Mon intervention sera alimentée par ma double mission de vice-président du Crédit coopératif et de président de l'Agence de valorisation des initiatives socio-économiques (AVISE).
Pour répondre au thème de cette table ronde, je me suis efforcé de définir ce que j'entendais par modèle économique et financier des associations. Voici ma définition : équilibre durable entre des produits et des charges permettant de piloter un projet non lucratif à moyen terme, sans distribuer le fruit des résultats, mais en se donnant les moyens de financer les investissements.
Maintenant, il faut se demander quel degré de difficultés connaît ce modèle, question qui fait l'objet de perceptions sensiblement différentes. Au Crédit coopératif, le coût du risque, la « sinistralité » des prêts bancaires aux associations, n'a pas augmenté en 2013 ni au premier trimestre 2014. L'AVISE, qui accompagne sur tout le territoire 6 000 à 7 000 associations par an, constate que les demandes portent pour plus d'un tiers sur le modèle économique et financier. Quant au collectif des associations citoyennes, il a diffusé ces derniers jours dans la presse des prévisions alarmistes – je n'entrerai pas dans la polémique, me contenant d'indiquer qu'il n'est peut-être pas utile de paniquer le monde associatif.
Compte tenu du contraste entre ces visions, il est bon sans doute que votre assemblée travaille à faire la lumière, en toute objectivité, sur les réalités que connaissent les associations.
Un discours global sur les associations est extrêmement dangereux car, comme le montrent les solides travaux de Viviane Tchernonog, il existe une grande diversité de modèles économiques parmi les associations. La répartition des subventions, des cotisations, des dons, des recettes d'activité, des apports du mécénat fait apparaître des écarts très importants : ainsi les subventions représentent-elles 50 % des ressources du secteur caritatif humanitaire et seulement 15 % de celles du secteur sportif, si bien que leur diminution a des incidences fort différentes. Les difficultés du monde associatif doivent être envisagées à travers le prisme de cette diversité, tout comme les réponses qu'on doit y apporter.
Dans le paysage des associations, ce sont les petites et moyennes qui sont le plus sous tension. Depuis maintenant plus de deux ans, le Crédit coopératif a d'ailleurs établi une distinction selon un critère de taille. Si celles-ci connaissent davantage de difficultés, c'est pour deux raisons principales. D'une part, la puissance publique recourt de plus en plus aux appels d'offres auxquels elles ont plus de mal à répondre que les grandes. D'autre part, elles ne disposent pas de moyens techniques et d'expertise pour rechercher les meilleurs moyens de lever des fonds à la différence de certaines associations appartenant à France Générosités ou au Comité de la charte, comme le Secours catholique ou la Croix-Rouge.
Il importe, par ailleurs, de bien distinguer les difficultés d'exploitation – équilibre charges-produits – des difficultés de trésorerie et de fonds propres. Les associations ont de plus en plus de difficultés à financer leurs frais de fonctionnement que ni les financeurs privés, ni les financeurs publics ne semblent vouloir prendre en charge, préférant soutenir les projets.
À cela s'ajoute la complexité des procédures de demandes de subventions, soulignée par Yves Blein dans son rapport. Je pense que de multiples exemples vous ont déjà été cités. Le Fonds régional de développement de la vie associative lancé par la région Ile-de-France demande pas moins de vingt-sept documents ! Des initiatives doivent être prises en matière de simplification, dans la continuité des actions que Mme Vallaud-Belkacem avait commencé de mettre en place lorsqu'elle était ministre de la vie associative – par parenthèses, je remarque que la vie associative ne figure dans aucun des titres des ministres du gouvernement actuel ; doit-on y voir un signe ?
En outre, comme le souligne encore Viviane Tchernonog, les appels d'offres se contentent du moins-disant, ce qui a un fort impact sur les conditions d'exploitation.
