Pour ma part, je suis le chef adjoint du service qui regroupe les quatre CSI du ressort de la DSPAP — il y en a une par département en comptant Paris. J'ai une double casquette, puisque je suis aussi le chef de la CSI de Paris.
Pour que vous puissiez comprendre leur rôle dans ce dispositif, je vais vous expliquer brièvement ce que sont les CSI. Unités d'intervention polyvalentes, elles sont compétentes en matière d'anticriminalité comme les BAC, mais aussi en matière de maintien de l'ordre et de violences urbaines, et elles jouent un rôle de primo intervenant en cas de crise, c'est-à-dire face à des preneurs d'otage, des terroristes ou des forcenés. Les CSI interviennent alors avant l'arrivée des corps spécialisés de troisième rang que sont le service Recherche assistance intervention et dissuasion (RAID) et la Brigade de recherche et d'intervention (BRI). Les CSI ont des unités en tenue, en civil, à moto. Elles ont aussi de petits groupes d'intervention appelés les groupes de soutien opérationnel (GSO). La CSI 75 envoie tous les jours environ vingt voitures et une dizaine de motos dans Paris. Le service des CSI est intervenu lors de tous les attentats qui ont eu lieu en Île-de-France en 2015 : Charlie Hebdo, Montrouge, la Porte de Vincennes, tous les lieux du 13 novembre, le commissariat du 18e arrondissement.
Le 7 janvier 2015, j'étais dans mon bureau. Sur les ondes radio, j'ai entendu qu'un appel à police secours venait d'être reçu, annonçant que deux individus encagoulés et munis d'armes d'épaule venaient d'entrer dans un immeuble situé rue Nicolas-Appert, sans plus de précision. J'ai pensé à un règlement de comptes ou à un vol à main armée. J'ai saisi mon GSO et j'ai demandé à mes hommes de commencer à s'équiper, leur expliquant que nous allions probablement intervenir pour poursuivre des braqueurs ou des auteurs de règlement de comptes. Le temps que je m'équipe et que je monte les rejoindre, les appels radio se sont multipliés. Nous avons compris qu'une fusillade était en cours dans le 11e arrondissement.
Il faut savoir que la DSPAP dispose de sept conférences — autrement dit de canaux – radio. Compte tenu du flux très important, une seule conférence ne permettrait pas d'assurer toutes les missions. Le problème est que l'on peut ne pas savoir exactement tout ce qui se passe en temps réel : au moment où la BAC du 11e arrondissement (BAC 11) intervenait sur la conférence 44, j'étais sur la 137. Il peut y avoir un petit délai dans les remontées d'information, mais nous n'avons pas trouvé de meilleur système : avec moins de conférences, nous ne pourrions pas travailler du tout.
Nous sommes alors partis vers la Porte de Pantin, la dernière direction annoncée sur les ondes radio comme étant celle des fuyards en Clio blanche. Nous pensions que, s'ils provoquaient un accident en conduisant trop vite, nous aurions une chance de les localiser. En ayant encore un peu plus de chance, nous pourrions même tomber sur eux et provoquer un accident pour les fixer à un endroit. Pendant une petite heure, nous avons tourné entre le nord de Paris et les villes limitrophes — Aubervilliers, Saint-Denis, Saint-Ouen. Malheureusement, nous n'avons jamais réussi à mettre la main sur ces individus. Nous sommes alors revenus dans le onzième arrondissement où nous avons sécurisé le périmètre de Charlie Hebdo pour éviter les risques de surattentat liés à l'arrivée sur place du Président de la République et des diverses autorités gouvernementales. Nous avons aussi activé le poste de commandement mobile de la DSPAP, un camion dont la CSI a la charge.
Le 8 janvier au matin, j'ai appris par France Info qu'une fusillade venait de se produire à Montrouge. Il se trouve que j'habite à Clamart, juste à côté de Montrouge. France Info n'avait rien de plus précis. J'ai allumé la radio de la police et me suis dirigé vers Montrouge. J'ai eu des difficultés à me faire communiquer la bonne adresse par la salle de commandement : c'est dire à quel point la fusillade était récente. Quand je suis arrivé sur place, il y avait déjà des policiers, et les premiers soins étaient donnés à la policière municipale, Clarissa Jean-Philippe, qui était en état de mort apparente. Dans cette optique de surattentat, j'ai pris le commandement des unités de la CSI des Hauts-de-Seine (CSI 92). Nous avons organisé un périmètre assez large, craignant d'être attaqués dans notre dos. À la fin de cette intervention, je suis reparti pour Paris.
