Ainsi que vous l'avez rappelé, monsieur le président, le rôle du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale est celui d'un architecte global en matière de sécurité, ses compétences dans ce domaine ayant été consolidées en 2009 dans le cadre des évolutions intervenues après le Livre blanc de 2008. Il joue également un rôle opérationnel dans les domaines de la sécurité informatique, avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), et de la transmission gouvernementale, avec le Centre de transmission gouvernemental (CTG). Depuis cette année, le Groupement interministériel de contrôle (GIC) est rattaché organiquement au SGDSN. Pour le reste, l'essentiel de sa mission consiste à préparer et à suivre les décisions prises au niveau gouvernemental par le Premier ministre en matière de sécurité nationale et de défense et au Conseil de défense et de sécurité nationale, présidé par le chef de l'État. Au cours de l'année 2015, ce conseil a été activé à plusieurs reprises, notamment dans le cadre du suivi des décisions prises après les attentats.
Les postulats à l'origine de cette évolution ont été confortés par la crise de l'année 2015. En effet, en 2012, avec l'affaire Merah, les menaces et la dimension des répliques restaient encore de l'ordre de la sécurité intérieure. En revanche, à partir de 2015, après l'attaque contre Charlie Hebdo et l'Hypercacher et surtout après l'attentat du Bataclan, la réponse de l'État, que ce soit au plan international – frappes sur Raqqah – ou national – déploiement de l'opération Sentinelle, mutualisation du renseignement et coordination des chaînes de renseignement relevant de ministères distincts –, montre bien qu'une riposte d'ampleur nationale était nécessaire face à une menace qui avait évolué et qui relevait dorénavant de la sécurité nationale.
Cette menace, vous le savez, se caractérise notamment par le nombre des personnes à surveiller – je pense à celles qui peuvent être tentées de commettre des actes terroristes ou de rejoindre des théâtres de conflit –, par l'effacement de la frontière entre sécurité nationale et sécurité intérieure – par l'intermédiaire de ces réseaux et de ces filières, les théâtres de conflit ont un écho sur le territoire national, qui peut être ciblé – et par le passage à l'acte. Dans le passé, notre pays a été très souvent confronté à la menace terroriste, et peut-être, dans les années 1970 ou 1980, les sympathisants de certaines causes idéologiques extrêmes se comptaient-ils en milliers. Mais la situation actuelle diffère de celles que nous avons pu connaître en ce qu'elle se caractérise par l'aguerrissement, la fréquentation des théâtres de conflit, l'habitude de la violence, la brutalisation, la faculté de passage à l'acte des personnes radicalisées. Nous devons donc éviter non seulement que des personnes ne rejoignent les théâtres de conflit ou passent à l'acte, mais aussi que celles qui ont été en contact avec une idéologie et des individus violents ne s'engagent eux aussi dans une spirale terroriste.
On constate également une militarisation des actions : utilisation d'armes de guerre au Bataclan, attentats kamikazes à Bruxelles… Et d'autres types de menaces sont référencés dans une littérature suffisamment accessible, notamment sur internet, pour que l'on s'en alarme. Lors de ces actions, le but était non seulement d'exploiter les vulnérabilités de notre système de sécurité, mais aussi de saturer les dispositifs d'intervention et de secours. Il revient ainsi au SGDSN de pratiquer un audit systématique de tous les dispositifs de sécurité en tenant compte du caractère évolutif de la menace, et donc d'étudier l'hypothèse de scénarios qui seraient pires encore : attentats multiples, drones utilisés à des fins terroristes, attaque à l'explosif couplée à la dispersion de produits chimiques, etc.
Face à cette menace qui vise le territoire national dans son ensemble, comme en témoignent les nombreuses alertes ou les attentats que nous avons connus – je pense en particulier à ce qui s'est passé à Saint-Quentin-Fallavier –, il nous fallait procéder à une révision systématique de nos dispositifs, ainsi que de nos moyens d'intervention et de secours. L'année 2015 a ainsi été principalement consacrée à l'anticipation, à l'adaptation des mesures, à l'augmentation des moyens et à l'amélioration de la formation des personnels. Cette question est évidemment centrale. Il n'est, hélas, pas possible, face à ce type de menaces, de supprimer tout risque, notamment en raison du phénomène d'auto-radicalisation. Cependant, nous manquerions à nos responsabilités si nous ne réalisions pas un audit systématique de nos dispositifs de sécurité. C'est pourquoi le SGDSN a revisité, tout au long de l'année 2015, les grands cadres d'organisation de la réponse de l'État.
