Je me félicite de ce rapport mais pas tout à fait pour les mêmes motifs que ceux que vous avez mis en avant. Ce rapport, en réalité, traduit bien un profond malaise, malaise qui s'est institué actuellement en Europe entre le Parlement français et l'Assemblée de Strasbourg qui est qualifiée parait-il de Parlement. Pourquoi ? Tout simplement parce que la matière législative échappe au parlement français, qui est devenu un théâtre d'ombres.
Tout d'abord, parce qu'il y a une opacité du fonctionnement de l'Union européenne, ne serait-ce qu'à travers la comitologie bien connue d'un certain nombre de nos députés européens. Le système est devenu extrêmement complexe.
Le deuxième problème, c'est la masse des sujets qui sont traités par l'Union européenne. Lisbonne a transféré à Bruxelles cinquante-sept nouvelles matières ! Le système européen est devenu obèse, et l'obésité n'est bonne ni pour nous ni pour une institution. On voit très bien que l'Union européenne se mêle de tout, parle de tout, fait des rapports sur tout et rend encore beaucoup plus complexes les prises de décisions.
Troisièmement, qu'on le veuille ou non il règne en France une euro-béatitude et il y a aujourd'hui une prise de conscience que cette euro-béatitude n'est plus de mise. On voit très bien qu'il y a un certain nombre d'Etats qui ont une plus grande conscience que nous de leurs intérêts nationaux. Il n'y a pas que l'Angleterre, il y a l'Allemagne par exemple. Et je vous rappelle qu'il y a eu un certain nombre de décisions fédérales de la Cour de Karlsruhe qui a rappelé d'une manière brutale que la décision finale dans un certain nombre de cas appartiendra à la diète fédérale. C'est la décision de juin 2010 que l'on connait bien et qui mérite d'être lue. Il y a donc ce hiatus entre l'euro-béatitude qui règne parmi les institutionnels français et le discours compassé de tous les chefs politiques, à droite comme à gauche. Il y a enfin le sentiment que ça se fait dans le dos du parlement, parce que, qu'on le veuille ou non, les résolutions européennes sont des résolutions sans suites. Combien de résolution y a-t-il eu depuis la réforme de 2008 ? Je crois qu'il y en a trois ou quatre. Il y a des résolutions qui sont adoptées ici mais en plénière il y en a beaucoup moins.
Si vous voulez réconcilier la construction européenne avec le fait national, ce n'est pas au parlement de se réformer, c'est à l'Europe de se réformer. Donc vous vous trompez d'objectif. Le problème, c'est la subsidiarité. Je rappelle que l'étude de la diète fédérale montre clairement que 85 % de nos lois et règlements proviennent de Bruxelles, donc nous sommes devenus inexistants sur la législation. Pierre Lequiller parlait de l'article 13 du traité sur la stabilité : or, nous savons très bien que vous avez de plus en plus de difficultés vis-à-vis du Parlement européen à faire valoir ce que pensent les parlements nationaux, et qu'il y a une sorte de « mépris » - pas individuel évidemment, mais institutionnel - à l'égard des parlements nationaux. On voit très bien aujourd'hui qu'il faut tout réformer, que cette Europe s'est élargie, est devenue obèse : qu'elle s'amaigrisse et s'en tienne à certaines grandes politiques nécessaires au niveau européen, et que quatre-vingt pour cent des compétences qui sont remontées à Bruxelles reviennent aux parlements nationaux ! Nous sommes dans une crise institutionnelle qui est celle de l'Europe et non celle du parlement français. C'est à nous de nous prononcer, c'est à nous d'agir politiquement, mais cela n'est qu'une question de volonté politique.