Intervention de Jean-Sébastien Vialatte

Réunion du 21 janvier 2014
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Sébastien Vialatte :

Il faudra garantir l'équité et l'information des citoyens face aux enjeux éthiques de la médecine personnalisée. Quand on disposera de tests prédictifs ou de marqueurs biologiques suffisamment convaincants au niveau scientifique, nombre de questions devront être soulevées. Quand effectuer les tests ? À quel âge ? Avec quelle périodicité ? Pour quelle partie de la population et avec quelle prise en charge ? Quel sera l'accès à la prévention et pour quel coût, sachant que la prévention précoce pourrait être efficace, mais qu'il ne faudrait pas pour autant inquiéter les patients inutilement ? Or, d'ores et déjà, une partie de ces questions se pose, car le rôle des tests génétiques à valeur prédictive s'accroît.

En effet,la médecine personnalisée inclut largement la médecine prédictive ou de prévision dans son champ. Largement fondée sur l'analyse génétique, elle conduit à un recours large aux tests génétiques, ce qui induit des interrogations d'ordre éthique et sociétal que nous avions abordées en 2008, dans le cadre de l'OPECST, lors de l'évaluation de la loi relative à la bioéthique, et au cours de l'audition publique organisée, en 2011, par M. Claude Birraux et M. Jean-Louis Touraine sur les maladies monogéniques. Les interrogations, observations et recommandations émises alors restent encore d'actualité alors même que l'usage des tests s'étend.À mesure que l'accès au séquençage à haut débit, voire à très haut débit se développe, le recours aux tests génétiques tendra à s'accroitre.

D'après l'Agence de la biomédecine, on constate une augmentation vertigineuse du nombre de tests effectués entre 2009 et 2012. La loi règlemente le recours aux examens génétiques, leur prescription, le rendu des résultats. Ces dispositions introduites pour la plupart d'entre elles par la loi relative à la bioéthique de 2004 ont été peu modifiées par la loi de 2011, sauf en ce qui concerne l'information de la parentèle. L'Agence de la biomédecine a élaboré, en liaison avec la Haute autorité de santé, un arrêté en mai 2013 définissant les règles de bonnes pratiques applicables à l'examen des caractéristiques génétiques d'une personne à des fins médicales.

L'évolution rapide des technologies s'accompagne de la volonté d'assurer aux patients une information fiable sur les bénéfices attendus des examens génétiques pour leur permettre de distinguer entre des examens génétiques prescrits dans un contexte médical, et cette sorte de génétique récréative que suscitent les tests en libre accès sur Internet, accessibles sur une quarantaine de sites. Ces tests proposent, pour 100 ou 200 dollars, de rechercher les mutations les plus fréquentes, ce qui est finalement assez rapide, des machines étant disponibles à l'étranger pour traiter l'information en quantité. Ces tests, qui sont généralement des tests de susceptibilités faussement rassurants ou inquiétants peuvent être dangereux, car, en dehors de tout cadre protecteur, on tend à faire croire aux personnes qui les utilisent qu'elles ne risquent pas de développer telle ou telle maladie ou, à l'inverse, on les angoisse à tort en focalisant leur attention sur d'autres pathologies dont elles ne seront pas atteintes. La régulation est difficile à mettre en oeuvre.

Quant aux aspects éthiques relatifs aux tests génétiques, le seul texte juridique international contraignant est la Convention sur les Droits de l'Homme et la biomédecine du Conseil de l'Europe, dite Convention d'Oviedo, qui limite l'utilisation des tests génétiques prédictifs de maladie aux seules fins médicales ou de recherche médicale, et interdit toute forme de discrimination à l'encontre d'une personne sur la base de son patrimoine génétique. Sur la base de ces principes, un nouvel instrument juridique, complétant les dispositions de la Convention dans le domaine des tests génétiques à des fins médicales, a été élaboré : c'est le Protocole additionnel à la Convention sur les Droits de l'Homme et la biomédecine, relatif aux tests génétiques à des fins médicales.

