J'allais y venir. Dans notre rapport, nous avons préconisé une certaine harmonisation des règles de responsabilité pénale applicables aux militaires, aux gendarmes et aux policiers – c'est du reste la solution qui a été retenue par le législateur. Il est en effet possible que, dans certaines situations – qui ont été précisées, après un travail interministériel visé par le Conseil d'État et voté par le Parlement –, les militaires doivent intervenir pour faire cesser un péril imminent ou sa répétition, et non plus simplement en cas de légitime défense, cas qui avait initialement justifié une extension des dotations en armes de poing.
S'agissant de Sentinelle, il y a eu deux phases de réflexion dans la conduite des travaux interministériels. La première phase est celle d'une décantation interne aux armées. Pour celles-ci, il s'est agi d'un bouleversement quasi historique, puisque, à cause de l'opération Sentinelle, la mission nationale a retrouvé, par rapport aux opérations extérieures, une prévalence qu'elle n'avait plus depuis vingt ans. En 2015, 8 000 soldats étaient déployés sur le territoire national pour Sentinelle, soit davantage qu'en opérations extérieures. Lorsque l'on examine l'évolution de la doctrine militaire, on constate que la mission des armées, hormis la dissuasion, consiste dans la projection extérieure, laquelle implique une réduction de leur empreinte au sol en raison de la réduction des effectifs, de la fin de la conscription et de la constitution de bases de défense. L'armée retrouve ainsi, avec l'opération Sentinelle, une sorte d'empreinte territoriale, un ancrage, un contact avec la population, qui avaient tendance à disparaître.
Cette réappropriation, qui a été surtout essentielle pour l'armée de terre – et qui a pu faire débat, certains craignant que la mission de protection intérieure ne la détourne de ses autres missions, notamment extérieures – cette réappropriation, disais-je, a d'abord permis de retrouver un équilibre entre les trois armées. De fait, l'armée de l'air et la marine continuaient à remplir quotidiennement une mission de sécurisation du territoire à travers la protection des approches maritimes et la sûreté aérienne. On avait craint, au départ, que cela ne provoque une désorganisation, y compris doctrinale, mais un effort de travail interne aux armées a permis de retrouver une forme de cohérence. Certes, la mission de protection du territoire national est présente dans tous les Livres blancs, mais elle était devenue de facto résiduelle puisqu'en raison de la réduction du format de l'armée de terre et de la rétractation de sa présence territoriale, cette dernière était de moins en moins appelée à participer à des missions de service public que dans les années 1970 ou 1980.
La question s'est ensuite posée de savoir si, au sein des armées, un certain nombre d'unités, de régiments, devaient se spécialiser dans l'accomplissement de cette mission. La réponse a été négative, même si dans les faits, certaines unités ont été davantage mises à contribution que d'autres. Il s'agissait d'une situation temporaire, car la remontée du format de l'armée de terre permettra de retrouver une forme d'harmonisation. Aussi les arbitrages qui ont été rendus ont-ils été, me semble-t-il, les bons : il a été décidé que l'opération de protection territoriale serait accomplie à tour de rôle par les unités, de sorte que les militaires l'intégreront à leurs autres missions, notamment celle de projection extérieure.
N'oublions pas que, dans le cadre de ses interventions extérieures, l'armée de terre assure bien souvent la protection des populations, avec également les mêmes réserves quant à l'usage des armes. Ainsi l'armée de terre a-t-elle fait le choix, au départ, de privilégier l'homogénéité, en considérant que le FAMAS, le bâton et la bombe lacrymogène étaient un équipement suffisant. Puis elle a évolué, estimant – au départ, je le répète, pour des raisons liées à la légitime défense – que la dotation en armes de poing pouvait être utile ; nous l'avons suivie dans cette évolution. Se pose alors la question de la participation éventuelle des militaires à une intervention en tant que premiers arrivés – j'y reviendrai.
À partir de l'attentat du Bataclan, les interrogations liées à l'utilisation de l'opération Sentinelle – je pense à la présence des militaires pour sécuriser Saint-Denis ou à proximité du Bataclan – proviennent essentiellement du ministère de l'intérieur. Par ailleurs, une réflexion sur les moyens de sécurité intérieure a conduit Bernard Cazeneuve à annoncer, en avril, une réforme importante s'agissant des forces d'intervention. Nous avons en effet appris de l'attentat du Bataclan que face aux modes d'action des terroristes nous n'avions pas le temps de la préparation, de sorte que, si nous voulions sauver le plus grand nombre possible de vies humaines, il fallait que les moyens d'action qui arrivent en premier sur les lieux interviennent en premier, quelle que soit la chaîne d'appartenance ou la territorialisation. D'où la nécessité d'être en mesure de dépêcher très promptement, dans n'importe quelle partie du territoire, une force capable d'intervenir et formée pour cela : RAID, GIGN, BRI, mais aussi la BAC et des Pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG).
Dès lors, la question s'est posée de savoir si et comment les militaires pourraient intervenir. Ce point a été très récemment abordé avec le GIGN et les commandos de marine à propos du terrorisme maritime. Dans ce cas, la logique veut que les forces qui sont en situation de réactivité puissent intervenir, l'arbitrage étant rendu par les autorités chargées de la sécurité – ministre de l'intérieur et préfet – qui tiendront compte de la zone, territoriale ou portuaire. Nous travaillons donc pour que la réactivité puisse être densifiée au maximum en fonction des forces disponibles.