Mercredi dernier, avec nos collègues Philip Cordery, Marietta Karamanli, Jérôme Lambert, Pierre Lequiller, Michel Piron et André Schneider, nous nous sommes rendus à Berlin afin de participer à la rencontre bilatérale entre notre Commission et la Commission des affaires de l'Union européennes du Bundestag, rendez-vous qui se tient alternativement dans nos deux capitales.
La journée, extrêmement dense, s'est déroulée en quatre temps : un échange avec notre ambassadeur à Berlin, M. Philippe Étienne ; une première réunion commune avec nos homologues allemands, en présence de Thomas Silberhorn, secrétaire d'État parlementaire auprès du ministre fédéral de la coopération et du développement économiques ; une séance publique exceptionnelle, lors de laquelle nos collègues allemands examinaient en première lecture le projet de mandat pour le déploiement de leurs forces armées sur le théâtre syrien ; enfin, une seconde réunion commune avec nos homologues, en présence, cette fois-ci, de la chancelière Angela Merkel.
Lors de notre réunion du matin, M. Silberhorn a défendu le principe d' « un mécanisme équitable de répartition des réfugiés entre États membres » de l'Union européenne, afin de partager la charge de l'intégration, sachant que l'Allemagne devrait en avoir accueilli pas moins d'un million à la fin de l'année et dépenser, à cet effet, « davantage que pour la totalité de ses actions de coopération au développement à l'échelle mondiale ».
Les grands enjeux environnementaux liés à la COP 21 ont été évoqués – notamment par la chancelière Merkel elle-même –, mettant en évidence de larges convergences avec les positions françaises.
Cette mission au Bundestag est intervenue le jour même où nos collègues allemands examinaient en séance publique, en première lecture, le projet de mandat aux forces armées allemandes en vue d'un soutien militaire à la France sur plusieurs théâtres d'opérations, notamment en Syrie, dans le cadre de la coalition internationale en cours de constitution. Les débats ont donc beaucoup porté sur cette question.
La chancelière Merkel a fait part à notre délégation de l'émotion qu'elle a ressentie en déposant une gerbe place de la République, le 25 novembre, avec le Président François Hollande.
Notre collègue Gunther Krichbaum, président de la Commission des affaires de l'Union européenne du Bundestag, s'était quant à lui déplacé à Paris immédiatement après les attentats du 13 novembre pour saluer la mémoire des victimes et manifester la solidarité des parlementaires allemands vis-à-vis de la nation française. Je l'en ai remercié à plusieurs reprises au cours de la journée.
À l'heure où la France est en première ligne contre un terrorisme d'un nouveau type, cette solidarité est précieuse. À cet égard, les membres de nos deux commissions ont un rôle spécifique à jouer à l'échelon parlementaire et ils l'assument avec détermination et efficacité.
En séance, notre délégation a été solennellement saluée par le Président du Bundestag, M. Norbert Lammert. Lui-même ainsi que les ministres des affaires étrangères et de la défense puis l'ensemble des orateurs des Fraktionen se sont inclinés devant la mémoire des victimes des attentats du 13 novembre et se sont chaleureusement adressés à notre délégation pour assurer la France de leur soutien.
Les deux ministres, M. Frank-Walter Steinmeier et Mme Ursula Von der Leyen, ont défendu avec précision deux idées : primo, les frappes militaires contre Daech constituent une riposte proportionnée indispensable afin d'enrayer ses succès militaires et ainsi de réduire son aire d'influence territoriale en Syrie et en Irak, voire en Libye, et de priver de leur base logistique les terroristes susceptibles de commettre leurs exactions en Europe ; secundo, cela ne saurait évidemment suffire pour trouver une solution à la montée du radicalisme islamique et du djihadisme, qui passe par la stabilisation politique du grand Proche-Orient, c'est-à-dire par la poursuite des démarches diplomatiques comme le processus de Vienne, ainsi que par l'adoption de mesures d'ordre économique et social.
Les intervenants de la CDUCSU et du SPD ont abondé dans ce sens. Plusieurs d'entre eux ont souligné que les attaques terroristes n'ont pas seulement frappé la France mais également les valeurs européennes, la jeunesse européenne et par conséquent l'Allemagne.
Les seules voix discordantes sont venues des deux groupes minoritaires.
Les Grünen, sans s'opposer par principe au mandat – qui répond selon eux à une préoccupation légitime –, ont exprimé des doutes quant à « la stratégie globale du gouvernement allemand », à la clarté des objectifs d'une coalition anti-Daech hétéroclite et au sérieux de l'évaluation par le gouvernement allemand des conséquences de son intervention militaire.
