Intervention de Hélène Crocquevieille

Réunion du 12 mai 2016 à 9h00
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et des droits indirects :

L'administration des douanes, que je dirige depuis plus de trois ans, se caractérise par la multiplicité de ses missions : économique, fiscale et de protection du territoire. C'est essentiellement au titre de sa mission de protection que la douane contribue, aux côtés des ministères de l'intérieur et de la défense, à la lutte contre le terrorisme. Grâce à la diversité de ses outils mais également à ses méthodes de travail, la douane est aujourd'hui considérée par les administrations en charge de la sécurité comme un partenaire fiable dans ce domaine.

Dès 2014, les services douaniers ont procédé à l'interpellation de Mehdi Nemmouche, à l'occasion du contrôle d'un bus Eurolines à Marseille, et, en janvier 2015, une brigade de surveillance en contrôle à Modane appréhendait deux individus soupçonnés d'être impliqués dans les tentatives d'attentats ayant donné lieu la veille en Belgique au démantèlement de la cellule dite de Verviers. Ainsi, la douane, dans le cadre de ses missions normales de surveillance du territoire, peut être en première ligne dans la lutte contre le terrorisme.

J'exposerai dans un premier temps les grandes lignes de la contribution de mon administration à la lutte contre le terrorisme et, dans un second temps, j'apporterai un éclairage sur le plan de renforcement de notre action en matière de lutte contre le terrorisme et de contrôles aux frontières présenté par le secrétaire d'État au budget le 22 janvier.

L'administration des douanes dispose de moyens juridiques et opérationnels lui permettant d'intervenir dans la lutte contre le terrorisme et son financement. Grâce à son positionnement privilégié sur les frontières, à son expertise et à ses moyens en matière de sécurisation des flux de marchandises et de personnes, mais également grâce à sa capacité de lutte contre les grands trafics, la douane inscrit son action dans une démarche de complémentarité et de coopération avec les services spécialisés.

Les contributions de la douane à la lutte contre le terrorisme sont de différentes natures. Tout d'abord, la douane assure la prévention des actes terroristes dans le cadre de ses missions spécifiques de contrôle en matière de sûreté et de sécurité du fret aérien et portuaire. Elle met ainsi en oeuvre le programme communautaire ICS (Import Control System) – véritable PNR de la marchandise – qui impose aux opérateurs et logisticiens d'adresser à la douane, au premier point d'entrée dans l'Union européenne, une déclaration sommaire décrivant le contenu du fret, ainsi que des éléments en matière d'origine et de destination. Sur la base de ces transmissions – plus de sept millions de déclarations déposées auprès de la douane française en 2015 –, les services douaniers conduisent une analyse de risque et un ciblage afin de procéder à des contrôles efficients.

Toujours en matière de sécurisation des échanges de marchandises, la douane participe très activement à l'initiative de sécurité contre la prolifération, le programme PSI (Proliferation Security Initiative), qui a pour objectif d'intercepter les flux illicites de biens proliférants par mer, air et terre. L'administration des douanes apporte une expertise juridique et assure le plus souvent le contrôle et la saisie des marchandises déroutées ou arrivant par voie maritime pour le compte du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).

S'agissant du contrôle des personnes, la douane mobilise un peu plus de 500 agents pour assurer la sûreté des flux de marchandises et de voyageurs empruntant le site du tunnel sous la Manche et les gares Eurostar. Elle est ainsi en charge de la détection d'armes et d'explosifs sur les individus et dans les bagages.

Comme vous le savez, l'administration des douanes s'est particulièrement investie dans les travaux de préparation du PNR, qui vise à faciliter le traitement des données des passagers pour rendre plus efficaces les contrôles. Depuis septembre 2015, la nouvelle plateforme interministérielle, l'unité d'information passagers (UIP), est ouverte dans les locaux de la douane à Roissy. L'UIP est chargée de la collecte, du traitement et de la diffusion des données provenant des compagnies aériennes. Sa montée en charge opérationnelle est prévue courant 2016 et le PNR français devrait être opérationnel d'ici à la fin de l'année. Les données de cette plateforme seront mises à la disposition des services de contrôle dans chaque aéroport de France.

Dans un cadre interministériel, la douane participe également à la lutte contre l'immigration irrégulière. Les services de la surveillance terrestre et aéromaritimes sont ainsi mobilisés sur quatre-vingt-deux des 131 points de passage frontaliers (PPF) en métropole et sur quatorze PPF sur trente-sept en outre-mer. Dans le cadre de cette mission, l'administration des douanes met en oeuvre le régime des interdictions de sortie du territoire qui participe au dispositif de lutte contre le phénomène des combattants étrangers.