S'agissant de la trésorerie et des fonds propres, les associations sont confrontées à un allongement des délais de versements qui les oblige à trouver des solutions de financement en attendant. Elles sont en effet soumises à la règle d'antériorité selon laquelle la notification d'engagement doit précéder tout engagement de dépenses. Certaines trouvent des accords mais d'autres entrent en conflit avec la collectivité quand celle-ci refuse de prendre en charge les dépenses faites avant la notification de la subvention.
Autre élément de fragilisation des fonds propres : la complexité de l'accès aux aides du Fonds social européen. De nombreuses associations ont d'ailleurs renoncé à les solliciter.
La question majeure en ce domaine est celle des excédents. Depuis la guerre, les associations ont constitué leurs fonds propres à partir d'excédents. Cela a contribué à asseoir leur solidité financière, aujourd'hui remise en cause car on leur dénie, si ce n'est de jure du moins de facto, le droit de faire des excédents. Si la puissance publique en constate en année n, elle diminue en année n+1 sa part de financement. C'est une mécanique tout à fait dangereuse car elle risque de décourager les associations de s'astreindre à une bonne gestion. Celles-ci réclament légitimement la possibilité de dégager des excédents raisonnables.
Par ailleurs, les difficultés auxquelles sont confrontées les associations varient selon les secteurs. Résumons : celles du secteur médico-social sont liées aux appels d'offres et aux contractions des ressources ; le secteur socio-culturel est marqué par la fragilité des trésoreries ; le secteur sportif souffre d'un manque de ressources humaines ; les associations militantes, elles, ont un accès difficile aux ressources.
Face à ces constats, quelles pistes peut-on explorer ?
La première consiste à mieux accompagner les associations. Le dispositif local d'accompagnement (DLA) s'appuie sur une centaine de structures sur tout le territoire, dont un tiers est géré par France Active. Les 25 millions qu'il coûte chaque année paraissent peu de chose par rapport au total du budget associatif. De ce point de vue, il serait intéressant de comparer les dispositifs d'accompagnement des entreprises et ceux du monde associatif. Rappelons d'ailleurs que les associations sont considérées en droit communautaire comme des entreprises. Au-delà de la nécessité de maintenir ces dispositifs, se pose la question de les inciter à mieux accompagner les associations en difficulté, dont le nombre est appelé à croître dans les années à venir. Il importe aussi de mieux accompagner les fédérations nationales pour qu'elles-mêmes accompagnent mieux leurs membres.
La deuxième réside dans un renforcement des fonds propres. Il conviendrait de mettre en oeuvre les titres associatifs dont la loi sur l'économie sociale et solidaire du 31 juillet 2014 a réformé le régime car ils n'avaient été que très peu utilisés depuis leur création en 1985. Il faut également, comme je l'ai dit, autoriser les excédents raisonnables. Et l'on pourrait envisager, dans certains cas, de faciliter la transformation d'associations en coopératives d'intérêt collectif, beau prolongement qui maintient la notion d'intérêt général.
La troisième piste repose sur l'amélioration de la gouvernance associative. Les associations qui résistent le mieux, comme l'AVISE a pu le constater, sont celles qui ont la gouvernance la plus solide, ce qui suppose un bon conseil d'administration composé de personnes compétentes capables de piloter un modèle économique tel que je l'ai défini et, pour les associations employeuses, une bonne articulation entre le conseil d'administration, l'équipe technique et la direction. Il me semble que cette dimension n'est pas assez prise en compte, notamment pour ce qui est de la formation des administrateurs. Il n'y a pas d'équivalent du magnifique travail qu'a mené Daniel Lebègue avec l'Institut français des administrateurs.
Enfin, il conviendrait que l'État, au niveau national, fasse les efforts nécessaires pour mettre en ligne l'ensemble des conventions pluriannuelles d'objectifs, ce qui a été proposé mais n'a jamais été fait. En outre, le Parlement pourrait publier un rapport annuel sur l'évolution des financements aux associations.