Intervention de Didier le Bret

Réunion du 18 mai 2016 à 16h00
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Didier le Bret, coordonnateur national du renseignement :

Aux États-Unis, deux rapports du Congrès, dont l'un s'appuyait sur près de deux ans de travaux, ont débouché en 2004 sur la création du Director of National Intelligence (DNI), instance de coordination de l'ensemble des services. Il faut dire que les États-Unis en comptaient seize, qui n'étaient pas de petits services et qui avaient chacun étendu leur compétence, de manière quasi entropique, à l'ensemble des champs du renseignement, ce qui créait d'importants problèmes de chevauchement. Vous connaissez les enseignements du 11 septembre : toute l'information était disponible, mais il n'existait pas de passerelle entre les différents services. À l'origine, le DNI comptait une centaine de personnes ; ils sont aujourd'hui plus d'un millier.

Je serais surpris que nous en venions à créer une super-agence de coordination de ce type, même si cela peut faire partie de vos recommandations. L'essentiel est ailleurs. Voici en effet ce qui donne du pouvoir au général Clapper, l'actuel DNI. D'abord, c'est son accès au Président ; or rien n'empêche le CNR de bénéficier de la même prérogative dans le cadre de ses fonctions. Ensuite, c'est sa relation d'information quotidienne au Président, grâce au brief qu'il lui délivre tous les matins dans le Bureau ovale ; sous une forme différente, le Président de la République est lui aussi briefé tous les jours. Troisièmement, c'est le DNI qui arbitre les budgets des seize agences : cela lui donne un moyen de pression dans le cas où la CIA ne jouerait pas le jeu, où la NSA ferait de la rétention d'information ou se doterait de services qui dupliqueraient inutilement ceux du FBI ou de la CIA et parasiteraient le système. Or ce moyen de pression, je ne l'ai pas, du fait de notre organisation administrative où le budget est organisé par programme et les chefs de programme sont les ministres et leurs représentants. Je n'en dispose qu'à travers les fonds spéciaux : j'adresse une proposition de répartition au Premier ministre, qui la valide ou non. Mais cela ne représente qu'une partie dérisoire des budgets des services. Pourtant, le budget pourrait être un formidable levier face à un service qui se refuserait à mutualiser tout ou partie de ses moyens.

Quant à l'organisation, je crois beaucoup à la vertu des plateformes, sur le modèle du GCHQ (Government Communications Headquarters) britannique et de ses structures, dont l'équivalent de notre GIC (Groupement interministériel de contrôle) et à l'unité d'analyse : chaque service y délègue des personnes qui travaillent ensemble, non six mois à un an comme au sein d'Allat ou d'Hermès, mais pendant des années. Les cadres y apprennent à oeuvrer de concert pour s'approprier les données liées au terrorisme et l'analyse que l'on peut en produire. C'est un système qui a fait ses preuves et qui ouvre des perspectives. Je ne sais si nous ferons de même demain, mais nous ne devrions pas nous interdire d'y réfléchir.

Je ne pense pas que nous soyons moins bons que les Britanniques ou les Américains. Ces derniers ne devraient pas nous donner de leçons, car ils ne sont pas dans la même situation que nous : ils n'ont que deux frontières et s'apparentent pour le reste à une île, où l'on a déjà fait une bonne partie du travail lorsque l'on a contrôlé les arrivées par avion. Pour nous, les choses seront toujours plus compliquées. De même, quelle que soit l'organisation que l'on adopte, les instruments techniques peuvent améliorer la performance globale, mais, comme l'a rappelé M. Marsaud, il est difficile de tout verrouiller dans la vieille Europe : nous aurons toujours des maillons faibles.

En tant que CNR, je suis chargé de mettre de l'huile dans les rouages et d'aider les services, non de pratiquer le name and shame (nommer et couvrir de honte) ni de tirer des plans sur la comète ou de monter des Meccano administrativo-politiques qui absorberaient toute l'énergie de services déjà sous pression.

Quant à l'OCAM, je ne crois pas que ce soit une structure très opérationnelle.

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