Madame la Présidente, mes chers collègues.
Pierre Lequiller et moi-même avons été chargés il y a quelques mois de mener une réflexion sur la manière dont pourrait être amélioré le traitement des affaires européennes à l'Assemblée nationale. Pour mener à bien cette mission, nous nous sommes rendus dans des parlements souvent présentés comme des « modèles » dans ce domaine : au Parlement finlandais, au Bundestag allemand, à la Tweede Kamer néerlandaise et à Westminster, au Royaume-Uni.
Ces différents déplacements nous ont permis d'aboutir à de nombreuses propositions, développées dans le rapport que vous avez reçu vendredi. L'objectif est d'avoir un débat approfondi sur ces propositions cet après-midi.
Notre réflexion a été dirigée par deux objectifs : renforcer le pouvoir de contrôle de l'Assemblée sur l'action de l'exécutif en matière européenne et faire en sorte que le plus grand nombre de parlementaires possible s'empare de ces sujets.
Notre rapport revient sur les nombreux progrès qui ont été faits dans le traitement des affaires européennes à l'Assemblée nationale grâce aux différentes révisions constitutionnelles de 1992 et 1999, évolution qui a été parachevée grâce à la révision constitutionnelle de 2008. Au-delà de ces évolutions juridiques, ce rapport montre comment, dans la pratique, notre Assemblée a su s'adapter à la montée en puissance de l'Europe.
Cependant, au vu de la place que l'Union européenne prend aujourd'hui dans notre vie politique et dans notre environnement juridique, ces progrès restent, à mon sens, insuffisants.
Les déplacements que nous avons effectués nous ont permis d'identifier la faiblesse majeure de notre système : le contrôle du Gouvernement reste largement insuffisant sur les sujets européens. Cela nous a frappé en découvrant le système finlandais, qui a mis en place un système de « mandat », s'inspirant du modèle danois : dans ces pays, le Gouvernement est directement lié par la position de négociation préalablement définie par le Parlement.
En Allemagne, un système plus souple que le système nordique a été mis en place, mais ce système se rapproche toutefois d'un système de mandat. En effet, la Loi fondamentale allemande dispose que : « dans les négociations, le Gouvernement fédéral prend en considération les positions du Bundestag ». Si l'avis du Parlement n'a pas été suivi, le Gouvernement doit ensuite s'en expliquer auprès du Parlement.
Ces différences dans le contrôle du gouvernement expliquent aussi les différences d'approche que nous avons sur le rôle des Parlements nationaux dans la construction européenne. Les allemands, finlandais ou néerlandais sont très peu friands des réunions interparlementaires alors que nous avons tendance à chercher dans ces instances les pouvoirs de contrôle que nous n'avons pas vis-à-vis de notre exécutif.
En France, le système institutionnel de la Vème République limite fortement cette capacité à contrôler le Gouvernement. Une difficulté supplémentaire existe : celle de la dyarchie à la tête de l'exécutif. Le système semi-présidentiel français conduit en effet à une situation absurde, où le Premier ministre et le ministre chargé des affaires européennes sont amenés à rendre compte au Parlement de réunions auxquelles ils n'ont pas participé ! En effet, le Président de la République ne peut pas prendre la parole devant le Parlement, hors le cas très spécifique de la réunion de celui-ci en Congrès.
Pourtant, mieux contrôler les décisions prises au sein du Conseil européen est un défi auquel nous devons être en mesure de répondre, car ces sommets, qui se sont multipliés au cours des dernières années, jouent un rôle de plus en plus important au sein du processus décisionnel européen. L'opacité de ces réunions, liée au format en huit-clos, rend d'autant plus indispensable ce contrôle parlementaire.
Certes des progrès ont été faits ces dernières années. Des débats européens ont lieu en plénière, comme cet été sur la crise grecque, les séances de questions au Gouvernement préalables au Conseil européen ou des débats consacrées aux questions européennes lors des semaines de contrôle, mais ils restent peu fréquentés et ne donnent lieu à que très rarement à un vote. Je pense également aux auditions de ministres préalables aux réunions du Conseil qui ont renforcé les échanges entre l'exécutif et le législatif.
