Intervention de Christian Vigouroux

Réunion du 21 février 2017 à 14h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Christian Vigouroux :

Permettez-moi de commencer par répondre à la question des critères, démographiques ou autres, de redécoupage. Nous sommes nombreux à vivre et agir pour l'égalité, qui est indispensable pour que les citoyens aient confiance dans leurs représentants. Pour cela, l'écart de population entre les circonscriptions ne doit pas être trop élevé. La science électorale, Madame Dion, est faite d'histoire et de géographie, mais aussi de mathématique et de sociologie. Or il faut parfois savoir corriger la dimension mathématique de l'égalité : qui n'a pas pris la route de Rodez à Millau en février ne comprend guère le pays. Si je siégeais à la commission, je ferais donc de la mathématique et consulterais des spécialistes de la méthode de Sainte-Laguë et de celle de D'Hondt, mais je nuancerais ce critère en consultant aussi un routier qui transporte du bois entre Saint-Dié et Épinal pendant l'hiver. Mais l'égalité prime : le Conseil constitutionnel a tranché le point sur lequel vous m'interrogez dans sa décision du 16 mai 2013 sur la loi relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, en censurant l'énoncé de ces exceptions. Il faut ajouter une indispensable pincée de « territorial » dans cette recette d'égalité.

Je sais gré à M. Geoffroy d'avoir bien voulu distinguer entre son appréciation sur notre séance et les circonstances qui me dépassent, et que je ne commenterai pas. Permettez-moi tout de même de vous dire ceci, monsieur le député : je pourrais ne pas être là. Je ne suis pas plus ignare qu'un autre citoyen ; j'écoute et je vois. Si je suis venu, c'est parce que je ne place pas la nomination qui est proposée sur le même plan qu'une nomination de directeur d'administration centrale, par exemple. Il m'est arrivé, lorsque j'exerçais en cabinet ministériel, de recommander à des ministres de ne pas nommer de directeurs en fin de quinquennat, de sorte que les autorités suivantes puissent procéder à la nomination et que le ministre et le directeur ainsi désigné travaillent en bonne intelligence. Si je suis ici, à tort ou à raison, c'est parce que je crois qu'un organe constitutionnel doit être pourvu.

M. Larrivé a posé la question passionnante, et très importante, de la population à retenir pour délimiter les circonscriptions : population totale, électeurs ou citoyens français. Cette question a été traitée de manière brillante et profonde lors du débat de 1927 qui a donné lieu à des duels oratoires. Le 9 juillet 1927, la Chambre a voté selon des regroupements partisans parfois inattendus. Le ministre de l'Intérieur, Albert Sarraut, avait les idées claires : « Messieurs, je n'ai qu'une courte déclaration à faire. Le Gouvernement maintient sur la question de la population française la position qu'il a prise dans le projet de loi qu'il a déposé. Je veux prendre en considération la seule population française. » Immédiatement après, il a été procédé au vote : « Je mets aux voix l'amendement de M. Lemoine dont je rappelle les termes : “Le nombre de députés est fixé pour la XIVe législature d'après le chiffre de la population française” ». L'amendement n'a pas été adopté.

Ce débat ancien est très important. Plus récemment, l'amendement de M. Dosière sur Mayotte, présenté comme une adaptation ne portant que sur certains territoires où l'écart entre la population totale et le nombre d'électeurs était considérable et qui met « un coin » dans le principe du critère de population, et non de citoyenneté, a été adopté à une forte majorité. Il a toutefois été censuré par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 8 janvier 2009. Le Conseil, cependant, n'a pas vraiment censuré la disposition sur le fond, mais a estimé qu'il était difficile de ne l'appliquer que dans certains endroits, et qu'elle devait être assumée et généralisée pour être applicable. Sur le plan strictement juridique, je ne vois donc aucune porte fermée, mais un simple rappel de la méthode à retenir pour aborder cette question.