Dans la matinée, nous avons été informés que les frères Kouachi étaient à bord d'une Clio grise, qu'ils avaient commis une grivèlerie d'essence vers Villers-Cotterêts et qu'ils roulaient sur une nationale en direction de Paris. La DSPAP a décidé de sécuriser les portes de Paris en organisant des postes de contrôle avec des fonctionnaires munis d'une protection balistique et d'un armement lourds, pour être en mesure d'intercepter le véhicule. Nous avons tenu cette position de 10 h 30 à vingt-trois heures, après quoi nous avons été relevés par la BAC de nuit de Paris. Ce sont les compagnies en tenue de la CSI qui ont assuré cette sécurisation des portes de Paris. Nos personnels en civil, nos motards et notre GSO étaient en patrouille dynamique dans Paris, afin de détecter d'éventuels actes de terrorisme et d'avoir une capacité de projection rapide.
Le vendredi matin, nous avons appris que les frères Kouachi étaient figés à Dammartin-en-Goële, ce qui nous permettait de relâcher un peu l'attention les concernant dans Paris, mais nous ne savions pas s'il y avait d'autres menaces. Vers treize heures, nous avons capté un message radio indiquant qu'un individu tirait à l'arme d'épaule sur la devanture du magasin Hypercacher de la Porte de Vincennes. Je m'y suis rendu assez rapidement, en venant de Paris. J'ai garé mon véhicule sur le grand rond-point de la Porte de Vincennes et j'ai pris le commandement des opérations à cet endroit puisqu'il y avait déjà beaucoup de policiers de différents commissariats. J'ai été rejoint par des véhicules de la CSI 75, avec des hommes mieux équipés que les policiers de commissariat.
Le magasin Hypercacher ouvre sur deux rues à angle droit, la façade principale étant située sur l'avenue de la Porte de Vincennes, et une porte de service donnant sur l'autre côté. L'auteur de la fusillade était retranché à l'intérieur. Dans ce genre de situation, la tactique vise à « limiter les dégâts » : il s'agit d'essayer de confiner l'individu apparemment lourdement armé à l'intérieur, pour éviter qu'il ne fasse un nombre encore plus grand de victimes en ressortant. On ne choisit pas délibérément de sacrifier ceux qui sont à l'intérieur, mais on essaie d'éviter que la situation n'empire. On s'efforce de l'empêcher de sortir en présentant une opposition armée aux diverses sorties qu'il pourrait utiliser, et on temporise en s'abstenant de toute action superflue dans l'attente des services spécialisés, le RAID ou la BRI.
Pour ma part, j'ai travaillé sur les côtés ouest et sud, et j'ai réorganisé le positionnement des fonctionnaires, faisant reculer ceux qui étaient inutilement exposés. J'ai ensuite été rejoint par d'autres effectifs. À un moment donné, en faisant le tour du dispositif, j'ai réussi à rejoindre le commandant M.J. qui était déjà là lui aussi, mais plutôt sur les flancs nord et est. Avec nos unités, nous avons extrait des riverains qui étaient réfugiés dans des boutiques, par exemple, et qui auraient pu se trouver dans l'axe de tir de Coulibaly. L'exercice demande une certaine technicité : il faut créer des colonnes d'intervention avec des hommes munis de boucliers, afin d'entourer les gens et les évacuer dans les conditions les plus sûres possible.
Ensuite, le RAID et la BRI ont donné l'assaut. Lorsqu'elle intervient dans ce genre de crise à Paris, la BRI constitue une brigade anti-commando : les équipes de la BRI sont au centre et, dans un deuxième cercle, on trouve celles des CSI ou des BAC de nuit en cas d'intervention nocturne. Notre but est alors d'appuyer les colonnes de la BRI pour récupérer leurs blessés ou les otages qu'ils extraient. Quand le RAID et la BRI ont donné l'assaut, nous avons récupéré quatre otages et un policier du RAID qui était blessé, et nous avons mis en place le poste de commandement de la DSPAP. Voilà pour l'aspect purement factuel des événements.