Mais comment renforcer ce contrôle ? Je vois trois axes.
Tout d'abord, le contrôle des décisions prises au Conseil européen.
Nous proposons dans le rapport que l'Assemblée nationale s'exprime avant les réunions du Conseil européen grâce à l'adoption de résolutions européennes dédiées. La concrétisation d'une telle proposition est tout à fait envisageable dans l'état actuel du droit, et ne dépend que de nous. Compte-tenu de la disponibilité tardive des projets de conclusions du Conseil européen, cela impliquera des délais très courts. Le calendrier le plus pertinent reposerait sur une adoption de la proposition de résolution européenne par la commission des affaires européennes la semaine précédant le Conseil européen, puis une réunion de la commission permanente le mardi avant un débat en séance publique le mercredi après-midi. Ces résolutions devraient se concentrer sur les points à l'ordre du jour du Conseil européen. Pour les Conseils européens les plus cruciaux, des débats avec vote pourraient systématiquement être organisés par le Gouvernement.
Par ailleurs, je propose, dans un deuxième temps, de réviser la Constitution afin de permettre au président de la République, représentant de la France au Conseil européen, de s'exprimer devant le Parlement avant ces sommets.
C'est notamment ce que propose le rapport du groupe de travail sur l'avenir des institutions co-présidé par le Président de l'Assemblée nationale, M. Claude Bartolone et par l'historien M. Michel Winock, qui suggère « d'instaurer un débat, en séance publique, à l'Assemblée nationale, avec le président de la République, éventuellement sous forme de questions-réponses, suivi d'un vote, en amont des Conseils européens ».
Je sais que Pierre Lequiller ne partage pas mon opinion sur cette proposition, il aura l'occasion de s'en expliquer dans un instant.
Ensuite, je n'ai pas besoin de vous rappeler à quel point l'Europe pèse désormais sur la détermination de nos politiques économiques et budgétaires. Par conséquent, il est indispensable que le Parlement français soit mieux associé aux questions liées à l'Union économique et monétaire, et notamment aux différentes étapes du semestre européen.
Nous préconisons notamment le droit de débattre et de voter chaque année les projets de programme de stabilité et de réforme ainsi qu'une meilleure articulation entre le calendrier budgétaire national et le calendrier budgétaire européen. Le succès des deux débats organisés en juillet dernier sur l'aide à la Grèce, l'un avec vote et l'un sans vote, en application de l'article 50-1 de la Constitution, montre bien la très forte demande des parlementaires en ce sens.
Enfin, ce qui est sans doute le plus gros chantier, c'est de réorganiser le traitement des textes européens à l'Assemblée nationale en lien avec les Conseils thématiques.
L'objectif ici est d'influencer au mieux la position de notre gouvernement lors des réunions du Conseil, là où sont décidés les textes européens. Il faudra pour cela une volonté commune, non seulement de notre Assemblée mais aussi de l'exécutif.
Comme aux Pays-Bas, il devrait être demandé au Gouvernement un « ordre du jour annoté » explicitant les positions du Gouvernement sur chacun des points du Conseil. Ces auditions pré-Conseil devraient être assorties d'une opinion écrite adoptée en commission sur les principaux points de l'ordre du jour, énonçant à l'intention du Gouvernement les « lignes rouges » définies par l'Assemblée sur ces sujets.
En amont cela implique également que les avis de l'Assemblée sur les textes européens soient à ce stade effectués et donc que les avis du gouvernement soient reçus suffisamment à l'avance. Concernant l'élaboration des avis sur les textes européens, je propose un traitement plus transversal qui associe les commissions permanentes.
J'ai été frappé par la manière dont s'articule le travail dans d'autres parlements entre les commissions que nous appelons dans le rapport des commissions « sectorielles » – il serait en effet impropre de parler de commissions « permanentes » – avec le travail de la commission des affaires européennes.