En ce qui concerne le contrôle des flux financiers, la douane, par le biais de sa législation sur les transferts physiques de capitaux, est un acteur majeur de la lutte contre le blanchiment de fonds et le financement du terrorisme. Les contrôles opérés sur le respect de l'obligation déclarative des capitaux entrants et sortants du territoire permettent d'intercepter des sommes, titres ou valeurs susceptibles de provenir d'une activité illicite ou d'y être destinés. Ainsi, en 2015, parmi les dossiers de constatations de manquement à l'obligation déclarative (MOD), le service national de la douane judiciaire (SNDJ) a démontré un blanchiment douanier dans cinquante-deux dossiers et, dans les quatre-vingt-quatorze autres dossiers, un blanchiment de droit commun, soit un total record de 146 dossiers judiciaires pour blanchiment.

Cela montre que la détection de MOD est un moyen juridique formidable pour mettre en lumière des délits de blanchiment. Ces derniers mois, les services douaniers ont constaté plusieurs MOD sur des sommes d'argents importantes – plus de 3 millions d'euros – détenues par des personnes de nationalité syrienne résidant en Europe. Les enquêtes judiciaires en cours auront vocation à démontrer les liens éventuels entre le MOD et le blanchiment ou le financement du terrorisme.

En ce qui concerne la lutte contre les trafics et la criminalité organisée, la DNRED, service à compétence nationale, est en charge du renseignement et de la lutte contre la grande fraude internationale douanière. Elle travaille notamment sur des infractions douanières sensibles à la menace terroriste, comme les trafics de tabac ou de contrefaçons, qui constituent des sources potentielles de financement d'individus appartenant à des mouvances islamistes radicales. À titre d'exemple, des enquêtes de la DNRED ont pu démontrer l'implication d'individus radicalisés dans des trafics de contrefaçons de vêtements ou de matériel informatique ; les gains issus de ces trafics servaient à financer des groupes islamistes radicaux en France et à l'étranger.

Vous l'aurez constaté, les contributions de mes services à la lutte contre le terrorisme sont nombreuses et variées. Des résultats significatifs ont pu être obtenus ces derniers mois dans ce domaine.

J'en viens au renforcement des moyens de la douane à la suite des attentats. Début 2015, face à la dégradation de la situation sécuritaire liée au terrorisme, l'administration des douanes a accéléré la modernisation de ses structures, renforcé la sensibilisation de ses agents à la menace terroriste et mis en place des circuits de remontée du renseignement vers un service dédié, le groupe opérationnel de lutte contre le terrorisme (GOLT), au sein de la DNRED.

Suite aux attentats de novembre 2015, conformément aux engagements du Président de la République, un plan de renforcement de l'action de la douane en matière de lutte contre le terrorisme et de contrôles aux frontières a été présenté par le secrétaire d'État au budget. S'inscrivant dans le prolongement de mesures qui avaient déjà été décidées en interne au début de l'année 2015, ce plan prévoit un renforcement de nos effectifs, moyens opérationnels et outils juridiques. Il consacre définitivement la douane comme un acteur essentiel du pacte de sécurité évoqué par le Président de la République et une administration incontournable dans le dispositif de réponse à la menace terroriste.

Ce plan vise en premier lieu à renforcer notre capacité de contrôle aux frontières en cas de crise majeure, comme celle que nous avons connue fin 2015. À ce titre, la douane bénéficie de mille agents supplémentaires en 2016 et 2017, ce qui inverse la courbe d'évolution de nos effectifs, en décroissance depuis vingt ans. Ces agents seront affectés en priorité aux brigades de surveillance chargées des contrôles aux frontières terrestres et dans les lieux sensibles de passage de marchandises comme les centres de tri de fret express ou de fret postal. Des effectifs supplémentaires doivent également être consacrés au renforcement des contrôles de sûreté, en matière de recherche d'armes et d'explosifs, sur la liaison Transmanche et le fret routier.

Le plan d'action prévoit en outre un programme d'équipement permettant d'accroître les capacités d'action des douaniers et de renforcer leur sécurité. Les capacités de dissuasion et de riposte des unités de la surveillance terrestre doivent être adaptées afin de garantir la sécurité des agents et l'efficacité des interceptions. C'est pourquoi, après une formation spécifique, les unités exposées vont progressivement être dotées de pistolets-mitrailleurs, armes collectives qui compléteront les armes de poing individuelles insuffisamment dissuasives. En outre, une enveloppe de plus de 6 millions d'euros va être allouée à la dotation des unités douanières en équipements de protection – gilets pare-balles – et d'interception. Ces équipements ont été commandés et leur distribution est en cours.

La communication en période de crise étant fondamentale, le plan prévoit d'accélérer la dotation de nos services en nouveaux moyens radio, qui seront raccordés à ceux du ministère de l'intérieur.

Par ailleurs, les services de la surveillance doivent pouvoir s'appuyer sur des centres opérationnels terrestres réactifs, assurant la coordination de nos équipes entre elles et avec les autres services de sécurité intérieure, pour une transmission de l'information en temps réel. C'est au sein de ces centres opérationnels que remonte l'information issue des lecteurs automatiques de plaques minéralogiques (LAPI), dont la douane poursuit le déploiement ; d'ici à 2017, elle devrait compter quatre-vingt-cinq capteurs répartis sur l'ensemble du territoire, en réseau avec les LAPI du ministère de l'intérieur.

