Intervention de Jean-Pierre Gorges

Réunion du 2 octobre 2014 à 9h30
Commission d'enquête relative à l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Gorges :

Madame Charbonnier, votre synthèse était brillante.

Je vous remercie d'avoir rappelé la chronologie des évènements. Il est incroyable que les gens ne connaissent pas l'historique de la durée du temps de travail et aient oublié la loi d'août 2008, qui a modifié complètement la donne.

La réduction du temps de travail à 35 heures était une promesse purement électorale de 1981. De fait, on a commencé à réduire doucement le temps de travail. Mais on s'est arrêté aux 39 heures parce que l'on voyait bien que ce n'est pas possible d'aller en dessous. En 1998, la dissolution de l'Assemblée nationale est tombée du ciel, et la gauche s'est demandé quel programme proposer aux Français : elle leur a proposé les 35 heures.

Madame, vous nous avez montré comment on avait réduit le temps de travail entre 1919 et 1982. Il fallait le faire parce que l'on travaillait 48 heures, six jours par semaine. Mais si on a pu le faire, c'est parce que l'on était dans un contexte de croissance et que la technologie avait modifié les process de fabrication. Sauf qu'à un moment donné, la situation s'est renversée : la croissance n'est plus là, la technologie progresse mais la concurrence s'accélère.

Bien sûr, on pourrait continuer à diminuer le temps de travail. D'ailleurs, partager le temps de travail est facile à faire si l'on partage les salaires. Mais le problème apparaît quand on souhaite, en même temps, que les gens continuent à gagner le même salaire. Allez dans un restaurant au Mexique : il y a huit personnes qui servent autour de la table, mais ils sont payés 90 euros par mois. En France, vous en avez deux, qui sont payés 1 000 euros.

Et ce qui était le problème des 35 heures pèse encore aujourd'hui sur le budget : la facture atteint 22 milliards d'euros par an, sur un déficit estimé à 75 milliards d'euros. En effet, on a compensé le fait que les gens travaillent 35 heures au lieu de 39. Que ce soit payé par l'entreprise ou par l'État, tout cela se retrouve à un moment donné et il faut bien le financer par l'impôt.

La situation s'est donc retournée en 1982. J'approuve qu'en 1983, les socialistes aient arrêté le processus. Mais je reproche à tous ceux qui sont venus après, de gauche comme de droite, d'avoir aggravé le problème. Je l'ai constaté comme co-rapporteur de l'évaluation de l'article 1er de la loi dite « TEPA », au nom de notre Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC), qui a conduit à bonifier des heures supplémentaires qu'effectuaient déjà 9,5 millions de personnes qui avaient continué à travailler 39 heures. En payant ces quatre heures comme des heures supplémentaires, on a dépensé de l'argent sans créer une heure supplémentaire de plus. À partir de 2008, les choses se sont encore dégradées. Il faudrait s'adapter au contexte et arrêter le dispositif comme cela a été fait en 1983.

Si l'on veut partager le temps de travail, il faut partager les salaires. On a d'autant plus de chances d'avoir du travail que l'on est plus compétitif. En fait, c'est le travail qui amène le travail. Les 35 heures nous l'ont démontré.

La proposition que vous faites est celle qui résulte du travail que nous avons mené avec M. Jean Mallot sur l'article 1er de la loi TEPA pour le CEC. Nous y avons mis en évidence que les 35 heures n'existaient plus depuis août 2008, et que ce n'était plus que le seuil à partir duquel on calculait les heures supplémentaires.

Nous avions toutefois une divergence de vue : mon ancien collègue pensait qu'il faut discuter branche par branche, et moi qu'il faut discuter entreprise par entreprise, voire secteur par secteur à l'intérieur d'une même entreprise.

Ce n'est pas la même chose de travailler à la production ou dans les bureaux. Peut-être que celui qui est devant des hauts fourneaux ne doit travailler que 32 heures et que celui qui est dans les bureaux, pour compenser, doit en travailler 42 ? Mais de toute façon, l'organisation des horaires de travail doit être décidée au niveau de l'entreprise. On ne peut pas mettre tout le monde sur un pied d'égalité. Dans un pays, il y a une grande variété d'entreprises, et dans l'entreprise, il y a une grande variété de métiers.

À l'intérieur d'un cadre donné défini par le législateur – par exemple pas plus de 48 heures dans une semaine et pas plus de 10 heures par jour – il faut tout revoir dans un esprit de liberté. Dans les entreprises, les patrons, comme les partenaires sociaux et les employés, sont des gens responsables.

Les entreprises sauront quoi faire en fonction de leur activité. Ce n'est pas au législateur de s'en préoccuper. Comme les entreprises sont en compétition les unes par rapport aux autres, elles sauront attirer les meilleurs chez elles parce qu'elles paieront mieux ou offriront de meilleures conditions de travail.

Madame, je suis donc tout à fait en phase avec votre proposition. Mais de grâce, il faut qu'à l'Assemblée nationale on réagisse. La situation est grave.

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