Intervention de B B

Réunion du 14 mars 2016 à 14h00
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

B B, commissaire de police, chef adjoint du service des compagnies de sécurisation et d'intervention, CSI et chef de la CSI de Paris :

En principe, le policier essaie de se débrouiller pour être toujours avec un équipier qui va assurer sa couverture. Dans la pratique, du fait de la topographie, il peut se retrouver seul. Dans ce cas, il doit localiser son équipage à la voix s'il n'est pas loin, par radio ou par téléphone portable.

Pendant longtemps, dans la police, on nous a appris à aborder toute intervention avec une grande prudence : il fallait d'abord analyser la situation, observer la topographie, le nombre d'individus, leur mode opératoire et leur armement, etc. On nous a enseigné qu'une intervention devait aboutir à une interpellation et être conduite de manière à protéger les policiers et les personnes interpellées. Toute la pédagogie en matière de formation policière est fondée sur la légitime défense, avec des rappels systématiques que d'aucuns jugent trop inhibiteurs.

La formation est assurée par des policiers diplômés, les formateurs en techniques de sécurité en intervention (FTSI), qui étaient auparavant appelés moniteurs en activités physiques et professionnelles (APP). Il y a quelques années, les formateurs se sont intéressés aux tueries qui se sont déroulées dans les universités nord-américaines, en se demandant ce que devaient faire des policiers dans ce genre de situation. Ils ont développé une formation de quatre jours baptisée stage de lutte contre les tueurs en chaîne, ou stage « Amok », du mot malais qui veut dire « forcené » ou « fou furieux », une description qui correspond bien aux auteurs de ces tueries.

Cette notion de tueur en chaîne me semble pertinente pour un policier. Sur le plan tactique, peu importe finalement que la personne soit qualifiée de cas psychiatrique ou de terroriste, puisque l'intervention sera à peu près la même, à ceci près que les risques de piégeage seront plus élevés pour le policier s'il a affaire à un terroriste. Au cours de ce stage, l'approche pédagogique était radicalement nouvelle. Dans une formation classique, on nous enseigne que, quand un voleur est par exemple en train de « faire les fils d'une voiture », il faut s'approcher tout près, essayer de bien voir la personne, lui demander de lever les mains, etc. Au cours du stage Amok, on nous a fait comprendre l'urgence d'établir un contact physique ou balistique avec les auteurs de tueries. On se rend compte que, dès qu'on les accule, dès qu'on renverse la pression du feu, on les oblige à se retrancher, à se figer, ce qui permet de faire cesser leur entreprise criminelle.

C'était un stage passionnant. Malheureusement, loin d'être généralisé, il a même été suspendu en 2013 ou 2014. Comme j'avais eu la chance de faire partie des stagiaires, je m'en suis ému. Pourquoi ce stage formidable, où était enseignée de manière globale une approche tactique et technique permettant de faire face à un phénomène que nous n'étions a priori pas formés à affronter, était-il suspendu ? Tout d'abord, on m'a dit que l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) avait décidé de suspendre la formation après avoir constaté que les notions de légitime défense n'y étaient pas enseignées correctement. Ayant fait le stage moi-même, j'ai été très surpris : les règles de légitime défense étaient celles que l'on m'avait toujours enseignées, celles qui s'appliquent face à un individu menaçant, armé, et préparé à nous tuer ou à tuer autrui ; nous n'en étions toujours pas à discuter de la neutralisation d'un individu qui nous oppose son dos, par exemple. J'ai interrogé l'IGPN. On m'a répondu que la décision venait du RAID. J'ai interrogé le RAID. On m'a dit que la décision venait de l'IGPN.

Tout récemment, j'ai finalement su ce qui s'était passé. Je suis membre du groupe de travail de la direction générale de la police nationale (DGPN) qui, depuis les attentats de novembre dernier, cherche à élaborer une nouvelle doctrine d'intervention. Nous reprenons à peu près tout ce qui a été fait lors de ce stage Amok, ce qui veut dire que nous avons perdu deux ou trois ans. Comme la direction de la formation participe à ce groupe de travail, j'ai finalement réussi à savoir pourquoi le stage avait été suspendu.

Direction de soutien, la direction de la formation a décidé de ne plus assurer ce stage après s'être rendu compte qu'elle allait très loin d'un point de vue prospectif : elle était, de fait, en train d'élaborer une nouvelle doctrine d'intervention, ce qui relève normalement de la compétence de directions actives comme la DGPN ou la préfecture de police. Jugeant qu'elle outrepassait son rôle, la direction de la formation a décidé d'annuler ce stage. Voilà pourquoi on a cessé de former les fonctionnaires pendant deux ans, ce qui est dommage.

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