Quant aux députés de Die Linke, ils ont radicalement réprouvé toute intervention militaire, qu'ils qualifient d' « aventure ». Ils s'apprêtent du reste à déposer un recours devant le Tribunal constitutionnel fédéral, au motif d'une prétendue insuffisance de base juridique.
La combinaison de deux textes rend pourtant difficilement contestable la légitimité d'une réaction militaire : la résolution 2249 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée à l'unanimité de ses quinze membres le 20 novembre dernier ; l'article 51 de la charte des Nations unies.
En outre, la France a émis une requête très claire vis-à-vis des vingt-sept autres États membres de l'Union européenne, en activant l'article 42, paragraphe 7, du traité sur l'Union européenne.
La deuxième lecture et le vote sont intervenus dès vendredi dernier, quarante-huit heures après la séance à laquelle nous avons assisté. Le mandat, adopté par 445 voix pour, 146 voix contre et 7 abstentions, contient le train de mesures suivantes pour la Syrie : déploiement de six avions Tornado de reconnaissance ; déploiement d'un avion de ravitaillement en vol ; participation d'une frégate allemande à la protection du groupe aéronaval français ; contribution du réseau satellitaire radar allemand au système de surveillance des forces française.
Au total, 1 200 militaires allemands pourront être mobilisés sur le théâtre syrien, à l'exclusion de toute troupe au sol. Le mandat ne prévoit pas non plus l'intervention de bombardiers ou de chasseurs.
Par ailleurs, la Bundeswehr renforcera sa participation à deux missions internationales, au Mali et en Irak.
Cette implication substantielle devrait coûter 134 millions d'euros à l'Allemagne en 2016 et l'engager pour une dizaine d'années. Le peuple allemand étant réticent aux interventions militaires extérieures, un tel mandat constitue un acte politique fort.
Ce débat a mis en évidence la richesse des échanges entre le gouvernement et les députés allemands, ces derniers ayant le dernier mot sur les questions de défense.
Au cours de la journée, d'autres questions ayant trait aux dossiers relatifs aux affaires intérieures de l'Union européennes sont venues en débat, pour la plupart suscitées par nos collègues de la délégation française : sécurisation des frontières extérieures et libre -circulation dans l'espace Schengen ; élargissement du mandat de FRONTEX ; insuffisance des hotspots ; données passagers PNR ; lutte contre le trafic d'armes de guerre ; lutte contre le financement du terrorisme ; harmonisation des règles d'asile et création d'un office européen de protection des réfugiés ; relocalisation des réfugiés.
La réunion avec la chancelière a duré pas moins d'une heure et demi. Elle fêtait ce jour-là le 25e anniversaire de sa première élection au Bundestag et s'est montrée très directe, en prenant des positions parfois iconoclastes sur de grands sujets ayant trait à la diplomatie allemande et européenne.
Elle a estimé que l'Union européenne doit se préparer à relever de multiples défis au XXIe siècle et que ses épreuves actuelles constituent « de bons tests de résilience, qu'elle doit s'efforcer de réussir ».
Elle a pris le contre-pied de l'idée reçue selon laquelle l'Allemagne serait focalisée sur le Partenariat oriental et la France sur l'Union pour la Méditerranée (UpM).
Elle a plaidé en faveur du maintien des discussions en format Weimar et a appelé les nouveaux États membres d'Europe de l'Est à consentir réellement à « renoncer à une partie de leur souveraineté nationale ».
Elle a regretté que la signature du traité de Lisbonne ait été accompagnée de l'engagement qu'il ne « serait pas renégocié par la génération politique en place ». Selon elle, il faudra en rediscuter, « afin que l'Union européenne sorte de la logique intergouvernementale ».
Elle a affirmé que l'Allemagne ne ménagerait aucun effort pour parvenir à ce que les Britanniques ne quittent pas l'Union européenne.
Elle a jugé que l'accord signé entre l'Union européenne et la Turquie le 29 novembre est gagnant-gagnant et que la Turquie est un partenaire incontournable, malgré les désaccords.
Elle a donné en exemple les efforts diplomatiques entrepris, récemment avec la Russie et l'Iran.
Enfin, elle a assuré malicieusement qu'elle ne s'opposerait pas à ce que les dépenses de sécurité soient extraites du calcul du déficit budgétaire requis par le pacte de stabilité, mais qu'elle n'interférerait pas dans la décision de la Commission européenne.