Intervention de Pierre Lequiller

Réunion du 3 novembre 2015 à 16h45
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lequiller, co-rapporteur :

Travailler sur ce rapport a été passionnant. La perspective comparative, qui nous a amenée à nous rendre dans plusieurs autres parlements nationaux de l'Union, a été très instructive.

Je suis d'accord avec de nombreuses propositions de ce rapport.

Comme mon collègue Philip Cordery, je pense que nous devons aller plus loin que ce qui a été fait avec la révision de 2008, qui a profondément changé la place des affaires européennes à l'Assemblée nationale. Les auditions des ministres préalables au Conseil ont été une grande avancée, et il faut continuer dans ce sens.

En ce qui concerne la gouvernance économique et monétaire, il est nécessaire que l'Assemblée nationale s'empare de nouveaux droits. Je rappelle que depuis 2011, la loi prévoit que « le Gouvernement adresse au Parlement, au moins deux semaines avant sa transmission à la Commission européenne en application de l'article 121 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, le projet de programme de stabilité. Le Parlement débat de ce projet et se prononce par un vote ». Malgré cette disposition, le Gouvernement n'a pas soumis ce programme de stabilité au vote du Parlement à l'Assemblée cette année, ni au Sénat depuis trois ans. C'est inacceptable.

Par ailleurs, je pense que la méthode des « petits pas » pourrait permettre de faire beaucoup de progrès dans le traitement des affaires européennes, et le rapport contient beaucoup de propositions en ce sens. C'est peut-être lié à notre différence d'âge, mais mon co-rapporteur est beaucoup plus ambitieux que moi, et se projette dans un horizon plus lointain : je crois surtout aux changements dans la pratique.

La première de ces propositions serait de permettre à la commission des Affaires européennes de se saisir pour avis des projets et de propositions de lois qui la concerne, et non plus simplement pour observations, lui permettant ainsi de proposer des amendements.

Il faudrait également augmenter le nombre de députés membres de la commission, en l'alignant par exemple sur le nombre de membres des commissions permanentes.

Nous devons également assurer le respect de la disposition du règlement qui prévoit que les députés de la commission des affaires européennes sont désignés de façon à représenter les commissions permanentes de façon équilibrée.

Je crois que nous devons également systématiser les visio-conférences avec les institutions européennes, et notamment avec le Parlement européen. Nous en avons fait une très récemment, qui a été très intéressante.

Nous pourrions également étoffer le bureau de représentation de l'Assemblée nationale à Bruxelles, en y envoyant par exemple des représentants des groupes politiques.

Nous ne pouvons pas aller jusqu'au mandat : on ne peut pas aller jusqu'au système danois, finlandais, ou même allemand, nous ne sommes pas un régime parlementaire ! D'ailleurs, ce système de mandat n'a pas que des avantages : le Gouvernement est ensuite pieds et poings liés au Conseil.

Je n'adhère pas à la totalité du contenu du rapport.

Tout d'abord, je considère que le ton général du rapport est trop négatif.

Je ne crois pas qu'il existe un problème dans le traitement des affaires européennes qui serait spécifique au fonctionnement de l'Assemblée nationale. La plupart des faiblesses identifiées par le rapport existent également dans les parlements dans lesquels nous nous sommes rendus. Notre système n'est pas plus mauvais que les autres ! Partout, il est difficile d'intéresser sur la durée les parlementaires nationaux aux textes européens alors que leur pouvoir réellement décisionnel en la matière est par essence très limité. Partout, la répartition des compétences entre la commission des affaires européennes et les autres commissions parlementaires, et en particulier la commission des affaires étrangères, est complexe. Le rôle des parlements nationaux en matière européenne est en effet d'abord un rôle politique, d'influence, essentiel pour contribuer à résorber le « déficit démocratique » dont souffre l'Union, complémentaire du Parlement européen.

Il existe bien sûr une spécificité française, qui explique que les parlementaires français aient moins leur mot à dire sur les affaires européennes que leurs homologues finlandais ou allemands, et qui limite considérablement notre pouvoir de contrôle : cette limite est intrinsèquement liée à la Vème République. Evidemment, le Bundestag ou le Parlement finlandais sont plus puissants que nous sur les questions européennes, mais il ne faut pas oublier qu'il s'agit là de véritables régimes parlementaires : ces parlements sont plus puissants que l'Assemblée nationale d'une manière générale ! À contrario, nous pourrions dire que nous ne sommes pas plus faibles sur les sujets européens que sur les autres sujets...

Toutefois, contrairement à mon collègue Philip Cordery, je ne crois pas que ce rapport devrait avoir pour objet de refaire nos institutions, ou même de repenser le fonctionnement de l'Assemblée nationale dans sa globalité. Je crois que nous devons avant tout réfléchir aux améliorations possibles dans le cadre existant, à partir du chemin parcouru.

De grands progrès ont été faits avec la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 : je rappelle notamment que notre commission est la seule consacrée par la Constitution !

