Merci beaucoup, Madame la présidente, de m'avoir invitée à présenter devant la commission des affaires économiques cet avis du CESE qui connaît, si j'en juge par le peu d'exemplaires que j'ai pu vous apporter, un franc succès. Il a été adopté le 23 novembre dernier par l'assemblée plénière du Conseil, à une très large majorité ; il reflète donc une position de la société civile.
Nous faisons le constat que trois questions principales sont aujourd'hui posées à l'agriculture.
Tout d'abord, celle de la santé publique, avec des interrogations sur les nutriments présents dans les aliments, sur les pesticides, sur la progression de certaines maladies. Des recherches commencent à établir des corrélations entre santé et nutrition, et nous n'en sommes certainement qu'au début de ce mouvement.
Se pose ensuite la question de l'environnement, que vous connaissez parfaitement : pollution des eaux, raréfaction de la ressource en eau due au changement climatique, perte de biodiversité et de fertilité des sols, cette dernière étant en grande partie liée au manque de matière organique et de carbone dans les sols, ainsi qu'à la perte de diversité des micro-organismes qui en résultent. À ce sujet, d'ailleurs, le CESE a adopté, en mai 2015, un avis sur la bonne gestion des sols agricoles, dont j'avais été la co-rapporteure.
Enfin, il y a une question économique, celle du revenu de tous les acteurs agricoles, qu'ils soient paysans, agriculteurs ou salariés.
Dans ce contexte, l'agroécologie peut apparaître comme une alternative ; elle est à coup sûr vécue par certains comme telle. Elle permet, en effet, une gestion durable des ressources, en faisant notamment diminuer les intrants, donc l'usage des ressources fossiles, mais aussi en permettant de réduire l'émission de gaz à effet de serre et de conserver la fertilité des sols.
De plus, on constate sur les marchés une baisse constante des prix des denrées alimentaires. Or, à l'évidence, plus les prix baissent, plus les revenus des producteurs diminuent.
Aujourd'hui, le revenu de l'agriculture française s'élève à environ 10 milliards d'euros. Le niveau des aides est également de 8 à 10 milliards d'euros. Le chiffre d'affaires tourne, lui, autour de 70 milliards d'euros ; dans sa composition, les revenus diminuent, tandis que les charges et les subventions augmentent. La valeur ajoutée produite par les agriculteurs et les revenus qu'ils tirent de leur activité sont au coeur de nos préoccupations, et c'est à cette aune que nous avons étudié l'agroécologie.
Notre idée est qu'il faut étudier la productivité d'un territoire, et non pas seulement d'un hectare donné. Le raisonnement agroécologique est global, à l'échelle d'un bassin de vie, par exemple.
Il faut admettre que nos connaissances des résultats économiques de l'agroécologie sont aujourd'hui partielles. Depuis quelques années, les études menées ont donné des résultats très probants en ce qui concerne les systèmes herbagers, c'est-à-dire pour la production de lait et de viande – vous trouverez tous les chiffres sur le site du ministère de l'agriculture. Lorsque l'on met les vaches à l'herbe au lieu de les nourrir avec des compléments, le plus souvent importés, la production est légèrement inférieure ; mais, parce que l'on diminue aussi très fortement les intrants, les charges sont bien moins importantes et par conséquent la marge de l'agriculteur augmente fortement – on parle d'une hausse de 40 % à 50 %.
En outre, des recherches françaises ont montré que la qualité du lait est nettement meilleure. Les chercheurs ont constaté que le rapport entre oméga-3 et oméga-6 est inversé, et néfaste pour la santé humaine, lorsque les vaches sont nourries avec du maïs ou du soja. En revanche, lorsque les vaches sont nourries à l'herbe, le rapport est correct et favorable à la santé humaine.
J'ajoute que l'augmentation de la marge sur ce type de production est indépendante des circuits de production – les études n'impliquaient, par exemple, pas de passage vers des circuits courts.
