Intervention de Didier le Bret

Réunion du 18 mai 2016 à 16h00
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Didier le Bret, coordonnateur national du renseignement :

Je répondrai au fil de l'eau aux questions précises que vous m'avez posées ; si d'aventure j'en oublie, je pourrai y revenir au cours de la discussion qui suivra.

Avant de vous répondre sur le bilan de l'année 2015, j'aimerais, pour éclairer la manière dont nous avons orienté notre action, insister sur la singularité des événements auxquels nous avons assisté alors et jusqu'au premier trimestre 2016, et qui sont à tous égards exceptionnels, voire extraordinaires.

D'abord par leur volume inédit : quatre attaques, dont deux massives ; deux tentatives et six projets déjoués, auxquels se sont ajoutées deux nouvelles attaques au premier trimestre de cette année.

Ensuite, une série de seuils ont été franchis. Le premier a trait à la diversité même des actes qui ont été commis. Nous avons tout eu : des actes d'ampleur, préparés, planifiés, coordonnées – les deux attaques de janvier et novembre ; des actes isolés, perpétrés par des acteurs revenant de théâtres de guerre en Syrie ou par d'autres qui, sans jamais quitter le territoire national, ont pu agir à l'instigation d'un contact sur place ; enfin, des individus relevant de la fameuse catégorie des « loups solitaires » qui, autoradicalisés, ont pris leur décision sur un fondement strictement personnel, mais le plus souvent à partir d'internet, comme, au début de 2016, lors de l'attaque du commissariat de la Goutte-d'Or et de la tentative d'assassinat d'un enseignant juif à Marseille. On retrouve en somme ici toute la typologie qui a été décrite dans la littérature relative au terrorisme.

Le deuxième seuil concerne la progression constante des flux de départs. Certes, celle-ci a enfin, pour la première fois, atteint un palier que nos voisins européens, avec qui j'ai eu l'occasion d'en discuter, ont connu il y a près de six mois. Autrement dit, la croissance des départs a tendance à se stabiliser : c'est une bonne nouvelle. Mais, en 2015, elle a aussi été plus spectaculaire en France que dans tout autre pays concerné : le nombre de Français partis à l'étranger – principalement en Syrie – est passé de 360 en début d'année à près du double, soit 600 personnes, en fin d'année, et à 636 aujourd'hui, ce qui représente une progression, tout à fait insolite, de 62 % en un an.

Un troisième seuil a été franchi dans la furtivité du comportement des terroristes. L'ensemble de la gamme des actions clandestines a ainsi été mobilisé lors des différentes attaques dont j'ai parlé, singulièrement celles de janvier et de novembre : utilisation de filières d'immigration illégale, infiltration de flux de migrants le cas échéant, communications cryptées, cartes bancaires prépayées, recours quasi systématique aux frappes dites obliques, qui consistent à cibler un pays depuis une base arrière logistique située dans un autre pays.

Le quatrième seuil, qui a beaucoup frappé l'opinion publique française, est l'appel aux modes opératoires qui caractérisent un théâtre de guerre – actions kamikazes, usage d'armes de guerre.

Le cinquième seuil concerne la diversification permanente du choix des cibles, qui produit un effet maximal – le fameux effet de sidération, la saturation de nos forces, mais aussi une inquiétude constante touchant l'ensemble des sites potentiellement concernés. Ainsi, dans le cadre de la préparation de l'Euro 2016, les services travaillent en priorité sur les stades – auxquels l'accès peut, on l'a vu, être restreint de manière assez dissuasive – et les fan zones ; mais, en durcissant les conditions d'accès à certains sites, on crée nécessairement des cibles « molles » qui peuvent apparaître tentantes à ceux qui cherchent à commettre des actes terroristes. On voit ici à l'oeuvre une démarche assez sophistiquée, caractérisée par une faculté de mobilité permanente, dont témoignent la conception d'une attaque multiple comme la capacité de frapper une cible chaque fois différente.

J'en terminerai par le recours massif aux instruments de communication moderne, qui saute aux yeux et fait partie des principales caractéristiques et nouveautés de l'État islamique. Il permet à la fois de toucher un très large public et d'adopter une approche très ciblée, en fonction des relais locaux susceptibles de prendre contact avec les personnes qui se manifestent sur la Toile.

À tous ces éléments, qui étaient peut-être même décelables avant l'année dernière, le Gouvernement a entrepris de répondre dès cette période antérieure à janvier 2015, en tenant compte à la fois de l'échelle du défi à relever et des différents seuils que j'ai évoqués. Le premier aspect engage les personnels, les budgets et les outils.

En ce qui concerne les personnels, dès la fin 2013, au moment où s'est constituée la DGSI, issue de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), les moyens humains ont été accrus de 432 agents. De même, pour le service central du renseignement territorial (SCRT), 800 postes ont été créés. Je rappelle que la création en 2008 de la DCRI, née de la fusion des renseignements généraux et de la direction de la surveillance du territoire (DST), avait fait perdre 2 000 effectifs à la structure – lesquels ne se sont naturellement pas évaporés, mais ont été transférés ailleurs.

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