Intervention de Didier le Bret

Réunion du 18 mai 2016 à 16h00
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Didier le Bret, coordonnateur national du renseignement :

Vous imaginez bien que ce dont vous parlez est aussi l'effet recherché dès lors que nous avons identifié des lieux de commandement stratégique, des états-majors, des centres de propagande, des endroits où se préparent des attaques dirigées contre notre pays.

La question des peines encourues par les Américains dont a parlé M. Marsaud évoque un enjeu essentiel dont nous avons récemment débattu avec le ministère de la justice : l'évolution de la politique pénale française en vue de criminaliser ce qui relève aujourd'hui du délit.

Pour le dire très clairement, 80 % au moins des personnes actuellement détenues pour des actes de terrorisme vont être libérées au cours des cinq années à venir, soit plus de 70 individus au cours des deux prochaines années. La courbe sera fortement exponentielle puisque près de 300 personnes sont actuellement mises en examen ; or, en l'état actuel de notre politique pénale, ces gens-là – ceux qui ont préparé les attentats, puisque l'on n'arrête jamais ceux qui les ont commis – encourent des peines maximales de dix ans, sans compter les non-lieux, ce qui revient en pratique à sept ou huit ans, trois ans compte tenu des remises de peine. Bref, des cohortes d'individus qui ont été mis en examen, jugés et détenus vont commencer à sortir de prison au cours des mois qui viennent.

Pour notre sécurité, il est donc essentiel de modifier notre politique pénale afin de ne plus faire de différence entre le crime et le délit, entre le soutien logistique et la participation directe à une action terroriste. Lorsque, dans six mois, vous me demanderez, cette fois à propos de ces anciens détenus, si un suivi continu est possible, ma réponse sera la même : non. Ces individus vont sortir de prison, adopter un comportement très furtif, ils ne se présenteront pas à Pôle emploi, ils ne commettront aucun délit, et aucune obligation de pointer, aucun bracelet électronique ne les empêchera de disparaître quand ils le voudront pour revenir ensuite nous frapper ! La durée de détention et les peines sont un véritable problème.

Monsieur Cavard, en ce qui concerne les moyens, les chiffres que j'ai cités correspondent aux renforts qui ont été déployés par vagues successives, après janvier, au printemps et au moment où le Président en a fait l'annonce devant le Congrès. Sans en détailler la liste par services, en voici le total : en 2016, 1 339 effectifs ; en 2017, 2 228 en cumulé, et 2 617 en 2018. Malheureusement, les directeurs des services vous le diront, il faut un délai de recrutement et de formation avant que ces personnels ne soient opérationnels. Ce qui a été fait depuis deux ou trois ans commence à produire ses effets, mais la montée en puissance est progressive.

Le vrai problème est celui des profils. Jusqu'à une date récente, pour des raisons statutaires, la DGSI n'a pas été en mesure d'opérer la mue fantastique qu'a accomplie la DGSE en s'ouvrant à des administrateurs civils, d'anciens élèves de Sciences Po, des analystes, des ingénieurs, des polytechniciens. La direction technique de la DGSE ne s'est pas constituée en six mois : il a fallu quinze ans d'investissements, d'ouverture, de communication. Mais la DGSE n'a pas de problème de statut : elle peut s'adapter, rémunérer ses agents – car le tout n'est pas de recruter, encore faut-il fidéliser ses cadres, qui ne doivent pas s'évaporer au bout de quelques années après avoir eu accès à des informations sensibles. Cela dit, le fait que la DGSI ait été séparée de la DGPN pour devenir une direction générale lui donne sans doute plus de flexibilité pour recruter des non-titulaires hors du corps des policiers.

Quoi qu'il en soit, les choses suivent leur cours. Patrick Calvar vous le confirmera. Elles ne changeront pas d'un seul coup, comme par magie.

Les décisions prises lors du conseil national du renseignement du 14 janvier sont couvertes par le secret défense et ce qu'en dit Le Monde est une extrapolation à partir du communiqué. Dans ce communiqué, on pouvait certes décrypter plusieurs éléments, comme certains journalistes ont tenté de le faire.

D'abord, le leadership renforcé de la DGSI en matière d'antiterrorisme. Cette dynamique nouvelle est claire, voulue et assumée.

Ensuite, la mobilisation par l'État des moyens techniques existants, dans le cadre de la loi. Pour le dire clairement, il s'agit de s'assurer que les moyens de la DGSE sont à la disposition de la DGSI, afin de pouvoir soumettre à un travail de discrimination l'environnement sinon des 14 000 signalés, du moins d'une partie d'entre eux, de manière à ce que nous nous concentrions ensuite sur le segment qui nous intéresse.

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