Intervention de M J

Réunion du 14 mars 2016 à 14h00
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

M J :

Personnellement, je n'ai pas été concerné par les événements du 7 janvier. En revanche, l'unité que j'ai l'honneur de commander a été appelée le 8 janvier en début d'après-midi pour interpeller un individu réfugié dans une agence bancaire à Gentilly et pouvant correspondre au signalement d'Amedy Coulibaly. Nous avions déjà reçu une information selon laquelle Amedy Coulibaly pouvait revenir dans ce secteur, soit à bord d'une Clio blanche plus ou moins repérée au moment de la fusillade de Montrouge, soit par les transports en commun. Nous avons alors monté une colonne d'intervention et nous avons interpellé l'individu à l'intérieur de l'agence bancaire. La police judiciaire a pris le relais et les soupçons ont été levés au bout de vingt-quatre heures de garde à vue.

Le 8 janvier, en plus de cette intervention, nous avons envoyé des effectifs dans le nord-est du département et aux abords des nationales arrivant dans la capitale, notamment les nationales 2 et 4, suite à l'information selon laquelle les frères Kouachi se trouvaient dans le nord-est parisien. Nos effectifs étaient dotés de moyens lourds, c'est-à-dire de gilets pare-balles lourds et d'armes longues, de manière à pouvoir intercepter les individus s'ils revenaient vers Paris. Ce dispositif a été repris par les effectifs de la BAC de nuit du Val-de-Marne (BAC 94 N), et maintenu jusqu'au vendredi matin.

Le vendredi 9 janvier, je me trouvais à la préfecture de police pour une réunion des chefs des CSI quand, vers treize heures, nous avons été informés que des coups de feu avaient été tirés au niveau du magasin Hypercacher qui a la particularité de se trouver à la limite des départements de Paris et du Val-de-Marne. Il donne sur l'avenue Gallieni, petite contre-allée de Saint-Mandé, et à l'angle de la rue du Commandant-L'Herminier. Suite à cet appel, mes effectifs de la CSI 94 se sont rendus d'eux-mêmes sur place où je les ai rejoints en arrivant par le bois de Vincennes et Saint-Mandé.

Arrivé sur place, j'ai pris la mesure de l'affaire. Les effectifs de police, répartis tout au long de l'avenue Gallieni et de la rue du Commandant-L'Herminier, se trouvaient extrêmement dispersés, munis d'armes diverses, dont des fusils à pompe, et provenant d'unités différentes : direction de l'ordre public de la circulation (DOPC), police de Paris intra-muros, direction territoriale de la sécurité publique du Val-de-Marne. J'ai commencé à regrouper des effectifs, quitte à faire deux ou trois petites entorses, à savoir intégrer dans les colonnes des collègues d'autres unités, équipés de gilets lourds et de boucliers balistiques, afin d'avoir un appui feu. Celui-ci a été apporté principalement par les effectifs DOPC de la compagnie des transferts, escortes et protections (COTEP), qui étaient armés de fusils d'assaut de type M4 de calibre 5,56 millimètres, et par des collègues dotés de fusils à pompe.

Nous avons positionné les effectifs à l'angle du boulevard Gallieni et de la rue du Commandant-L'Herminier, mais également à l'arrière du bâtiment de l'Hypercacher. Il faut savoir que ce bâtiment donne sur un petit immeuble qui est intégré dans une cité. Nous avons positionné des colonnes d'intervention, équipées de moyens lourds et de protections, de manière à éviter toute sortie de ce bâtiment, principalement sur les façades est et nord-est des lieux. Dans l'attente de l'intervention des unités spécialisées, nous avons aussi rétracté le périmètre, c'est-à-dire que nous avons fait reculer les collègues qui étaient trop proches de l'Hypercacher et de l'entrée principale qui donne sur le boulevard Gallieni, de manière à protéger tout le monde. J'ai aussi procédé à la fermeture des vannes d'une station-service toute proche qui aurait pu faire l'objet d'un incendie volontaire par des tirs.

La mise en place de ce dispositif a pris un certain temps. J'ai été en contact avec le commissaire B.B. ici présent, qui m'a donné pour mission de continuer à gérer ce périmètre dans l'attente des unités d'intervention de niveau 3, c'est-à-dire le RAID et la BRI. Une fois que nous avons été relevés par des colonnes de la BRI, nous nous sommes mis à leur disposition en tant qu'éléments d'appui. La BRI m'a demandé de procéder à l'évacuation d'un magasin situé à l'angle du boulevard Gallieni et de la rue du Commandant-L'Herminier, dans lequel se trouvaient encore des personnes. Nous savions également qu'il y avait des gens dans un autre magasin, Charles Traiteur, contigu à l'Hypercacher, mais ignorions si les deux commerces communiquaient entre eux. Ces personnes ont été forcées de rester à l'intérieur du magasin, pour qu'elles soient protégées et aussi pour empêcher toute sortie inopinée du preneur d'otages. Plus tard, le RAID est allé les chercher et les a mises en sécurité après les avoir palpées.

Ensuite, nous sommes restés en position, en appui de l'unité du RAID qui était de ce côté-là du dispositif. Vers dix-sept heures, nous avons reçu des messages disant que l'assaut avait été donné à Dammartin-en-Goële. Parallèlement, un officier du RAID est venu nous indiquer qu'il allait donner l'assaut et que nous allions devoir prendre sa place, c'est-à-dire le positionnement du RAID juste avant l'assaut. Nous avons monté une colonne de la CSI 94 au niveau du boulevard Gallieni et de la rue du Commandant-L'Herminier, sur le trottoir droit, afin d'appuyer l'unité du RAID qui donnait l'assaut.

Nous avons recueilli et mis en sécurité plusieurs otages — trois femmes et un homme — et un collègue du RAID qui avait été blessé. Nous avons palpé les otages, ce qui a été rendu possible par le fait qu'il y avait des femmes dans les unités présentes, afin de nous assurer qu'ils ne portaient pas d'arme. Nous voulions nous assurer que ces personnes ne portaient pas d'arme et qu'il n'y avait pas de complice de Coulibaly parmi elles : à ce stade, nous pensions qu'il avait une femme avec lui. Nous avons pu lever les doutes grâce aux informations recueillies auprès des familles des otages, qui se trouvaient dans le périmètre extérieur. En termes de périmètre, il faut savoir que la CSI 94 a été engagée sur une zone d'abord très restreinte qui a ensuite été élargie quand nous sommes intervenus en appui des effectifs du RAID.

À l'issue de tout cela, nous sommes rentrés chez nous avec le sentiment du devoir accompli.

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