Je respecte les idées que vous avez défendues toute votre vie mais elles correspondent à un moment de l'Histoire qui n'est plus : votre ami Jacques Delors nous l'a clairement dit, « l'Europe puissance » est un mythe qui ne verra jamais le jour. Qu'il s'agisse d'économie ou de culture, la mondialisation a rendu désuète la notion même d'Europe. Cela ne signifie pas que nous n'ayons pas intérêt à des coopérations européennes, mais la vision que vous avez décrite est complétement dépassée. Il est heureux que les Anglais appellent au réalisme, car vous placez la barre si haut qu'elle est inatteignable. Pour ce qui est de la Cour européenne des droits de l'homme, alors que je représentais le gouvernement français à Strasbourg, il y a longtemps, je me souviens qu'un Italien pestait déjà contre « la jurisprudence des bagatelles »… Il n'est nul besoin de parquet européen si, comme initialement prévu dans le traité de Rome, la Commission européenne actionne les États : on définit une doctrine, mais il revient aux États de la mettre en oeuvre. À la Commission de les presser de poursuivre ! D'autre part, comment imaginer un parquet européen sans droit pénal unifié ? Comment poursuivre le trafic de stupéfiants si certains États légalisent la consommation du cannabis ? L'unité du droit n'existe pas davantage en matière de lutte contre la corruption.
Enfin, ce n'est pas l'Europe qui a fait la paix mais la paix qui a fait l'Europe, parce que l'Allemagne a décidé de vivre en paix avec ses voisins et que les Alliés lui ont imposé une Constitution d'équilibre des pouvoirs. La paix est née de ce que les Européens ont décidé d'en finir avec la guerre civile ; elle n'est due ni aux règlements ni aux directives mais à la volonté démocratique des peuples.