La valeur prédictive des tests et son impact est débattue de manière récurrente. Le développement des tests pose des questions sur la précision technologique et la fiabilité des analyses. Aujourd'hui, les diagnostics prénataux (DPN) et préimplantatoires (DPI) sont strictement encadrés en France. Or le séquençage à très haut débit et les possibilités nouvelles de prélever l'ADN du foetus dans le sang maternel changent la donne. Plusieurs sortes de tests se développent, des tests génétiques prénuptiaux visent principalement à lutter contre la transmission de maladies génétiques à forte prévalence dans certaines populations. Progressivement, ces tests se diversifient et couvrent de plus en plus de pathologies génétiques. Ils se diffusent notamment aux États-Unis, en Israël, en Asie et dans les pays du Golfe. La notion de risque d'apparition d'une maladie commence à être prise en compte dans le cadre du diagnostic préimplantatoire (DPI), avec des risques de dérive eugéniste vers la quête de l'enfant parfait.

La médecine prédictive pourrait être détournée de sa fonction sanitaire et être exploitée à des fins non médicales, dans le domaine des assurances et du travail. L'individualisation des risques pourrait avoir un impact important sur les mécanismes d'assurance. La prédiction lèverait le « voile d'ignorance » sur lequel repose le principe de la mutualisation du risque. Certes, actuellement, l'état de santé est déjà pris en compte dans les contrats d'assurance. En effet, contrevenir au principe de bonne foi en cachant une pathologie ou des antécédents médicaux et familiaux à un assureur peut provoquer une annulation du contrat. De plus, la détermination de risques de santé pourrait aussi intéresser les employeurs. Elle risquerait alors d'être utilisée soit pour introduire une sélection à l'embauche, soit pour gérer les ressources humaines.

La protection et la gestion des données personnelles issues des tests est complexe. Il s'agit de données personnelles, identifiantes, et pour partie invariantes tout au long de la vie. En France, il existe un cadre juridique protecteur des données génétiques que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) est chargée de faire respecter. Cependant, vis-à-vis de ces vastes bases de données qui se constituent aujourd'hui grâce aux outils technologiques puissants dont on dispose, de nombreuses règles de la législation sur l'informatique et les libertés sont remises en cause, telle la durée de conservation des données limitée à la finalité de la recherche. En effet, comment assurer le respect du droit des personnes, quand la recherche est appelée à durer très longtemps, et à évoluer ? On ne pourra pas redemander un consentement à chaque étape et, de plus, certaines personnes disparaîtront avant le terme de la recherche. Des exemples de ré-identification, à partir de données minimales anonymisées contenues dans des bases à accès ouvert, ont été récemment décrits. Il faudra donc trouver un système qui garantisse à la fois une qualité de la recherche, une certaine réactivité de celle-ci, et en même temps la confidentialité des données du patient. Toutes les données personnelles du dossier médical doivent être sauvegardées, et protégées de la même façon. Le dossier médical personnel (DMP), en cours d'informatisation, sera concerné au premier chef, car il devra inclure les données génétiques.

Le stockage et le partage d'énormes banques de données constituent un problème important. Les outils de stockage sont d'une dimension nouvelle, et seront difficiles à contrôler. Comment collecter, rassembler et archiver les informations ? Qui aura obligation de stocker les données, alors que celles susceptibles de circuler exigent des espaces considérables ? Pour être utiles, interprétables, ces données doivent pouvoir transiter, ce qui suppose une fiabilité extrême des circuits, donc des accès sécurisés et, surtout, des systèmes d'anonymisation fiables. Est-on suffisamment avancé dans ces techniques pour pouvoir les garantir ? Qui va gérer l'organisation du stockage des données : une ou plusieurs institutions ? Une sorte de CNIL de la santé ?

L'accès aux bio-banques et la propriété des données sont un enjeu essentiel eu égard à leur importance pour la recherche. Qui en est propriétaire ? Le patient, celui qui a réalisé l'examen ou la collectivité qui a payé l'examen ? Il existe, en principe, une règle aujourd'hui en vertu de laquelle chacun est propriétaire de ses propres données médicales, mais l'Islande a vendu les données génétiques de sa population à une firme privée. Les risques d'appropriation des données existent donc. Cependant, l'avenir de la médecine personnalisée implique un partage public de larges collections de données.

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