Intervention de Alain Claeys

Réunion du 21 janvier 2014
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Claeys, député, rapporteur :

Cela appelle une réforme de la formation des personnels de santé ; tous les experts rencontrés ont insisté sur la nécessité d'un décloisonnement des disciplines scientifiques entre elles, sur l'importance d'un enseignement en informatique adapté et sur la nécessité d'introduire des sciences humaines et sociales dans ce contexte évolutif. La question de la formation des futurs professionnels de santé apparaît cruciale. C'est d'ailleurs l'un des cinq piliers de la stratégie nationale de santé. Les études de santé ne répondent pas à ces attentes, car l'un des écueils de la formation médicale aujourd'hui réside dans l'explosion énorme du corpus de connaissances. L'élaboration de la loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche de juillet 2013 a été l'occasion d'en débattre. Les propositions vont toutes dans le sens d'une réforme en profondeur. Le rapport de notre collègue, M. Jean-Yves Le Déaut recommande une spécialisation plus progressive au cours des trois années de licence. Le Pr Patrick Berche, doyen de l'Université de Paris-Descartes propose la suppression du concours de la première année d'étude de santé (PACES) et de nouveaux cursus. La loi sur la recherche et l'enseignement supérieur prévoit la mise en oeuvre, dès 2014, de dispositions expérimentales pendant six ans dans toutes les formations de santé. La loi vise à diversifier le recrutement des professions médicales et pharmaceutiques en développant des passerelles. De plus, il faudra renforcer et adapter le système de formation continue.

Par ailleurs, on s'oriente vers un nouveau modèle de recherche et développement (R&D) pour l'industrie pharmaceutique. La subdivision de tout champ pathologique en un très grand nombre de sous-domaines, chacun justifiable d'un traitement particulier, marque la fin presque généralisée du modèle de produit à forte valeur ajoutée (blockbuster) sur lequel l'industrie pharmaceutique reposait jusqu'à présent. Or, parallèlement, on observe une baisse de l'innovation et des bénéfices de l'industrie pharmaceutique. En effet, la plupart des médicaments les plus vendus tombent ou tomberont dans le domaine public à court ou moyen terme.

La mutation du monde pharmaceutique a commencé en 2004-2005, indépendamment de la médecine personnalisée, à la suite du scandale autour du médicament Vioxx. Merck, l'un des premiers laboratoires pharmaceutiques, a été mis en péril par les actions collectives (class actions) et autres procès intentés contre lui. D'après le Pr Laurent Degos, cette affaire a conduit différents laboratoires à arrêter ou limiter la recherche de traitements innovants pour de grandes populations, et à s'en tenir à des traitements pour des populations de 1 000 à 2 000 personnes dans chaque pays, car si un accident survient une fois sur 20 000 patients, il faudra dix ans pour qu'il survienne une fois. En application de ce raisonnement, le risque d'être poursuivi pour un accident causé par un médicament devient quasi nul. Dès lors, l'industrie pharmaceutique a considéré que, pour le moment, les vieilles molécules, souvent des génériques, étaient suffisantes pour traiter de grandes populations et des maladies fréquentes. De plus, elle y voit une opportunité de ressortir certains médicaments qui ne semblaient guère efficaces statistiquement, dénommés « les anges déchus ».

Désormais, l'industrie pharmaceutique s'intéresse non plus au seul médicament, mais au couple médicament-test diagnostique (le test compagnon). Cette évolution exige une diversification de compétences allant du diagnostic in vitro au dispositif médical. Pour un médicament donné, il s'agit, par ces tests, d'identifier les sujets répondeurs et non répondeurs ainsi que ceux qui pourraient provoquer un effet indésirable afin d'adapter la dose à chaque individu. La médecine personnalisée implique alors le développement simultané d'un test compagnon, un deuxième produit qui permet de déterminer si le médicament sera efficace ou non sur tel ou tel patient. Il faut, dans l'intérêt des malades, arriver à un compromis entre le désir d'une mise à disposition rapide des nouveaux produits, reposant parfois sur des dossiers insuffisamment étayés, et le désir d'une mise à disposition la plus sûre possible, sans transiger sur la sécurité des patients.

L'incitation à la recherche et au développement de tests génétiques prédictifs ou diagnostiques assortis à une thérapie ciblée dépend des solutions qui seront trouvées pour résoudre les questions de brevetabilité et de propriété industrielle liées à ces textes. Au-delà de la méthode de traitement, la médecine personnalisée doit prendre une forme concrète pour que les spécialistes de la propriété industrielle puissent lui assurer une protection juridique. L'Office européen des brevets ne permet pas aujourd'hui de breveter de telles méthodes.

Cette problématique induit une tension depuis vingt ans entre, d'une part, les sociétés de médecine moléculaire, alliées aux associations de patients et, d'autre part, les entreprises qui détiennent des brevets larges de gènes. Aux États-Unis, plusieurs procédures judiciaires sont emblématiques, notamment l'affaire Myriad Genetics qui a mis aux prises, d'un côté, des représentants de la communauté scientifique et des associations de citoyens et, de l'autre, Myriad Genetics ; elle s'est terminée, après une longue procédure émaillée de décisions contradictoires, par une décision de juin 2013, réduisant largement la possibilité de breveter un gène. Pour éviter des brevets très larges portant sur des gènes, certaines solutions comme le recours à des « communs » sont envisageables. Ce sont des entités juridiques proposant de nouveaux usages du droit de la propriété intellectuelle, en fractionnant les différents attributs de cette propriété pour les partager entre différentes parties prenantes.

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