La commission des affaires européennes va aujourd'hui entendre M. Robert Badinter. Je me réjouis qu'assistent à cette audition des collégiens et des étudiants, dont la présence prouve que les jeunes s'intéressent à l'Europe et aux travaux de notre commission.
Je veux dire notre joie d'accueillir aujourd'hui « un Européen français de la seconde moitié du XXe siècle », ainsi que vous vous définissez, monsieur Badinter, un Européen français qui témoigne sans relâche de ce que la France doit à l'Europe, et aussi de la place cardinale qu'y prend la protection des droits fondamentaux, « le fondement moral et le socle sur lequel repose l'Union européenne », comme vous le rappeliez, le 20 septembre dernier, dans votre allocution à l'Université libre de Bruxelles, où vous étaient remis les insignes de docteur honoris causa.
Chacun se souvient de votre rôle décisif dans la reconnaissance, tant attendue, aux justiciables français du droit de recours individuel auprès de la Cour européenne des droits de l'homme en 1981 ; ce fut le point de départ de l'irrigation du droit français par la culture judiciaire européenne des libertés. Nous connaissons aussi votre travail inlassable, notamment sur les bancs de la commission des affaires européennes du Sénat, pour doter l'Union de l'appareil de protection des droits fondamentaux le plus abouti au monde.
Ces brefs rappels me conduisent à deux questions. La première est teintée d'inquiétude. Il souffle en Europe un vent mauvais susceptible de remettre en cause ce socle commun de droits. Vous parliez, dans une récente interview, de « l'exploitation de la peur à des fins politiques », estimant que les procédures dont dispose aujourd'hui l'Union pour faire face à des États qui ne respecteraient pas les valeurs européennes sont « longues et lourdes ». Pensez-vous nécessaire d'aller plus loin, par exemple en renforçant nos capacités de sanction, qui sont aussi nos capacités réelles de dissuasion ?
Ma seconde question porte sur une autre avancée importante pour l'Europe de la justice : la création d'un parquet commun, indispensable pour lutter contre la criminalité transfrontalière. Vous le savez, notre Assemblée, comme le Sénat, est très profondément, et depuis longtemps, attachée à ce progrès. Depuis dix ans, trois résolutions européennes ont été adoptées, affirmant sans discontinuer un fort soutien à la création d'un parquet européen dont les compétences seraient étendues à la lutte contre les formes les plus graves de la criminalité transnationale. Cela vaut notamment pour la plus récente, adoptée le 4 février dernier ; en appelant ainsi à étendre la compétence du futur parquet européen à la lutte contre la criminalité grave ayant une incidence transfrontière – je pense notamment à la traite des êtres humains –, sans la limiter à la protection des seuls intérêts financiers de l'Union, elle va beaucoup plus loin que la Commission européenne.
Nous avons également, sous l'impulsion de nos collègues Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois, Guy Geoffroy et Marietta Karamanli, formulé d'autres préconisations, qui rendent notamment à garantir la collégialité du parquet européen, qui serait plus légitime et plus efficace s'il était composé de membres nationaux ancrés dans leurs systèmes judiciaires respectifs. Qu'en pensez-vous ?
La résolution rappelle également l'insuffisance des dispositions relatives au contrôle juridictionnel des actes d'enquête et de poursuite du parquet européen, et s'interroge sur les modalités de contrôle de la décision prise par le parquet européen de renvoyer l'affaire devant une juridiction de jugement et sur le choix de cette juridiction, au regard du droit à un recours juridictionnel effectif. Elle suggère que les dispositions relatives à l'admissibilité des preuves et aux règles de prescription soient complétées.
Vous avez beaucoup travaillé sur cette question et vous vous êtes récemment rendu dans plusieurs États membres. Votre analyse, votre opinion et vos propositions sur les modalités les plus pertinences pour constituer rapidement le parquet européen nous seront donc très précieuses.
Nous pourrons également aborder la question de la coopération judiciaire en matière pénale et les textes relatifs aux garanties procédurales des personnes suspectées dans le cadre des procédures pénales.
Je solliciterai également votre avis sur un enjeu plus général et plus essentiel encore. Notre Commission a entamé, dès l'alternance de 2012, un très important travail de débat, d'analyse et de propositions sur l'avenir de l'Europe et sur l'indispensable renforcement de son ancrage démocratique. Nous avons notamment travaillé sur la conférence budgétaire, chère à Pierre Lequiller, sur laquelle nous aimerions votre point de vue. Que pensez-vous de l'idée que les politiques économiques et budgétaires nationales, puisqu'elles sont encadrées et examinées par l'Union européenne, soient également débattues en commun par des représentants des parlements nationaux, au sein de cette conférence ?
Dans votre discours devant l'Université libre de Bruxelles, vous avez souligné que « le désenchantement à l'égard de la construction européenne a gagné nombre d'Européens incertains sur son rôle et son avenir » et rappelé combien il est important de combattre « ce pessimisme injustifié et indigne de notre histoire », affirmant que nous devions « marquer notre foi dans l'avenir de l'Union européenne et dans la solidarité de tous ses membres ». « Plus qu'à des réparations, c'est à une véritable refondation qu'il faut procéder », avez-vous déclaré. Cette refondation passe, selon vous, par l'adoption d'une Constitution, qui témoignerait d'une volonté d'intégration plus étroite des États. Mais comment convaincre suffisamment d'Européens et permettre à la Commission européenne, une fois les élections passées, d'ouvrir ce chantier ? Cette perspective est-elle vraisemblable ?