Le social et l'économique sont intimement liés ; il est donc difficile d'imaginer des indicateurs sociaux contraignants dans un système économique aussi fluctuant que le nôtre. En effet, le capitalisme voit se succéder crises et périodes de croissance ; durant les périodes heureuses, on a tendance à se laisser aller à plus de largesses dans les négociations, alors que la rigueur et l'épargne reprennent leurs droits lors des moments difficiles. Des indicateurs définis par le politique – qui considère les enjeux du marché avec beaucoup de recul – constitueraient une contrainte supplémentaire. Certes, il faut tendre vers des objectifs vertueux ; m'occupant des négociations sociales dans le secteur du BTP, je n'ai jamais proposé à mes interlocuteurs salariés de revenir sur des acquis. La politique sociale amène continuellement le patronat à abandonner des positions, et si l'on essaie de lâcher le moins possible, la guerre est perdue d'avance. Cependant, pour nécessaires qu'ils soient, ces objectifs ne devraient pas être fixés au niveau européen. Nous devrions plutôt nous rapprocher du système allemand où syndicats et patronat décident des objectifs communs au lieu de subir ceux imposés par l'État. Il faut nous ouvrir à l'expérience des autres pays.
Le salaire minimum ne se résume pas à une somme d'argent ; il faut également tenir compte des autres avantages dont jouissent les salariés des différents pays : accès au logement ou à la santé, école gratuite, etc. Si l'on décidait de fixer un salaire minimum européen, il se situerait nécessairement à un niveau très bas, vu les disparités entre pays dans la distribution de ces avantages.
On parle d'une assurance chômage européenne : chaque pays a déjà du mal à l'équilibrer à l'échelle nationale ; la forfaitiser au niveau européen me semble par conséquent délicat et, en l'état actuel des infrastructures, franchement utopique. Cela n'empêche pas, néanmoins, d'y réfléchir à très long terme, sachant tout de même que le niveau de cette assurance décevrait certainement les Français. En revanche, en matière d'impôt sur les sociétés, s'il s'agit de remplacer les prélèvements nationaux par un impôt unique au niveau européen – et non de créer un impôt supplémentaire –, la mesure favoriserait sans doute la concurrence loyale.
Beaucoup de choses marchent bien en Europe en matière de compétitivité et de complémentarité, notamment dans certains secteurs industriels. À Toulouse, par exemple, Airbus est une grande réussite européenne qui bénéficie des idées et des compétences de plusieurs pays. Même le secteur du BTP, qui paraît plus traditionnel, profite de la formation et de la transmission de savoir-faire à l'échelle européenne. Rien de nouveau à cela d'ailleurs : toutes les cathédrales européennes ont été construites par les mêmes compagnons qui allaient de pays en pays, y important leurs innovations. La formation des jeunes fait partie des réussites de l'Europe, et il faut continuer à avancer dans ce domaine. D'ailleurs, lorsqu'on voyage dans le monde, on est d'abord perçu comme Européens, et non comme Français.
Enfin, le blame and shame me semble représenter une bonne solution. Notre syndicat européen des industries de la construction souhaite disposer d'un tableau d'indicateurs récapitulant les différences de couverture sociale entre pays, en termes de coût et de financement. Cette comparaison permettrait de mettre en évidence les systèmes qui marchent le mieux, où la couverture est assurée avec le meilleur rapport qualité prix. Cette solution aurait l'intérêt d'éviter les objectifs contraignants tout en mettant en avant les améliorations possibles.