Il faut souligner les aspects positifs de notre système : le véritable rôle de « laboratoire d'idées » de la commission des affaires européennes, notamment grâce à ses rapports, le caractère transparent et ouvert sur la société civile de ses travaux.

Je tiens également à souligner que notre Assemblée entretient des relations très étroites avec les institutions européennes. Des commissaires européens sont auditionnés ici de manière régulière. Au Royaume-Uni, seul le commissaire britannique a été auditionné !

C'est désormais devenu un réflexe pour les rapporteurs de toutes les commissions de se rendre à Bruxelles : nous devons nous en féliciter.

L'Europe est de plus en plus présente dans l'hémicycle. Nous organisons désormais de manière quasi-systématique des séances de questions au Gouvernement préalables au Conseil européen, et, depuis 2008, une séance dans le cadre de la semaine de séance sur quatre réservée au contrôle est consacrée par priorité aux questions européennes.

Je tenais donc à souligner ces aspects positifs.

Par ailleurs, je suis en complète opposition avec deux propositions majeures de ce rapport.

Tout d'abord, le rapport reprend la proposition du président Bartolone « d'instaurer un débat, en séance publique, à l'Assemblée nationale, avec le président de la République, éventuellement sous forme de questions-réponses, suivi d'un vote, en amont des Conseils européens ». Je vois bien l'intention, qui est bonne, mais une telle révision constitutionnelle impliquerait une modification drastique de l'équilibre entre les pouvoirs de la Vème République. Cela serait dangereux et désacraliserait la figure du chef de l'Etat. Ce serait d'autant plus le cas si le débat est assorti d'un vote.

Je vous rappelle que depuis la révision de 2008, le Président de la République peut déjà prendre la parole devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès : or, cette possibilité n'a été utilisée qu'une seule fois pour le moment. Je pense au spectacle que donnerait l'Assemblée nationale devant le président de la République aujourd'hui…

Comme vous le savez, mon groupe politique est opposé à une révision constitutionnelle d'ici la fin de la législature, considérant, comme le président du Sénat l'a rappelé lors de la publication du rapport Bartolone-Winock, que la réponse à la crise de défiance que nous connaissons n'est pas institutionnelle, et que la priorité est de répondre aux véritables préoccupations des français, et à celle de l'emploi en particulier.

Enfin, je suis très réticent – pour ne pas dire opposé – à la proposition du rapport qui suggère de transférer le traitement des textes européens aux commissions sectorielles.

Ce n'est pas une mauvaise idée dans l'absolu, mais c'est totalement inenvisageable dans la pratique : au vu de l'encombrement de l'ordre du jour, les commissions permanentes n'auraient pas le temps ni les moyens de se consacrer à l'examen des textes européens. La commission des affaires européennes du Bundestag ne me semble pas être un modèle : de ce que j'en ai vu, elle joue surtout un rôle de « transmetteur » !

Pour que cela marche, le fonctionnement du Parlement devrait changer du tout au tout, et je ne pense pas que ce soit l'objet de notre rapport que de proposer de tels changements – sinon, il faudrait également, à mon sens, repenser l'organisation du calendrier parlementaire, en s'inspirant du Bundestag, avec un système de semaines de séance et de semaines de circonscription ! D'autres changements pourraient être proposés mais tel n'est pas le sujet de notre rapport.

Donner cette compétence aux commissions sectorielles ne pourrait s'envisager que si un transfert de compétence s'opère parallèlement au profit de la commission des affaires européennes en lui permettant notamment d'autoriser la ratification des traités et de se saisir pour avis. Dans le cas contraire, nous risquerions de faire de cette commission une « coquille vide », ce qui constituerait une régression dangereuse.

Enfin, je voudrais atténuer les critiques sous-jacentes formulées par le rapport à l'égard de l'inter parlementarisme. Les réunions interparlementaires ne sont certes pas des instances de décision mais elles sont des instances de débat et d'échanges d'idées, toujours très bénéfiques aux parlementaires qui y participent : c'est à l'aune de cet objectif qu'il faut les juger. Le rapport sous-entend notamment que les députés allemands négligeraient ces réunions, je peux vous dire, au vu de mon expérience personnelle, que ce n'est pas le cas. Donner de l'importance à l'inter parlementarisme ne signifie évidemment pas que l'on doit négliger le contrôle de son propre gouvernement, les deux sont complémentaires.

J'ai la conviction que nous sommes à un tournant, que les parlements nationaux et le Parlement européen doivent plus que jamais travailler ensemble. À ce titre, je crois que la conférence budgétaire mise en place par l'article 13 du traité sur la stabilité est une étape essentielle, et préfigure un futur parlement de la zone euro. C'est d'ailleurs pourquoi je m'étais personnellement efforcé à ce que cet article 13 soit introduit dans le traité sur la stabilité et pourquoi Danielle Auroi et Christophe Caresche cherchent à ce qu'il soit pleinement mis en application.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion