Intervention de Patrick Pelloux

Réunion du 14 mars 2016 à 14h00
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Patrick Pelloux, médecin urgentiste :

Il vous faudra établir la chronologie de la présence des pompiers au Bataclan avec le général commandant des sapeurs-pompiers. C'est probablement en raison de la présence du Pr Safran, à la fois médecin de la BRI et ancien membre de la BSPP qu'a été soulevée la problématique de la présence des pompiers sur place. Ce qui est sûr, c'est que dès l'assaut donné, les premiers médecins entrés ont été les médecins des sapeurs-pompiers ; M. Jean-Pierre Tourtier, médecin-chef de la BSPP, peut vous en parler. Dès que l'information a été diffusée, les secours ont pu arriver, avec les véhicules, devant le Bataclan. Le problème n'était pas que les cordons de police ont empêché le passage mais que nous ne savions pas ce qui nous attendait. La difficulté tient à ce qu'il faut protéger les personnels et l'action des secours ; à cela s'ajoute la notion latente de « sur-attentat ». La difficulté est inhérente à cet exercice de guerre. Je reprends un instant ma casquette de défense sociale pour souligner que ce type d'intervention fait désormais partie, hélas, des risques professionnels. Ma génération pensait ne pas connaître la guerre, et nous y sommes.

Mais, j'y insiste à nouveau, la coordination entre les commandements doit s'améliorer considérablement pour que l'on sache exactement qui fait quoi dans les services de police. J'ai assisté à un colloque au cours duquel un représentant de la BRI affirmait que « c'est la BRI qui décide ». Or, quand nous arrivons, la BRI est certes sur le terrain, mais nous ne pouvons en voir les membres. Et quand j'ai demandé quel était le rôle des militaires, il m'a été répondu : « La circulation »… ce qui est faux : ils n'ont jamais fait la circulation ! Il est très difficile de savoir qui fait quoi dans la Police nationale et cela pose un problème réel. De même, les cellules de crise qui se sont créées dans le domaine de la santé ne coopèrent pas : elles sont redondantes. Malgré cela, nous parvenons à être efficaces. Les sapeurs-pompiers de Paris travaillent désormais avec la Police nationale, avec une régulation commune, ce qui leur donne accès à ce que les 3 000 caméras installées à Paris donnent à voir. Il faudra obliger les équipes à une meilleure collaboration physique ; nous y gagnerons en efficience.

Vous m'avez interrogé sur l'analyse de la répartition des secours. Nous sommes allés à l'aveugle mais, en gros, partout où des secours étaient nécessaires, il y a eu des médecins. Pour être entré dans les locaux de Charlie Hebdo et y avoir vu mes amis massacrés, je puis témoigner que dans une situation de ce genre, chaque minute semble une éternité. J'ai immédiatement appelé le SAMU, et le commandant Tourtier les pompiers. Je suis resté en tout dix minutes dans cette pièce, et j'ai vieilli de cent ans. Au Bataclan, parmi les gens restés en vie sous des cadavres, certains ont effectivement attendu une heure ou une heure et demie, d'autres une dizaine de minutes, et ceux-ci ont également eu l'impression que l'attente a été interminable. Il faut comprendre l'état de sidération et l'anéantissement dans lequel chacun se trouvait et ne pas remettre en cause leur témoignage.

S'agissant de la formation des personnels, soyez assurés que depuis les attentats de janvier 2015, nous avons tous relu les ouvrages relatifs aux prises en charge de plaies par armes de guerre. Un colloque été organisé au cours duquel ont pris la parole des médecins intervenus en Afghanistan. Au SAMU de Paris, le Pr Carli fait venir régulièrement des médecins militaires, notamment ceux qui sont affectés à la protection de la présidence et du Premier ministre. Nous avons donc beaucoup progressé sur le plan technique ; nous savons qu'en cas de blessure thoracique ou abdominale par arme de guerre, il faut perfuser un coagulant, saturer la plaie d'hémostatiques, maintenir le blessé en position semi-assise et le transférer au plus vite au bloc opératoire.

Nous essayons de former le personnel le plus vite possible. Urgentiste, je suis impatient, et j'aimerais que cela aille beaucoup plus vite, mais chacun ici connaît les travers français : le millefeuille administratif complique les choses. Malgré cela, nous avons rattrapé notre retard de formation. Maintenant, il est fondamental de mettre au point un schéma de secours réactif fort, avec des secouristes surentraînés capables d'aller chercher les victimes en zone de danger pour les emmener au plus vite vers l'hôpital pour les sauver.

Enfin, je n'ai jamais eu d'explication sur un fait que je juge troublant. Lors des attentats du 7 janvier, le prédicateur dont les frères Kouachi suivaient les prêches était exactement là où il fallait : au service des urgences de l'hôpital La Pitié-Salpêtrière. En dépit de ses condamnations, cet homme a pu suivre un de ces cursus très « droit-de-l'hommiste » grâce auxquels des individus ayant purgé une peine de prison peuvent faire des études de santé, ce qui était interdit auparavant. Il l'a fait, a validé ce cursus et, le jour des attentats, il se trouvait au-dessus de la salle de réveil, là où ont été regroupés le plus grand nombre des blessés. Je n'ai jamais obtenu d'explications à ce sujet, non plus que Martin Hirsch. La possibilité qu'il exerce est maintenant soumise à la décision du directeur de l'ARS. Il ne faut pas être dupe : on ne sait combien d'individus signalés par une fiche S travaillent dans les hôpitaux publics mais il y en a beaucoup et, contrairement à ce que laisse entendre le satisfecit de l'Observatoire de la laïcité, nous avons un réel problème avec l'exercice de la laïcité à l'hôpital public, notamment avec ceux qui prônent un islamisme radical.

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