La tonalité de mon propos ne sera pas celle-là. J'ai beaucoup d'amitié et de respect pour M. Robert Badinter ; nous nous sommes connus lors de la Convention sur l'avenir de l'Europe et nous avons continué de travailler ensemble. Je salue par ailleurs son combat inlassable pour l'abolition universelle de la peine de mort, dont il nous dira peut-être un mot.
Je suis tout à fait favorable au parquet européen, à propos duquel vous avez tout dit, monsieur Badinter. J'observe, comme vous, que l'élargissement de l'Union européenne s'est fait trop vite et de manière désordonnée, avant que, dans certains pays, la réforme du système judiciaire et l'instauration de règles de droit permettant de lutter contre la corruption n'aient eu lieu. Les institutions européennes doivent cesser de croire que l'intégration d'un pays au sein de l'Union est un succès en soi – c'est faux, et nous ne devons intégrer que des pays dont le droit répond véritablement à nos critères, au nombre desquels une justice indépendante en état de fonctionner et un droit permettant de sanctionner la corruption. Au regard de la dégradation de la situation de la justice en Turquie – où, encore une fois, un journaliste a été emprisonné il y a quelques jours –, il me semble donc extravagant de prétendre continuer à vouloir l'entrée de ce pays dans l'Union.
Dans un autre domaine, une députée européenne britannique a publié un rapport très critique sur le mandat d'arrêt européen. Elle évoque notamment le cas d'Andrew Symeou, accusé d'homicide et extradé vers la Grèce où il a été incarcéré quatre ans dans des conditions épouvantables avant d'être acquitté. Le risque existe-t-il, selon vous, que l'on revienne sur le mandat d'arrêt européen ?
Il faut enfin continuer de rappeler, singulièrement aux jeunes, que la construction européenne a d'abord signifié la paix. Ensuite sont venues l'intégration et la libre circulation des personnes, la création de l'euro – et aussi, pendant la crise, une solidarité, par le biais du Mécanisme européen de stabilité, que les traités n'avaient pas prévue.
Enfin, l'Europe est scandaleusement indifférente aux drames qui se jouent au large de Lampedusa et de Chypre. Nous devons absolument agir, ce qui ne signifie pas s'en tenir à des déclarations publiées à l'issue d'un Conseil européen pour se donner bonne conscience mais réviser les accords de Schengen, aider les pays de départ des migrants et assurer aux bateaux qui arrivent chargés d'immigrants l'assistance qui leur est due. Il est insupportable que des centaines d'êtres humains perdent la vie dans des conditions atroces au large des côtes européennes.