Intervention de Louis Gautier

Réunion du 25 mai 2016 à 16h15
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Louis Gautier, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale :

Il est vrai que nous traversons actuellement une période de tension liée à l'activité opérationnelle menée à la fois sur des théâtres extérieurs et sur le territoire national. Si la France devait participer à une autre opération, des choix s'imposeraient – mais c'est toujours le cas. N'oubliez pas que le format des armées tel qu'il était prévu en programmation envisageait la disparition de 19 000 effectifs ! Si la décision n'avait pas été prise d'alléger les déflations et d'augmenter la dotation de l'armée de terre, notamment la force d'action terrestre, qui doit compter à terme 10 000 hommes de plus, la contrainte serait extrêmement forte et impliquerait de dégrader les autres missions. Tel n'a pas été le cas, puisque la modification du contrat opérationnel de protection débouche sur une révision du format des armées.

J'en viens aux autres questions. Je vous transmettrai un tableau qui retrace l'ensemble des mesures prises depuis 2012 et après 2015 dans divers domaines. Je pense, par exemple, à la question des drones, au criblage ou aux points d'importance vitale classés Seveso, dont le Premier ministre vient de décider d'augmenter le périmètre. Le domaine maritime était un angle mort en matière de protection. Des contrôles ont donc été organisés, notamment des fouilles de véhicules sur les ferries à destination de la Corse, de l'Algérie ou de l'Angleterre. Ce travail est accompli dans tous les domaines, y compris dans le transport ferroviaire qu'a évoqué M. Cavard. Ensuite, des arbitrages sont nécessairement rendus. Mais ce qui ne serait pas acceptable, c'est qu'un tel diagnostic n'ait pas été posé, que les failles n'aient pas été identifiées et comblées lorsque c'est possible.

Nous accomplissons ce travail en nous fondant sur les signalements et les informations que nous transmettent les services de renseignement sur la nature de la menace. S'agissant de la menace chimique, il est de la responsabilité du SGDSN de veiller à l'application du contrat interministériel de protection. Nous avons ainsi passé des commandes en urgence, rectifié un certain nombre de situations, mis sous tension les différentes chaînes : protection civile, services de santé, équipement des forces d'intervention... Ce travail peut être très conséquent, mais il nous incombe de le faire de manière systématique.

Au moins bénéficions-nous, en France, d'outils de planification. En outre, cette catégorie un peu à part que forment les opérateurs d'importance vitale, qui n'existe pas dans les autres pays, nous permet d'avoir des relais favorisés avec la SNCF, Aéroports de Paris, EDF, etc. Nous pouvons ainsi, par l'intermédiaire des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité présents dans les grandes chaînes ministérielles, établir des diagnostics avec les opérateurs et les industriels et discuter avec eux de leur niveau de protection et de son éventuel renforcement. Dans le domaine du transport aérien, par exemple, nous nous sommes occupés, avec la Direction générale de l'aviation civile (DGAC), du contrôle des vols entrants ou de la sécurisation des aéroports dans les pays qui sont des destinations touristiques prisées des Français. Au cours de l'année 2015, les adaptations ont été recherchées dans tous les grands secteurs.

Par ailleurs, vous avez évoqué, en creux, la problématique de la résilience et de la prévention. Le SGDSN est en bout de chaîne entre les administrations et l'échelon politique gouvernemental. Élaborer des plans Vigipirate à destination des préfets, c'est très bien, mais, depuis les attentats du Bataclan, les demandes appellent des réponses extrêmement concrètes. On l'a vu récemment, par exemple, lorsque certains proviseurs se sont demandé s'il fallait continuer d'imposer aux élèves de fumer à l'extérieur des établissements. Nous avons répondu rapidement à ces demandes, notamment en lançant des campagnes de prévention – affichage, distribution de guides… – même si, au départ, cela a suscité quelques interrogations. Ce sont les directeurs de théâtre, de cinéma, d'école ou les responsables d'association sportive qui en ont fait la demande à l'État. Nous y avons répondu, SGDSN et SIG conjointement.

La menace risque de perdurer plusieurs années. Elle implique donc l'apprentissage par nos concitoyens des réactions appropriées et des gestes qui sauvent. Par ailleurs, nos systèmes d'alerte dataient du XIXe siècle. Nous sommes donc en train de créer, avec la Direction générale de la protection civile, une application mobile qui permettra à ceux qui l'auront téléchargée de savoir, en cas de crise ou d'urgence, où il ne faut pas se rendre, quelle est la ligne de métro qu'il ne faut pas emprunter, où sont les hôpitaux les plus proches, etc. Tout cela me semble répondre aux attentes de la population. Il est également important que la menace puisse être signalée. Or on sait bien que, comme en matière de radicalisation, la remontée des signaux faibles passe par la formation de ceux qui sont en bout de chaîne.

Par ailleurs, les Britanniques, dont je rappelle qu'ils ont été confrontés durant de longues années au terrorisme irlandais, ont maintenu un dispositif équivalent à l'opération Sentinelle qu'ils appellent « Opération Temperer » et qui mobilise 5 100 soldats pendant une durée d'au plus 14 jours. Presque tous les pays recourent à leurs armées pour faire face à des situations exceptionnelles et alléger le travail des forces de sécurité.

Quant au rééchelonnement des plans, nous nous employons à ce que le plan Vigipirate nouvelle formule prenne le relais de l'état d'urgence, en tenant compte de la récente modification de notre droit – je pense à la loi sur le renseignement ou à celle qui concerne l'action des forces de police. Ce plan comportera trois postures : une posture de vigilance, une posture de vigilance renforcée – qui ont toutes deux vocation à être permanentes et pour lesquelles les niveaux de déploiement militaire ne doivent pas être figés, de manière à permettre la réversibilité –, et une posture « Urgence attentat » ou « Alerte attentat », qui doit être momentanée et permettre d'imposer, pendant un court laps de temps, une série de mesures de contrainte. Au moment de l'assaut de Saint-Denis, par exemple, la posture « Alerte attentat » signifiait notamment que le trafic routier pouvait être interrompu et que les activités périscolaires étaient interdites.

Comment mieux coordonner les ordres ? Cette question a fait l'objet d'une double réflexion. Au sein du ministère de la défense, tout d'abord. Je rappelle en effet que, si la planification de la mission de l'opération Sentinelle et de ses objectifs est définie par le ministère de l'intérieur et le préfet de zone, la planification de ses moyens, quant à elle, relève de l'état-major. S'est donc toujours posée, en particulier à Paris, la question de l'ajustement entre ses deux chaînes de planification afin d'améliorer l'adéquation entre les missions et les moyens. Ainsi le préfet de police de Paris a-t-il proposé un système de sectorisation, d'îlotage, qui a permis d'alléger la charge de travail des militaires d'environ soixante-dix gardes statiques.

Le premier travail a été réalisé, je le disais, au sein des armées. En effet, dans le cadre de l'ancienne mission de protection, la nécessité d'impliquer les échelons d'encadrement intermédiaire n'avait pas été suffisamment perçue. Pour les lieutenants et les capitaines, leur place au coeur de la mission n'était pas claire : la patrouille est menée par un caporal-chef ou un sergent et le contact avec les élus locaux, le préfet ou le commissaire de police est pris par un officier supérieur. Il a donc été décidé – et je pense que le général Bosser vous le confirmera – de réengager les chefs de proximité, de façon à mieux les former à la mission, à mieux baliser les règles d'engagement et à les impliquer davantage sur le terrain. Ainsi, ce sont eux qui prennent désormais contact avec les responsables du site d'accueil et les commissariats de police ou les brigades de gendarmerie.

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