Intervention de Gwenegan Bui

Réunion du 12 novembre 2013 à 16h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGwenegan Bui, rapporteur :

L'impact de la baisse des commandes sur le coût unitaire des matériels est bien réel et ancien. Je rappelle que la dernière LPM a fait glisser les investissements de 4 milliards d'euro. Donc on étire les délais de construction, et on ne peut pas faire d'économies d'échelle. Pour que cette LPM soit tenable, on doit pouvoir s'appuyer sur des grands contrats d'export, notamment pour le Rafale, et cela à des conséquences importantes sur la crédibilité de l'ensemble de l'équilibre budgétaire de la LPM. Sur l'impact économique de la diminution des moyens de projection, cette LPM a le mérite d'être réaliste. On s'est trop longtemps caché derrière les missions de Petersberg et les grandes déclarations, mais on a souvent été en difficulté lorsque l'OTAN, par exemple, nous demandait d'envoyer tel ou tel équipement sur zone alors même qu'il n'existait que sur le papier. Cette LPM dit la vérité. Elle dit notre capacité à projeter et notre volonté à faire comme nous avons pu le montrer avec Serval.

Sur les drones, depuis 15 ans, on se confronte à l'incapacité des industriels de s'accorder. Conflit après conflit, on s'est retrouvé à devoir aller voir les Etats-Unis ou le Royaume-Uni pour « avoir des yeux ». Cette situation n'était plus tenable et le ministre M. Le Drian a pris la décision d'acheter des drones américains sur étagère pour remédier à nos lacunes immédiates. Parallèlement, un « club » de pays utilisateurs vient de se constituer pour travailler sur un projet de drone européen MALE ayant pour échéance de mise en service, l'horizon 2025.

Sur la dissuasion, j'estime que notre capacité nucléaire est nécessaire et fondamentale. Pendant 50 ans on a accepté des décisions du chef de l'Etat s'imposant à tous. Aujourd'hui, à chaque fois qu'on parle de la LPM, j'entends dire qu'on pourrait se passer de la deuxième composante, qu'on pourrait se passer de tel sous-marin nucléaire lanceur d'engin. Or ces opinions reflètent plus une réflexion budgétaire que stratégique. D'autres nations font un effort de transparence, le Pentagone par exemple remet au Congrès un document sur les capacités et besoins en terme nucléaire. Au XXIème siècle, on est dans l'obligation de faire ce travail. Sans donner de détail stratégique, nous devons discuter de l'intérêt et du maintien de la force nucléaire française au risque de se retrouver face à une opinion publique qui rejettera cette arme nucléaire. On doit rappeler à l'opinion publique les difficultés du contexte stratégique et les difficultés de la mondialisation.

Sur les menaces, elles sont réelles. Si on n'avait pas un certain nombre de mouvements de troupes russes, beaucoup d'Etats européens n'auraient pas eu la prise de conscience de la nécessité d'avoir une réelle Europe de la défense. L'histoire récente peut encore inquiéter et cette inquiétude pourrait être le facteur du développement européen des questions de sécurité. Le Conseil européen de décembre pourrait être l'occasion de relancer un dossier qui patine depuis 10 ans. Il nous faut prendre en compte l'environnement proche et les menaces sur l'Asie, car un conflit en mer de Chine pourrait avoir des déflagrations sur toute l'économie européenne. Les diplomaties individuelles ne serviront à rien, nous devons avoir un message unique et fort pour peser sur les crises internationales.

Sur la cyberdéfense, sommes-nous en retard ? Oui et non. Des améliorations ont été apportées entre les deux lois de programmation militaire. Il y a eu une mobilisation sur les crédits, sur le numérique, les effectifs également comme sur les capacités offensives et défensives. Si l'on fait la comparaison avec les Etats-Unis, le ratio est de 1 à 100. La situation est d'autant plus inquiétante que c'est la même chose en ce qui concerne l'UE, à part quelques pays comme le Royaume-Uni. Quant à l'Allemagne, elle est le bon élève de l'Europe, mais en matière de cyberdéfense, elle n'en est qu'aux balbutiements. On ne constate pas de volonté de partenariat au sein de l'Europe, tout le monde reste sur son pré carré, alors qu'il faudrait développer les capacités de mutualiser nos efforts vis-à-vis des Etats-Unis, de la Chine, de la Russie, pour avoir une capacité de défense de nos intérêts stratégiques.

Quant à la question des partenariats stratégiques, il y a l'exemple de Lancaster House, qui marche bien. Il marque en effet notre relation traditionnelle avec le Royaume-Uni et notre volonté de travailler en commun. Mais cela n'est pas exclusif : l'exemple de la relation que nous développons aujourd'hui avec la Pologne est remarquable. Elle se traduit notamment par des rencontres régulières, au cours desquelles nous mettons en commun des moyens, des stratégies, des analyses. Aujourd'hui, des manoeuvres communes sont effectuées sous l'égide de l'OTAN. L'exercice qui a été organisé la semaine dernière avec la participation de 1500 soldats français, alors qu'il n'y avait que 250 militaires américains, a été particulièrement bien perçu, alors même qu'il n'y avait pas d'Allemands. Cela devrait permettre des avancées bilatérales et de progresser sur des positions communes avec le Royaume-Uni dans la perspective du prochain Conseil européen.

La fermeture des sites est toujours un drame social, pour les familles, les emprises. Le « Fonds pour les Restructurations de la Défense » a été reconstitué à hauteur de 150 millions, pour venir en soutien des collectivités territoriales ; cela est confirmé dans la LPM.

M. Poniatowski s'est inquiété de l'affaiblissement de notre pays et des risques de déclassement. Je ne partage pas cette crainte. La LPM dit la vérité sans annoncer de chiffres non soutenables. Encore une fois, il reste 4 milliards de la précédente loi, non exécutés. Il faut combler les manques. La stratégie du ministre de la défense est de ne rien couper. Il y a un repli sur le dispositif numérique mais ce sont quelque 17 milliards par an d'investissements pour les équipements, qui sont injectés, sans se couper de rien, auxquels s'ajoutent près de 4 autres milliards en R&D, qui permettront à nos usines et nos laboratoires de travailler pour le futur.

Le Sénat a essayé de sécuriser les ressources exceptionnelles, faiblesse des LPM. Le ministre a pris divers engagements à ce sujet pour les sécuriser, mais s'il n'y a pas de suivi budgétaire de notre part à l'euro près, ce sera difficile. Vis-à-vis de Bercy, on sera toujours dans le gel, le surgel budgétaire et l'on manquera finalement toujours de moyens. Il nous faut nous mettre en situation de rapport de force avec Bercy pour aider le Gouvernement. Il faut aider la France à préserver son outil de défense. Il nous faut unir nos forces pour éviter de voir les inspecteurs généraux des finances prendre le pas sur les généraux. Sur le nucléaire, il ne serait pas compréhensible que nous n'ayons pas de débat sur ces questions au coeur de l'actualité.

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