Intervention de Bernard Bajolet

Réunion du 25 mai 2016 à 16h15
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Bernard Bajolet, directeur général de la sécurité extérieure, DGSE :

Un noyau était actif dès les années 1990, avec le Groupe islamique armé (GIA) algérien, le Groupe islamique combattant marocain (GICM) ou le Groupe islamique combattant en Libye (GICL). Des gens qui avaient combattu en Afghanistan jouaient un rôle assez important dans ces groupes. La nouvelle génération, qui part faire le jihad pour des raisons variées, est encadrée par ces personnes plus aguerries qui ont toute une histoire dans le jihad.

En ce qui concerne les besoins juridiques, je tiens tout d'abord à remercier le Parlement du vote des deux lois très importantes de juillet et novembre, qui donnent une base juridique beaucoup plus solide à l'activité de nos services. Contrairement à ce que j'ai pu lire dans la presse, cela ne veut pas dire qu'avant la loi, nous espionnions « massivement les Français sans aucune base légale ». Les seuls Français que nous espionnions étaient des terroristes, et nous travaillions sur le fondement d'une jurisprudence de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS). Mais, dans notre système juridique, la jurisprudence n'a pas la même force que la loi. Ces lois apportent donc une vraie sécurité juridique à nos services. Elles ont pour contrepartie des contrôles beaucoup plus serrés et beaucoup plus étendus, car, au-delà des seules interceptions de sécurité, toutes les techniques font maintenant l'objet d'un contrôle, ce qui est une bonne chose.

Ces textes comportent naturellement des imperfections, car ils sont le résultat d'un débat démocratique. Lorsque l'on débat de sujets techniques, les résultats ne sont parfois pas complètement satisfaisants. Mais, dans l'ensemble, ce sont de très bonnes lois. Je ne pense pas qu'il en existe ailleurs dans le monde d'aussi détaillées et aussi précises sur l'activité des services, notamment en matière de surveillance internationale. Et contrairement à ce que j'ai lu, si je dis que ces lois sont bonnes, cela ne signifie pas qu'elles ont été dictées par les services, et ce n'est pas parce que les services sont satisfaits de ces lois qu'elles ne sont pas bonnes. Ces textes sont une grande avancée, car, contrairement à ce que je lis encore parfois sur de soi-disant « barbouzeries » imputées à la DGSE, il n'est aujourd'hui plus imaginable qu'un agent d'un service comme le mien puisse agir en contrariété avec la loi française.

Si la loi a comblé nombre de nos besoins, il en reste un qui n'a pas été satisfait : nous avons besoin d'accéder à certaines données judiciarisées. Pour autant, il faut éviter la judiciarisation du renseignement. Quand les juges ont besoin de documents classifiés, une procédure de déclassification est prévue : avis de la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN) et décision du ministre de la défense pour ce qui concerne la DGSE. Mais il faut évidemment utiliser cette procédure avec circonspection, car, si le renseignement était systématiquement judiciarisé, cela poserait un problème pour nos sources et pour la discrétion et la clandestinité de nos opérations. Nous n'écririons ni ne ferions plus rien. Il faut donc travailler à aider la justice tout en étant conscient des limites, que nous impose d'ailleurs le principe de la séparation des pouvoirs. Des solutions sont sans doute possibles pour permettre à chacun d'exercer au mieux sa mission : le juge pour la manifestation de la vérité et l'officier de renseignement pour la prévention de la menace.

Une fois qu'un renseignement est judiciarisé, il serait souhaitable d'éviter de faire le vide trop largement autour, au point que cela nous empêcherait de faire notre travail de prévention, en amont. Lorsqu'un portable ou un ordinateur est saisi dans une perquisition, le cas est judiciarisé. Nous n'avons pas accès aux données d'investigation numériques, ce qui constitue un handicap. Le juge travaille en répression, mais nous devons pouvoir travailler en prévention d'autres attentats, en remontant les données contenues dans un téléphone ou un ordinateur pour identifier les membres d'un réseau déterminé, qui peut encore frapper, en particulier depuis l'étranger. Certains de nos partenaires européens et d'outre-Atlantique nous disent que les données d'investigation numériques sont un élément essentiel de leurs activités de contre-terrorisme : une copie des données numériques est systématiquement communiquée aux services, avec l'autorisation du juge.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion