À quel système de communications avez-vous recours en opérations extérieures, et pourquoi ne les utilisez-vous pas lors des opérations intérieures ?
Lieutenant-colonel D. D. En OPEX, nous travaillons avec des moyens de transmissions dédiés – des terminaux basés sur la technologie 4G – et c'est sans doute pour des raisons techniques, liées à la puissance des émetteurs ou à la réception en milieu urbain, que nous devons y renoncer en OPINT. Quoi qu'il en soit, je fais simplement le constat selon lequel communiquer sur le terrain au moyen de téléphones portables présente des inconvénients.
Par ailleurs, je pense que la rentabilité des missions qui nous sont confiées pourrait être améliorée. Ainsi, si les personnels affectés à la protection des lieux confessionnels étaient motorisés, et pouvaient effectuer des patrouilles d'observation plutôt que de rester statiques, nous disposerions d'une plus grande capacité d'action ; le jour des événements, nous aurions sans doute été en mesure de mobiliser un plus grand nombre de personnels, ou d'accélérer leur venue. Il me semble que nous aurions, là encore, intérêt à rapprocher notre mode d'action de celui auquel nous avons recours en opérations extérieures. Le fait d'être motorisés, par exemple, permet de passer plus facilement d'une mission à une autre.
Capitaine P-M. A. Je suis arrivé à Paris le 28 octobre, à la tête d'une unité composée de soixante soldats. Notre mission, essentiellement statique, consiste à assurer la protection de deux écoles et de cinq lieux de cultes – étant précisé que si un événement survient, ce sont les forces de sécurité intérieure qui doivent intervenir pour nous aider. Le soir du 13 novembre, mes unités avaient commencé à regagner leurs logements et une relève était en cours. Du point de vue de l'hébergement, mon unité présente la particularité d'être dispersée dans le sud du 11e arrondissement et ses abords ; quant à mon poste de commandement, il est situé, dans des conditions assez spartiates, dans les combles de la mairie du 11e arrondissement.
Cette répartition m'a permis de disposer rapidement d'un premier point de situation : vers vingt et une heures trente, mon chef de section – le maréchal des logis-chef G. A. –, alors en quartier libre, s'est trouvé par hasard rue de Charonne alors que la fusillade venait de se produire. Il m'a appelé pour me prévenir et m'a demandé l'autorisation de faire intervenir un groupe alors situé boulevard Voltaire. J'ai immédiatement donné mon accord – au vu de la situation, il ne fallait pas se poser trop de questions – et, dès l'arrivée des hommes sur place, le chef G.A. les a disposés de façon à former un cordon de sécurité autour du bar La Belle Équipe et du nid de blessés installés dans le restaurant Le Petit Baïona. Ce groupe de huit soldats arrivés au pas de course, munis de gilets pare-balles, de casques et d'armes longues, a eu pour effet immédiat de rassurer les personnes présentes, y compris les policiers, peu équipés pour faire face à une situation de ce genre. Dans la mesure où il n'était pas exclu que la voiture des terroristes fasse un deuxième passage, il fallait rapidement sécuriser tout le monde, y compris les sauveteurs, afin de leur permettre de porter secours aux blessés sans craindre de constituer eux-mêmes des cibles.
Le chef, jusqu'alors en vêtements civils, est remonté à pied à la mairie du 11e, où il m'a fait un point de la situation. Celle-ci, dont je suivais également l'évolution grâce au système radio ACROPOL, paraissait très confuse, mais j'étais certain d'un point : nous serions forcément utiles rue de Charonne. Après avoir rendu compte au colonel, j'ai donc fait converger tous mes effectifs disponibles vers cette zone afin de procéder à l'installation d'un dispositif de bouclage, avec le double objectif de protéger et de rassurer. À un moment donné, j'ai appris que l'un des groupes envoyés en renfort – celui du maréchal des logis R.D. – se trouvait tout près du 52, boulevard Voltaire, où une nouvelle attaque venait de survenir : il se tenait à une cinquantaine de mètres des assaillants ! Dans la mesure où il ne se passait plus rien rue de Charonne, j'ai décidé de laisser ce groupe sur place : ayant pu juger à l'entraînement de l'efficacité du maréchal des logis, je lui faisais pleinement confiance pour se sortir seul de cette situation – parallèlement, je poursuivais la montée en puissance du dispositif de la rue de Charonne.
Vers vingt-trois heures, après m'être assuré que mon dispositif était stabilisé, j'ai pris la décision de laisser la rue de Charonne entre les mains du chef G.A., et d'aller voir ce qui se passait boulevard Voltaire. J'ai trouvé mon groupe à une vingtaine de mètres de la façade du Bataclan, dans l'enfilade du passage Saint-Pierre-Amelot, derrière les véhicules d'intervention. La BRI et le RAID étaient en train de se déployer, et le chef d'opérations du RAID nous a donné l'ordre de couvrir la mise en place de ses groupes d'assaut, ce que nous avons fait, tout en sécurisant l'extraction des blessés dans le passage Saint-Pierre-Amelot grâce au véhicule blindé du RAID. Je laisse le soin au maréchal des logis R.D. de vous faire le récit de ce qui s'est passé à proximité du Bataclan, car il s'est trouvé directement au contact avec la BAC 94, sous les tirs de Kalachnikov.
Une fois la situation réglée au Bataclan, je suis retourné rue de Charonne, où une autre unité était arrivée en renfort entre-temps. Nous avons continué à assurer le bouclage des lieux jusqu'à cinq heures du matin, heure à laquelle nos personnels se sont retirés, laissant les équipes de la police judiciaire procéder à leurs relevés. Notre objectif au cours de cette nuit a consisté à nous rendre utiles avec les moyens dont nous disposions, sur les points que nous avions pu identifier, en appliquant les techniques apprises à l'entraînement et en opérations. Notre plus-value a consisté à être équipés d'un armement bien plus puissant que celui des policiers, d'un gilet pare-balles par personne, et à disposer de la maîtrise de procédés tactiques nous permettant de mettre en place, en coordination avec la police, des dispositifs solides, de nature à rassurer. Je précise que les contacts avec la police se sont faits plus facilement rue de Charonne qu'aux abords du Bataclan, où ils n'ont pu s'établir qu'au hasard des rencontres.