement familial des détenus. Nous avons de très bonnes relations avec la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. La réforme de 2011 lui a conservé une place distincte de celle du Défenseur des droits ; c'est ainsi et j'ai toujours dit qu'il n'y avait pas lieu d'y revenir. Nous allons bientôt faire ensemble un contrôle de la détention à Béziers, où se posent à la fois des problèmes collectifs, qui relèvent d'Adeline Hazan, et des problèmes individuels que nous pouvons traiter.

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