Ainsi, au Bundestag, les textes européens techniques sont traités directement par les commissions sectorielles concernées. La commission des affaires européennes est quant à elle en charge des sujets transversaux : la révision des traités, les affaires générales et institutionnelles ; les éventuels élargissements de l'Union ou de la zone euro, la gouvernance de la zone euro et le semestre européen. Sur tous les sujets européens dont les commissions sectorielles décident de se saisir, la commission des affaires européennes peut se saisir pour avis, ce qu'elle fait fréquemment.
De la même manière, au sein de la Tweede Kamer néerlandaise, les commissions sectorielles sont directement en charge des affaires européennes, et la commission des affaires européennes intervient essentiellement à titre de coordination et sur les aspects transversaux. Elle veille également à la bonne transposition des directives.
En Finlande, les textes européens sont automatiquement transférés à une ou plusieurs des dix-sept commissions de l'Eduskunta par la « Grande commission », qui joue le rôle d'une commission des affaires européennes. Les commissions concernées par le texte transmettent leur avis à la Grande commission, qui s'appuie sur celui-ci pour émettre son mandat au Gouvernement.
Je pense que l'Assemblée nationale devrait s'inspirer de ces systèmes, en attribuant aux commissions sectorielles la compétence de l'examen au fond des centaines de textes que nous recevons chaque année.
Quels sont les avantages d'une telle organisation ? Donner aux commissions sectorielles la responsabilité de l'examen des textes européens relevant de leur compétence favoriserait une réelle diffusion des affaires européennes dans tout le Parlement, en permettant à un maximum de députés de travailler sur les sujets européens, ou pour le moins de se tenir au courant sur ces sujets. Une telle organisation correspond également mieux à la réalité de ce qu'est l'Europe aujourd'hui : plus qu'un sujet à part entière, le droit européen, transversal, irrigue désormais tous les pans du droit national. Décentraliser l'examen des textes européens permettrait également de réaliser d'importantes synergies, en favorisant la continuité entre la négociation des textes et leur intégration au droit national.
Pour réussir, une telle réforme devrait s'accompagner de garde-fous, afin de s'assurer que les commissions prennent véritablement en charge ce nouveau rôle. En effet, il faut absolument éviter qu'avec une telle décentralisation, les sujets européens tombent dans un « trou noir », et qu'en souhaitant que les affaires européennes soient traitées par tout le monde, elles ne soient plus traitées par personne. L'engorgement de l'agenda législatif national risque en effet de faire passer le traitement des sujets européens au second plan.
Il faudrait prévoir qu'un moment de l'agenda des commissions soit uniquement dédié à l'examen de ces textes, et que des députés « référents » dans chaque commission, qui composeraient également la commission des Affaires européennes soient chargés des questions européennes.
Pour cela, il me parait important que la commission des affaires européennes soit composée d'un nombre égal de parlementaires de chaque commission sectorielle.
La suppression du plafond du nombre de commissions sectorielles, tel que le propose le rapport Bartolone – Winock sur l'avenir des institutions, faciliterait la mise en place d'un tel système décentralisé.
Dans une telle configuration, la commission des affaires européennes pourrait disposer d'une triple compétence : coordination du contrôle du Gouvernement, compétence exclusive sur les questions institutionnelles – révision des traités et élargissements notamment, traitement des questions transversales – semestre européen par exemple – et d'actualité.
Pour conclure et avant de céder la parole à Pierre Lequiller qui fera état des autres propositions que nous faisons dans le rapport et qui donnera son point de vue sur nos points de désaccords, je voudrais ajouter un dernier mot.
Nous constatons aujourd'hui une vraie désaffection dans la population pour les questions européennes. Nos propres collègues ne maîtrisent pas toujours bien ces questions souvent présentées comme techniques alors qu'elles sont intrinsèquement liées aux enjeux de politique nationale.
La réforme proposée aujourd'hui, qui ne nécessite un changement de Constitution que pour certaines propositions, permettrait à la représentation nationale d'être en dialogue réel et constant avec l'exécutif sur les enjeux européens et de se les approprier pleinement, permettant ainsi aux affaires européennes de mieux infuser dans la société.
Tout le monde y trouvera son compte. Notre assemblée. L'exécutif et surtout le projet européen.