Intervention de Sébastien Pietrasanta

Réunion du 17 mars 2016 à 13h30
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Pietrasanta, rapporteur :

On m'a dit que vous étiez, l'un et l'autre, très modestes, mais je tiens à saluer votre courage. Vous êtes vraiment des héros. Certes, il y en a d'autres, mais vous l'êtes particulièrement et je voulais vous le dire personnellement. Votre action a été exemplaire et a permis de mettre un terme au massacre qui était en cours. Toute la représentation nationale vous est reconnaissante pour la manière dont vous avez agi.

Je voudrais tout d'abord vous poser une question d'ordre général. Il y a les protocoles, et la vraie vie : j'imagine que les protocoles ne vous autorisaient pas à pénétrer dans le Bataclan de votre propre initiative, sans renforts. Y avez-vous réfléchi, ou êtes-vous entré instinctivement ? Avez-vous pris votre décision à la vue des victimes ?

S'agissant ensuite du déroulé des événements, vous avez prévenu par radio que vous étiez sur place à 21 h 54, et vous tuez le terroriste à 21 h 57. Je n'ai pas bien saisi la situation : était-il sur la scène ? J'avais compris qu'il mettait en joue un jeune homme. Dans le témoignage paru dans La tribune du commissaire, vous écrivez que si le tir avait échoué, vous étiez finis. Lorsque vous êtes entrés, y avait-il des exécutions en cours, ou avaient-elles déjà eu lieu ? Ce matin, il nous a été dit que les terroristes économisaient leurs munitions. Ils tiraient dans la tête en pas en rafale. Lorsque vous êtes intervenus, la plupart des victimes avaient-elles déjà été tuées ?

Par ailleurs, les autres terroristes semblaient être à l'étage lorsque vous avez tiré. Vous dites les avoir vus recharger lorsque vous êtes ressortis, pensez-vous qu'ils soient redescendus ?

Il nous a été dit qu'après votre intervention, les tirs à l'intérieur du Bataclan avaient cessé – les échanges avaient lieu à l'extérieur avec la BAC 94. Or vous nous apprenez que lorsque vous êtes entrés pour la deuxième fois, vous avez à nouveau échangé des tirs avec les terroristes. Ces tirs vous visaient-ils, ou bien y avait-il d'autres exécutions d'otages en cours ?

Commissaire divisionnaire X. Une tuerie de masse de ce type était une première en France. Les protocoles existent pour les prises d'otages classiques, dans un établissement bancaire ou n'importe quel autre lieu. Le mode d'intervention consiste alors à rester à l'extérieur et à envoyer des effectifs en civil faire une observation discrète. On coupe la circulation, on interdit la fuite des preneurs d'otages et l'on établit un périmètre de sécurité. On fige la situation et on attend les forces d'intervention, seules habilitées à intervenir. C'est ce que l'on fait en présence de forcenés, avec des armes supposées ou réelles : on fige, et on attend les services d'intervention.

En cas d'attaque de moindre importance, ou à l'arme blanche, les services généralistes peuvent intervenir. C'est le protocole habituel.

Pour les tueries de masse, il n'y avait pas encore de protocole. Mais nous avons l'habitude de travailler avec la BRI dans Paris, et avec le RAID en banlieue. Généralement, on fige, on fait un périmètre d'exclusion dans lequel nous sommes les seuls présents parce que nous sommes équipés en matériel lourd, celui de la Force d'intervention de la police nationale (FIPN) – dont nous faisons partie. Ensuite, à l'arrivée des effectifs spécialisés, nous faisons des relèves de colonne, c'est-à-dire qu'ils nous relèvent point par point. Puis eux progressent, éventuellement avec un soutien arrière de notre part : on suit la colonne de la BRI ou du RAID pour procéder aux extractions d'otages qui sont faites par eux. Nous constituons donc leur base arrière sur ce type d'interventions.

Depuis, des notes ont été rédigées, modifiant les schémas d'intervention afin que les primo-arrivants soient les primo-intervenants, dans la mesure de leurs possibilités et de la protection matérielle dont ils disposent. Je pense notamment à la note EVENGRAVE, qui a été rédigée par la zone de défense, dont vous avez dû avoir connaissance et qui décrit tout ce schéma d'intervention : la notion de périmètre d'exclusion, de zone contrôlée, de zone de soutien, en détaillant le rôle de chacun.

Concernant notre intervention au Bataclan, il est vrai que d'après le protocole, nous aurions peut-être dû rester à l'extérieur. À titre personnel, deux éléments m'ont poussé à entrer.

Tout d'abord, je considère qu'en tant qu'homme, on ne peut pas rester dehors pendant que des gens se font massacrer. En outre, on ne choisit pas notre métier par hasard. Si on devient policier, c'est que l'on a un sens du devoir et du service public qui font qu'au quotidien, nous sommes prêts à prendre des risques physiques pour nos concitoyens. C'est le coeur de notre métier, l'une des raisons pour lesquelles nous entrons dans la police. Même dans des fonctions qui comportent plus de tâches administratives, comme celles de commissaire.

Je ne l'ai pas précisé, mais, avec mon équipier, nous avons eu très peu d'échanges verbaux au moment où nous sommes entrés. Nous nous sommes regardés, je crois avoir dit : « Il faut qu'on y aille. » Je ne suis même pas certain qu'il m'ait répondu : il m'a regardé et cela m'a suffi pour comprendre que nous étions sur la même longueur d'onde et que dès lors, nous ne faisions plus qu'un. Je crois que nous avons la même perception de notre intervention sur ce point.

Peut-être que le grade de commissaire fait peser un poids supplémentaire sur mes épaules. Cela me donne une responsabilité et un devoir d'exemplarité. Si je n'entre pas, personne ne le fera. Je ne peux pas demander à mes effectifs d'entrer si moi-même je ne suis pas devant. C'est ma place en tant que chef de service.

Il n'y a donc pas eu de doutes sur la nécessité d'intervenir ; nous n'avons pas réfléchi. Je pense d'ailleurs qu'il n'y a pas eu de peur à ce moment-là. Peut-être y en a-t-il eu après, quand on a commencé à se faire tirer dessus. Nous avons alors pris conscience du risque.

Notre intervention ne relevait pas non plus de la bravoure déplacée, nous nous sentions prêts à intervenir. Mon équipier est à la BAC depuis longtemps et j'ai fait moi aussi de nombreux postes de terrain. Nous avons l'habitude en outre de travailler ensemble puisque nous le faisons depuis plus de quatre ans. Nous n'avions donc aucune appréhension au niveau technique.

S'agissant de la situation avant notre tir, pour nous, le terroriste menaçait le jeune homme. Il apparaît en reculant, arrivant de la gauche de la scène, derrière les rideaux, vers le centre de la scène. Il tenait sa Kalachnikov à hauteur d'homme et la pointait vers ce jeune homme, qui avait les mains sur la tête. Pour nous, il lui dit : « Couche-toi au sol », et le jeune homme commence à se baisser. L'arme est pointée dans sa direction et il y a eu un carnage auparavant : pour nous, il n'y a pas de doute sur le fait qu'il va l'exécuter. À ce moment-là, quand bien même il aurait pointé sa Kalachnikov vers le plafond, nous aurions fait feu, même si juridiquement, la légitime défense n'était pas constituée. Souvent, dans les actions de police, les policiers hésitent à faire usage de leur arme car ils se demandent s'ils sont en légitime défense. Dans cette situation, à aucun moment nous ne nous sommes posé la question.

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