Intervention de Sofia Fernandes

Réunion du 18 février 2014 à 17h15
Commission des affaires européennes

Sofia Fernandes, chercheure à Notre Europe :

Dans cette réflexion sur l'Europe sociale et sur le volet social de l'Union économique et monétaire, il convient d'éviter les deux écueils que constituent l'illusion et l'inertie. L'illusion, parce que les politiques sociales et d'emploi restent des prérogatives nationales, les modèles nationaux en la matière étant fort divers au sein de l'Union européenne. L'inertie, parce que ces arguments ne sauraient justifier l'inaction au niveau européen dans le domaine social : l'Union dispose, en effet, d'instruments juridiques et financiers de coordination des politiques nationales pour compléter l'action des États membres en ce domaine. L'Europe a pris de nouvelles initiatives depuis le début de la crise, mais elle doit se servir de ces instruments pour aller plus loin, pour trois raisons.

La première, c'est que l'Europe sociale a toujours été conçue comme une compensation à l'intégration économique. Par conséquent, si l'intégration économique continue de progresser, avec l'accroissement des interdépendances économiques entre pays partageant la même monnaie et le renforcement des mécanismes de coordination des politiques économiques, il est logique de renforcer également le volet social de l'UEM.

La deuxième raison est liée à la crise, qui a eu pour conséquence d'accroître les divergences entre les États membres et d'accentuer les déséquilibres sociaux dans les pays de la périphérie. Or, parmi ses objectifs, le Traité prévoit que l'Union européenne doit promouvoir une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tende vers le plein emploi et le progrès social. Dans le respect de cet objectif, l'Union européenne doit donc agir plus fortement pour contrer les conséquences sociales de la crise économique et financière actuelle.

Enfin, la troisième raison est d'ordre politique : les citoyens ne soutiendront le projet européen que s'il est porteur de bien-être. Selon Jürgen Habermas, le projet mobilisateur de l'Europe doit être la défense du mode de vie européen face aux pressions de la globalisation. Ce n'est que s'il est perçu ainsi, et non comme une contrainte pour les modèles sociaux nationaux, qu'il pourra recueillir le soutien des citoyens – fondamental pour sa viabilité et sa légitimité à court, moyen et long termes.

Le volet social de l'UEM doit être transversal aux quatre piliers de l'UEM –économique, budgétaire, bancaire et politique – que le rapport Van Rompuy a identifiés. Il ne s'agit pas de créer un cinquième pilier social, mais bien d'intégrer la dimension sociale à toutes les initiatives de l'Union européenne, de la placer au coeur de la gouvernance économique européenne, ainsi que l'a souligné Mme Nilsson. In fine, il ne s'agit que d'appliquer l'article 9 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui prévoit une clause sociale horizontale et dispose que l'Union européenne doit prendre en compte l'impact de toutes ses initiatives sur l'emploi, et promouvoir un niveau élevé d'éducation, de santé et d'inclusion sociale. Or il ne me semble pas que cette clause sociale horizontale ait été respectée dans le cadre de l'adoption et de la mise en application des récents programmes d'ajustement dans les pays de la périphérie ainsi que des protocoles d'accord.

Nous proposons quatre types de mesures concrètes pour promouvoir la dimension sociale de l'UEM.

En premier lieu, il faut assurer une meilleure surveillance et une meilleure coordination des politiques sociales et de l'emploi. Cela passe par l'identification des problèmes rencontrés, domaine dans lequel le tableau de bord d'indicateurs sociaux constitue un progrès, insuffisant toutefois pour renforcer l'Europe sociale aux yeux des citoyens. C'est aux États membres d'agir en utilisant les différents instruments dont l'Union dispose pour intervenir dans le domaine social. C'est ainsi que les problèmes identifiés grâce au tableau de bord doivent être pris en considération dans les recommandations par pays, dans le cadre du semestre européen.

Il est possible d'aller plus loin. À travers le contrat de compétitivité et de convergence, un État membre s'engage envers la Commission européenne à appliquer des réformes structurelles. Comme l'a souligné Mme Nilsson, il s'agit là d'une approche sur le mode principal-agent aux termes de laquelle c'est la Commission qui donne des instructions à l'État membre. Or, ce dont nous avons besoin aujourd'hui, ce n'est pas d'une Europe bâton qui contraindrait et sanctionnerait les États, mais d'une Europe carotte, qui les soutienne et les incite.

Selon Jean Pisani-Ferry, au lieu d'instaurer des contrats bilatéraux, mieux vaudrait que l'Union européenne fixe des objectifs comparables à ceux qui sont déjà prévus dans la stratégie Europe 2020. Elle pourrait ainsi accorder des incitations financières aux États membres instaurant des politiques en faveur de l'emploi des seniors et limitant les systèmes de retraite anticipée. Reste à savoir si ces incitations prendraient la forme de prêts ou de dons ou encore si l'on appliquerait une règle d'or. Prenons l'exemple du Portugal, qui a besoin de qualifier sa main d'oeuvre et, pour cela, d'investir beaucoup dans le domaine de l'éducation. L'augmentation de ses dépenses d'éducation pourrait être exclue du calcul de son déficit public. En tout état de cause, face aux déséquilibres sociaux constatés, l'Union européenne doit être en mesure d'agir plus fortement qu'elle ne l'a fait.

En deuxième lieu, il convient de limiter l'impact négatif que peut avoir l'appartenance des États à l'Union économique et monétaire sur les systèmes sociaux nationaux. De fait, ces États ont perdu deux des instruments qui auraient pu leur permettre de faire face aux chocs asymétriques : l'outil de change qui leur donnait la possibilité de dévaluer la monnaie ; les stabilisateurs automatiques sur lesquels leur politique budgétaire contrainte ne peut plus jouer que de façon très limitée. Dans ces conditions, il conviendrait d'envisager l'instauration de stabilisateurs au niveau européen, notamment une assurance chômage. La Commission y réfléchit d'ailleurs et estime qu'une révision du traité serait nécessaire à cette fin : mais ne serait-il pas possible, Mme Bucher, d'en prévoir la révision simplifiée, comme nous l'avons fait pour le mécanisme européen de stabilité ?

En troisième lieu, il faut lever le tabou de la mobilité en Europe. Alors que les programmes européens de soutien à la mobilité que sont Erasmus et Leonardo da Vinci constituent une véritable réussite sur notre continent, en France, on ressent un blocage lié à la mobilité des travailleurs. Au Portugal, on considère que la mobilité offerte par l'Europe aux citoyens est comparable au choix qu'avaient jadis leurs grands-parents : partir à l'étranger pour s'en sortir. Or on ne saurait poser le débat en ces termes : puisque le Portugal ne peut offrir à ses jeunes des emplois qui n'existent pas sur son territoire, mieux vaut, dans le cadre d'une mobilité temporaire, les inciter à préférer un travail dans un autre pays plutôt que le chômage dans le leur. À cette fin, l'Union européenne doit agir, à la fois pour permettre aux jeunes de partir dans de bonnes conditions, et pour aider les États membres à créer les conditions leur permettant de revenir au pays. Cela suppose notamment de résoudre le problème de fragmentation du système financier, de telle sorte que les PME puissent accéder au financement, investir et donc créer des emplois.

En quatrième et dernier lieu, la gouvernance sociale doit être améliorée par deux moyens : une meilleure implication des partenaires sociaux, et la création d'un Euro groupe social, à l'instar de celui formé par les ministres des finances de la zone euro. Il conviendrait que, au moins à la veille de chaque sommet des chefs d'État de la zone euro, les ministres de l'emploi et des affaires sociales puissent, eux aussi, se réunir.

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