Parmi ceux-ci, je pense évidemment au plan Vigipirate, qui a montré ses atouts, en termes de réactivité et de mobilisation de l'ensemble des ministères, mais qui s'est trouvé très rapidement dans une situation de thrombose. Aussi réfléchissons-nous, en tenant compte des changements législatifs que vous êtes en train d'adopter, à ce que doit être le prochain plan après l'état d'urgence. L'opération Sentinelle, quant à elle, a été déclenchée pour répondre à un besoin, mais aussi à une demande de protection de nos concitoyens, certaines communautés étant directement l'objet de menaces. Nous avons par ailleurs amélioré le fonctionnement de la cellule interministérielle de crise et le dispositif de sécurité de ce que l'on appelle les activités d'importance vitale.
En ce qui concerne Vigipirate, les difficultés auxquelles nous avons été confrontés s'expliquent par le fait que nous avons été obligés de maintenir dans la durée une posture « alerte attentat » qui, initialement, impliquait une mobilisation très forte de l'ensemble des forces de sécurité mais sur une période limitée. De fait, le précédent plan – et c'est ce qui inspire toute ma réflexion – liait de manière trop étroite les niveaux de posture de Vigipirate et les effectifs, notamment parce que cela était en concordance directe avec les contrats opérationnels des armées et un contingentement extrêmement strict, dans les Livres blancs précédents, des effectifs que les armées devaient déployer sur le territoire pour protéger la population : 1010 hommes, en permanence, seulement.
Par ailleurs, en France, contrairement à ce qui se passe à l'étranger, les différentes postures se déclinent immédiatement, en fonction d'une planification de crise, en mesures juridiquement contraignantes. Ainsi, les renseignements indiquant que la menace restait à son maximum, nous avons prolongé la posture d'alerte attentat, qui avait été conçue comme le niveau maximal de déploiement des effectifs. Or, très vite, nous avons dû renoncer à appliquer toutes les mesures de contrainte applicables dans le cadre de cette posture.
Je rappelle que, après les attentats contre Charlie Hebdo et l'Hypercacher, le SGDSN a transmis au cabinet du Premier ministre, qui l'a d'ailleurs souvent cité, en juillet, un document intitulé « Le jour même », qui envisageait les mesures qu'il faudrait prendre immédiatement en cas d'attentat majeur. Ce sont ces mesures, parmi lesquelles figurait du reste l'état d'urgence, qui ont été appliquées : cellule de crise, activation de la cellule d'aide aux victimes, etc.
S'agissant de l'opération Sentinelle, le déploiement de ces effectifs militaires s'est fait d'abord sous le coup de l'urgence, en fonction des besoins ou des demandes de protection. Puis, au cours de l'année 2015, la réponse a été organisée et rationalisée. Lorsque l'on m'interroge sur la pertinence de ce dispositif, je fais deux réponses. Premièrement, on peut se demander, comme le disait le chef d'état-major des armées, ce que nos concitoyens auraient pensé des armées si, dans un tel contexte, celle-ci n'avait pas déployé davantage de militaires sur le territoire national pour assurer leur protection ? La seconde réponse est inspirée d'une comparaison internationale : tous les pays font appel aux capacités de renfort que sont les armées. Du reste, nous-mêmes avons toujours procédé ainsi, par le passé. Vigipirate n'est pas un document récent : il a été élaboré au début des années 1980 – à une époque où la conscription permettait d'impliquer plus facilement l'armée dans des missions de service public – et activé pour la première fois au moment de la guerre du Golfe.
Pourquoi se retourner vers les armées ? Parce que, à la différence des forces de sécurité intérieure, qui sont nécessairement réparties sur l'ensemble du territoire, les armées ont la possibilité de mobiliser des forces supérieures au millier d'hommes, qui est le niveau régimentaire. Le volume d'effectif des unités d'intervention de la gendarmerie ou des CRS est de l'ordre de la centaine. Par comparaison, la souplesse de commandement qu'offre ce gisement exceptionnel – adossé qui plus est à une structure, l'armée de terre, comptant plusieurs dizaines de milliers d'hommes – est au regard un élément déterminant.
Par ailleurs, il s'agit d'une mission très spécifique. Des inquiétudes se sont exprimées à ce sujet, mais, dans le cadre du travail mené au cours de l'année 2015, nous avons reprécisé que l'opération Sentinelle consistait bien à utiliser les armées pour une mission de protection, et non pour une mission de maintien de l'ordre public ou de police judiciaire. Et l'on a eu raison – alors que d'autres idées étaient présentes au début de la réflexion – de s'en tenir à cette conception assez limitative selon laquelle les armées, sur réquisition du pouvoir civil – ministre de l'intérieur ou préfets –, interviennent en appui des forces de sécurité intérieure.