Pour le lait, les réponses scientifiques existent donc. Dans bien d'autres domaines, nous n'avons pas encore de réponses, et de nouvelles études apporteront sans doute bien d'autres résultats.
Je prends l'exemple de la production de pommes. Nous importons des pommes à 40 centimes et nous en exportons à 65 ou 70 centimes, c'est-à-dire des pommes de bien meilleure qualité. Or l'entreprise Blue Whale, qui effectue plus de la moitié des exportations de pommes françaises, souhaite désormais pouvoir vendre des pommes sans résidu – ce qui devient de plus en plus nécessaire pour continuer d'exporter. Mais comment fournir des pommes sans résidu lorsque plus de trente-cinq traitements ont été effectués sur les pommiers ? Des recherches sont donc en cours pour faire évoluer les pratiques de production.
Ce rapport émet différentes préconisations sur la recherche, la formation, l'accompagnement des agriculteurs… Je veux insister ici sur le fait que l'agroécologie n'est pas un concept politique, mais un concept scientifique et technique. Le terme lui-même remonte à 1920.
Pour mettre en oeuvre l'agroécologie et faire changer notre agriculture, il faut actionner tous les leviers en même temps : il ne s'agit pas seulement de replanter quelques haies, comme le voudrait une caricature facile, mais d'accompagner les agriculteurs dans la transformation des techniques, en modifiant profondément le conseil qui leur est apporté. Et lorsque l'agroécologie fonctionne sur le terrain, c'est parce que des agriculteurs se sont constitués en groupe, éventuellement avec le soutien de leur chambre d'agriculture, et qu'ils ont décidé d'eux-mêmes de changer, collectivement, leurs façons de faire.
La recherche est également cruciale, mais une recherche expérimentale, très fortement liée aux agriculteurs – qui sont souvent à l'origine des innovations.
Il faut également travailler à une meilleure organisation des filières. L'agroécologie préconise d'augmenter les rotations, c'est-à-dire le nombre de cultures sur cinq ou six ans. Pour cela, il faut trouver le marché vers lequel ces cultures s'écouleront : l'interlocuteur commercial doit disposer non pas d'un seul silo, de blé ou de maïs, mais d'une dizaine de silos différents, pour des pois, des pois chiches, des féveroles…
L'agriculture souffre aujourd'hui de son hyperspécialisation, et notamment de son hyperspécialisation régionale. En effet, les sols ont besoin de matière organique animale. Or, aujourd'hui, des zones entières sont dépourvues d'élevage, et l'on ne peut pas faire faire 400 kilomètres à des tombereaux de fumier… Un rééquilibrage entre cultures et élevage serait donc nécessaire : pas dans chaque ferme, bien entendu, mais à l'échelle d'un territoire. La semaine prochaine seront remis, au salon de l'agriculture, les trophées de l'agroécologie : l'un des lauréats, qui a repris la ferme de son père, qui produisait des céréales, y a installé un atelier laitier. C'est l'inverse de ce que l'on observe en général ! Il y a donc des choses à inventer, et ce sont les agriculteurs qui inventent le mieux.
Il faut également tenir compte du coût des externalités négatives. Le Monde a consacré l'an dernier un article au coût caché des pesticides ; c'était la synthèse, en français, de travaux menés aux États-Unis. Certains chiffres font vraiment froid dans le dos ! Le coût de la dépollution de l'eau comme le coût pour la santé publique sont répercutés sur les consommateurs et les contribuables que nous sommes. Ils doivent être regardés de bien plus près. Un jour ou l'autre, les citoyens exigeront que soit justifié le versement de 10 milliards d'euros pour maintenir des productions agricoles qui ne sont pas toutes vertueuses. C'est pourquoi nous préconisons d'établir une meilleure cohérence de nos politiques publiques, afin que toutes les aides apportées aux agriculteurs aillent dans le même sens : celui d'une meilleure organisation du territoire, d'une agriculture bonne pour l'environnement et pour la santé publique.