Outre le renforcement des moyens humains et matériels, la collecte, l'analyse et le partage du renseignement sont au coeur du plan de lutte contre le terrorisme. Le GOLT a été profondément réorganisé et ses effectifs renforcés afin de dynamiser le renseignement douanier. Les modalités de remontée de l'information vers le GOLT ont été formalisées fin 2015 et un réseau de correspondants du GOLT mis en place au sein des services douaniers. Le GOLT est désormais l'unique point de contact en matière d'antiterrorisme en douane. Il reçoit en moyenne de soixante à soixante-dix fiches de signalement par semaine et travaille en étroite collaboration avec la DGSI et les services de renseignement locaux.

Il a en outre été décidé de renforcer les moyens de la cellule Cyberdouane. Sur le plan opérationnel, la douane porte actuellement une mesure dans le cadre du projet de loi tendant à renforcer la lutte contre le crime organisé, afin de permettre aux agents de la cellule Cyberdouane d'effectuer des enquêtes sous pseudonyme et de lutter ainsi plus efficacement contre les grands trafics, y compris dans le Darknet. Je souligne le besoin pour mon administration de disposer de cet outil juridique. À défaut, nous resterons dans l'incapacité d'enquêter efficacement sur internet.

L'ensemble de la communauté douanière a été sensibilisée à la problématique du terrorisme et de la collecte du renseignement. Les modules de formation ont été adaptés.

Acteur incontournable du contrôle des flux de marchandises, la douane doit également accroître son efficacité dans la lutte contre les grands trafics, susceptibles d'avoir des connexions avec le terrorisme, notamment le trafic d'armes et d'explosifs. La douane est l'autorité en charge de la délivrance des autorisations de circulation intracommunautaire des armes à feu, de leurs éléments et munitions. Dans le cadre du projet de révision de la directive européenne relative au contrôle de l'acquisition et de la détention des armes, la douane soutient actuellement la création d'un système dématérialisé et automatisé d'échange d'informations au niveau européen afin de sécuriser les flux et d'assurer une traçabilité réelle des armes, des munitions et de leurs éléments. Ce dispositif devrait prendre la forme d'une plateforme européenne dématérialisée.

Au plan national, la douane vient de finaliser un plan d'action de lutte contre le trafic illicite d'armes à feu, complémentaire du plan national présenté par le ministre de l'intérieur le 13 novembre 2015. Ce plan vise à renforcer les moyens juridiques, opérationnels et de renseignement de la douane. Parmi les mesures envisagées, figurent la possibilité pour les agents spécialisés de mettre en oeuvre des procédures d'infiltration et de coup d'achat pour lutter contre le commerce illicite d'armes. Ce plan d'action prévoit également de constituer au sein de la DNRED un groupe d'investigation spécialisé en matière d'armes, mais également d'orienter les outils d'analyse de risque et de ciblage aux fins d'identification des flux suspects, en particulier dans le fret express et postal.

Afin de renforcer l'efficacité des contrôles et d'identifier les flux illégaux, le plan de lutte contre le terrorisme de janvier 2016 prévoit non seulement de renforcer les effectifs des cellules en charge du ciblage ICS, du fret postal et du fret express, mais également de doter les unités douanières de nouveaux moyens de détection non intrusifs plus performants – appareils à rayons X – sur les plateformes portuaires et aéroportuaires.

Enfin, le plan consacre la douane comme un acteur essentiel de la lutte contre le financement du terrorisme. Grâce aux constatations de manquements à l'obligation déclarative et aux déclarations de capitaux, la douane est en mesure de mettre à jour des phénomènes criminels de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Pour accroître ses capacités, le projet de loi relatif à la lutte contre le crime organisé et le terrorisme et leur financement crée l'article 415-1 du code des douanes de manière à faciliter la charge de la preuve en matière d'infraction douanière de blanchiment, imposant à l'infracteur de prouver la licéité de l'origine des fonds qu'il transporte frauduleusement.

Afin d'être en capacité de traiter les nouveaux dossiers de contentieux liés au blanchiment, les services d'enquête administratifs nationaux mais également le SNDJ verront leurs effectifs renforcés courant 2016.

En conclusion, grâce à une mobilisation forte de l'ensemble de la communauté douanière, les progrès que nous avons réalisés ces dernier mois pour nous adapter à cette nouvelle menace sont significatifs. Le soir du 13 novembre dernier, notre dispositif a été adapté dans l'urgence afin de répondre aux circonstances exceptionnelles. Cette urgence s'est transformée en un mode d'organisation à moyen terme.

Une cellule de crise a immédiatement été mise en place au sein de la direction générale et la DNRED a mobilisé l'ensemble de ses services spécialisés. Pendant plusieurs jours, la douane a travaillé en étroite collaboration avec les autres services spécialisés, DGSI, PAF…, contribuant à l'identification des individus et des véhicules soupçonnés d'être impliqués dans des attentats ou d'en préméditer. Cela a abouti à des dispositifs pérennes de coopération renforcée.

Je me tiens à votre disposition pour répondre à des questions complémentaires.

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