Ne voulant pas éviter de répondre, je vous dirai ceci : je suis très prudent, car ce débat, loin de n'être que contemporain, nous vient de très loin. À première vue, on pourrait être tenté de dire qu'en matière électorale le critère de citoyenneté doit primer. Autant je suis persuadé que l'adéquation entre le citoyen et l'électeur français – hormis les citoyens européens – est absolue, autant j'y regarderais à deux fois avant de ne plus tenir compte de masses de population qui, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont arrivées, vivent en France. Je prétends qu'il n'est pas fondamentalement choquant que des parlementaires soient élus pour faire face à la situation de masses de populations non françaises. En 1927, le député Georges Bonnefous définissait les circonscriptions relevant d'un scrutin uninominal majoritaire comme des circonscriptions « tiroirs », au sens où un cadre est défini dans lequel s'inscrivent des populations différentes et qui évoluent. Je suis favorable aux circonscriptions « tiroirs », et un tiroir engobe la population telle qu'elle est – mais, disant cela, je n'engage que moi : que les choses soient claires.

Je vous remercie, madame Untermaier, d'avoir fait référence à mes travaux sur la déontologie. Je veux dire à la représentation nationale que si j'étais nommé président de la commission, je n'oublierais pas que je suis auteur – et parfois acteur – dans ce domaine.

S'agissant des Français de l'étranger, je crois que l'évolution de la société, notamment de la jeunesse, exige que ceux qui s'expatrient gardent un lien avec la nation. La France s'ouvre, les jeunes vont et viennent ; c'est donc essentiel. La formule retenue en 2008 est-elle pour autant parfaite ? C'est à la représentation nationale d'en juger, mais il me semble que différentes solutions permettraient la représentation des Français de l'étranger.

Quant aux grandes circonscriptions, j'approuve votre mise en garde : on ne saurait étirer jusqu'à plus soif le principe du scrutin uninominal. Si la circonscription finit par épouser les contours d'une région, alors il est sans doute temps de changer de mode de scrutin.

J'ai fait allusion, Monsieur Warsmann, à la proposition de loi sur laquelle Mme Pochon et vous-même avez fait l'honneur à la section de l'intérieur du Conseil d'État de lui demander son avis : il me semble en effet qu'elle change quelque peu la donne. La question de la population de référence est double : elle concerne les étrangers, dont nous avons parlé, mais aussi les non-inscrits, qui sont à l'origine du décalage. En tant que citoyen et non plus en tant qu'ancien président de la section de l'intérieur, je forme le voeu que cette loi qui favorise l'inscription automatique sur les listes électorales soit pleinement suivie d'effet. C'est un chantier délicat, mais sa réalisation permettrait de résoudre une partie de la question.

Sur la question de l'indépendance, monsieur Pueyo, je ne prétendrai pas la main sur le coeur que je serai indépendant, mais je dirai ceci : il y a quelques années, le grand scientifique Jean-Pierre Royer avait écrit un livre sur la société judiciaire, montrant le fichage politique des fonctionnaires et citant les fiches dont ils faisaient l'objet. À l'époque étudiée, les poursuites concernaient les moins républicains d'entre eux – les cléricaux. L'une de mes fiches préférées porte les observations suivantes : « clérical, porte-cierge, marguillier, très bien vu au paradis ». J'assure la représentation nationale que je ne porte les cierges de personne !

La question de la parité, madame Mazetier, est sans doute la plus difficile. Ayant dirigé le cabinet de la première femme garde des Sceaux, époque à laquelle j'ai appris beaucoup de choses sur les femmes en politique, je crois dans les textes sur la parité – la section de l'intérieur du Conseil d'État en a examiné plusieurs. Je suis convaincu que la société peut évoluer grâce aux textes, comme ce fut le cas des conseils départementaux – alors que certains pariaient sur l'échec de cette disposition. Pour ce qui concerne la représentation nationale, la parité me semble tout à fait souhaitable mais mon audace s'essouffle s'agissant des manières d'y parvenir, en imposant des tandems paritaires par exemple. Cela étant, je ne refuse aucunement le débat.

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