Intervention de Michel Agier

Réunion du 30 septembre 2015 à 8h30
Commission des affaires européennes

Michel Agier, directeur de recherche à l'Institut de recherche pour le développement, IRD et directeur d'études à l'école des hautes études en sciences sociales, EHESS :

J'ai en effet dit que les camps pouvaient devenir des lieux à peu près vivables, énoncé qui néanmoins me pose problème et qu'il convient de recontextualiser.

Des programmes de recherche et des initiatives d'architectes – dont l'une vient d'obtenir un financement du PUCA (Plan Urbanisme Construction Architecture) – sont en cours pour imaginer ce que peuvent devenir ces lieux et les gens qui y séjournent. Le cas de Calais est exemplaire car, de mon point de vue, il ne devrait pas y avoir de camp à cet endroit. Nous avons là en effet un camp de regroupement au sujet duquel certains parlent de « bidonville d'État » tant les conditions humanitaires et sanitaires y sont catastrophiques pour les quatre mille personnes qui y vivent dans les pires conditions.

Mais, à l'origine, un bidonville définit un lieu qu'ont occupé et où se sont installés illégalement des gens en quête d'un abri – le programme Habitat des Nations unies parle à leur propos d'informal settlements. Nombreux ont toujours été à Calais, ville-frontière, ces lieux assimilables à des campements : de taille humaine, ils regroupaient plusieurs dizaines des migrants auxquels les associations avaient accès et à qui elles pouvaient apporter une aide solidaire.

Or, et c'est une première dans notre histoire, Bernard Cazeneuve – et j'espère que vous ne manquerez pas de l'interroger à ce sujet lors de son audition de cet après-midi – a pris la décision de regrouper dans un camp unique les occupants de ces campements. J'emploie ces deux termes à dessein, car il faut bien faire la différence entre un campement et un camp : j'appelle camp un lieu ouvert par une autorité – publique ou privée – qui dispose d'un pouvoir souverain sur le territoire de l'implantation. C'est bien en l'occurrence un « bidonville d'État » dont il s'agit, placé sous la surveillance de la police et qui dispose, avec le centre Jules Ferry, d'une sorte d'annexe humanitaire où les migrants ont accès à certains services de base. Reste que les associations de Calaisiens qui, jusqu'alors, apportaient leur soutien aux migrants n'y sont plus les bienvenus et n'y ont plus accès.

Quant à ce qu'il convient de faire de tous ces gens, l'idée de faire appel aux maires est une bonne initiative. En Allemagne, les associations de la société civile sont très impliquées dans l'accueil des migrants. Nous avons, je crois, tendance à exagérer la propension des Français au rejet de l'autre et à minimiser à l'inverse les élans de solidarité dont ils peuvent faire preuve, et je suis ravi de voir que nombre de maires de communes, notamment rurales, se sont manifestés pour proposer d'accueillir des migrants. Tout en étant conscients des problèmes interculturels que cela peut poser, ils le font comme un geste naturel et dédramatisent la situation.

Arnaud Richard a raison d'évoquer l'année 1999, qui a marqué un début de tentative de mettre en place une politique migratoire au niveau européen. Le problème, c'est qu'elle ne s'est faite qu'au nom de la protection des frontières et de la sécurité. Par ailleurs, on éprouve les plus grandes difficultés à s'accorder sur la liste des pays d'origine sûrs : savoir si la Lybie en fait – ou en fera– désormais partie, ou bien le Niger, la République centrafricaine ou l'Ouganda est pratiquement impossible.

Quant à la convention de Genève, elle établit pour les demandeurs d'asile la nécessité de justifier qu'ils sont persécutés pour des motifs personnels et des raisons individuelles, ce qui est parfois difficile à prouver. Il y a donc parfois des menteurs, mais c'est inhérent à ce type de systèmes.

En ce qui concerne la sociologie des demandeurs d'asile, on a toujours affaire, dans la plupart des cas à des individus seuls, car l'aventure exige une aptitude à la mobilité et une prise de risque importantes. Cela étant, la monstruosité de la violence étant telle en Syrie, où il est devenu impossible de vivre ou de résister, on voit désormais affluer des familles avec enfants. Il s'agit de familles souvent incomplètes, soit parce qu'elles ont perdu un membre, soit parce qu'elles se sont décomposées – à l'image de ce que l'on a pu observer lors des conflits africains, où les familles se scindent pour passer les frontières sans parvenir par la suite à se recomposer –, ce qui aura inévitablement des répercussions sociologiques sur l'avenir de ces migrants et de la Syrie.

Je ne suis pas étonné que les maires ruraux soit dans l'ensemble ouverts à l'idée d'accueillir des réfugiés, car ils y voient une chance pour leurs territoires : dans les années soixante-dix, sollicitée par le HCR pour ouvrir des camps de réfugiés où accueillir les Zimbabwéens qui fuyaient leur pays, la Zambie avait posé pour condition que ces camps soient situés dans les zones connaissant des difficultés de peuplement – en l'occurrence au nord-est. J'ai moi-même travaillé sur le camp de Maheba, à l'ouest, qui accueillait depuis plus de trente ans des réfugiés angolais. La guerre étant terminée depuis 2002, on a entrepris de le transformer en une zone de développement rural où se côtoient désormais des Zambiens et des réfugiés restés ou nés sur place. Il s'agit là d'une exemple assez réussi d'intégration. Accueillir des migrants peut donc contribuer à redynamiser certaines régions rurales, si toutefois les gens qui y sont accueillis ont les moyens de participer à ce développement.

Enfin, j'ignore si les points chauds – hot spots – sont une bonne idée mais ils existent déjà dans la plupart des pays, sous la forme de centres où s'opère parmi les migrants la sélection des réfugiés susceptibles d'obtenir le droit d'asile. Ma crainte est qu'à l'instar de ce qui se passe dans certains pays, ces hot spots deviennent des centres de tri qui fabriquent de l'enfermement à très long terme, ce qui peut avoir de très graves conséquences. J'espère donc que l'on s'orientera vers une solution qui privilégie une plus grande fluidité des passages et de la circulation.

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