En France, le secteur de la construction est très lourdement touché par le phénomène de dumping social et de concurrence déloyale. Que celui-ci soit le fait d'entreprises européennes opérant directement ou en sous-traitance ou qu'il résulte du recours à de l'intérim européen, le but poursuivi consiste à afficher des tarifs avec lesquels aucun entrepreneur respectant les règles ne peut rivaliser. C'est pourquoi la Fédération française du bâtiment salue l'accord trouvé au niveau européen le 9 décembre dernier ainsi que la proposition de loi du député Savary. Cet accord constitue une étape importante en vue de l'adoption d'une nouvelle directive sur le détachement des travailleurs, permettant une meilleure application de la directive de 1996. Nous demeurons cependant inquiets quant à la possibilité de parvenir, le 20 février prochain, à un compromis entre les différentes institutions européennes.
Deux points nous paraissent essentiels. En premier lieu, il convient de permettre à l'État d'accueil d'exercer son pouvoir de contrôle ; c'est le seul moyen de lutter contre les abus de détachement. Même si l'on améliorait la coopération administrative entre les États membres, seul le pays d'accueil serait suffisamment motivé pour contrôler efficacement les conditions de travail et la bonne application des règles en vigueur. Nous espérons donc que le texte final prévoira bien une liste ouverte des mesures de contrôle.
En second lieu, nous souhaitons que les maîtres d'ouvrage soient responsabilisés tout autant que les entreprises donneuses d'ordre. Il est, en effet, tentant de stigmatiser les entreprises du secteur ou la sous-traitance ; mais le vrai responsable n'est-il pas plutôt le client final, le maître d'ouvrage, qui ne recherche que les prix les plus bas ? Finalement, c'est à lui que profite le crime ! En outre, il ne nous paraît possible de tenir un donneur d'ordre pour responsable qu'à l'égard de ses contractants directs.
C'est pourquoi la proposition de loi visant à renforcer la responsabilité des maîtres d'ouvrage et des donneurs d'ordre dans le cadre de la sous-traitance et à lutter contre le dumping social mérite d'être saluée : elle montre bien que le Gouvernement et un très grand nombre de députés ont pris conscience de la gravité du problème suscité par le détachement des salariés en France, et qu'ils sont prêts à anticiper la publication de la directive en adoptant des mesures significatives. Ce texte va dans le bon sens en faisant obligation au maître d'ouvrage ou au donneur d'ordre de vérifier que son cocontractant européen a bien déclaré le détachement à l'inspection du travail.
Par principe, nous ne pouvons toutefois être en accord avec la proposition de publier sur internet une liste noire des entreprises condamnées pour travail illégal : ce type de mesure, prétendument temporaire, laisse en réalité une trace indélébile et définitive, et risque de conduire les entreprises concernées à cesser totalement leur activité alors même qu'elles se seraient mises en conformité avec la règle. En outre, alors que cette règle est déjà en vigueur dans huit États européens, nous déplorons fortement que n'ait pas été retenue l'idée d'imposer à tout salarié travaillant sur un chantier le port d'une carte d'identification.