J'exerce les fonctions de président de La Fonda à titre bénévole. Je suis, en outre, préfet du département de Vaucluse, et j'alimenterai donc mon témoignage par des éléments que j'ai pu tirer de l'observation rapprochée et quotidienne du terrain. Je partage l'essentiel des analyses qui viennent d'être faites à propos de l'équilibre économique des associations. La Fonda est un laboratoire d'idées du monde associatif, qui existe depuis une trentaine d'années. Depuis 2010, elle s'est engagée dans un travail de prospective participative destiné aux associations, qui vise deux objectifs : permettre non seulement aux pouvoirs publics, mais aussi à l'ensemble de la société de mieux apprécier la place du fait associatif ; aider les associations à se situer dans leur environnement économique et sociétal. Dans une société qui connaît des transformations nombreuses et rapides, à un moment où la question de la fragilité de leur modèle économique se pose de manière aiguë, les associations ont besoin de davantage d'intelligence stratégique pour anticiper et pour être convaincantes vis-à-vis de leurs partenaires.
S'agissant de l'impact de la baisse des financements publics et du texte publié à ce sujet par le Collectif des associations citoyennes, plusieurs intervenants ont constaté que la situation des associations n'avait pas connu de dégradation sensible au cours des exercices récents, que l'on se place du point de vue de la couverture du risque, du nombre des dépôts de bilan ou de l'évolution de l'emploi. Les enquêtes du réseau Recherche et Solidarités le confirment en effet. Cependant, je souhaite appeler votre attention sur un phénomène récent qui risque de s'accélérer en 2015 et qui touche principalement les associations moyennes.
Dans la typologie de Viviane Tchernonog, que vient d'évoquer Hugues Sibille, il convient selon moi de distinguer les petites associations, d'une part, et les moyennes, d'autre part. L'activité des petites associations repose essentiellement sur le bénévolat. Leur structure financière est très fragile, mais elles ont une résilience certaine : elles peuvent souvent survivre à la baisse des financements publics. Les associations moyennes, en revanche, y sont très vulnérables. Or nous vivons de ce point de vue une situation sans précédent : tous les financeurs publics s'inscrivent dans une trajectoire de diminution de leur budget et, simultanément, le mécénat d'entreprise réduit sa contribution au monde associatif à un rythme équivalent ou légèrement supérieur à la baisse des financements publics – en 2013, cette contribution a été amputée de 100 millions d'euros sur 1,8 milliard, soit une baisse d'environ 6 %.
Que se passe-t-il sur le terrain ? Les associations moyennes sont très nombreuses dans certains secteurs clés de l'action publique – champ social, éducation, justice, lutte contre l'exclusion, avec notamment les centres sociaux implantés dans les quartiers. Elles disposent souvent de ressources professionnelles et de compétences d'un excellent niveau dans leur coeur de métier, mais moins pointues en matière de gestion. Ainsi que l'ont relevé tous les autres intervenants, elles vivent depuis de nombreuses années sans fonds propres et avec une trésorerie très tendue, dans des situations parfois limites. Jusqu'à maintenant, lorsqu'une de ces associations voyait sa trésorerie tendre vers zéro en fin d'année et qu'elle risquait de ne pas boucler l'exercice, elle parvenait toujours à trouver, dans son département ou sa région, un financeur public qui, en fin de gestion, débloquait les quelques dizaines de milliers d'euros qui lui manquaient pour passer ce cap. Or cet élément d'élasticité est en train de disparaître : même avec la meilleure volonté du monde, les financeurs publics n'ont plus la capacité de réagir, surtout quand plusieurs associations tirent la sonnette d'alarme au même moment.
Les observatoires, les tableaux de bord et les instruments de suivi n'ont pas encore repéré ce phénomène émergent, mais je l'ai observé sur le terrain. Dans les mois qui viennent, nous risquons de voir des associations qui jouent un rôle clé auprès de l'État et des collectivités territoriales faire l'objet de procédures d'alerte et, rapidement, déposer leur bilan. La faiblesse en fonds propre et en trésorerie des associations, que tous les intervenants ont soulignée, est donc en train d'engendrer une fragilité de masse. Un phénomène de rupture peut se produire dans les mois qui viennent, certes pas à l'échelle de ce qu'a annoncé le Collectif des associations citoyennes sur la base de chiffres fantaisistes – il avait ainsi prévu la disparition de 40 000 emplois associatifs en 2014, alors que l'emploi s'est globalement maintenu dans le secteur cette année, même s'il a cessé d'augmenter –, mais il convient néanmoins d'être très vigilant.
De plus, la fragilité structurelle des associations se trouve accentuée de la sorte par la conjoncture au moment même où le fait associatif devient une dimension indispensable de toute politique publique. Sans partenaire associatif, je ne peux mener à bien, en tant que préfet, aucune des politiques publiques que le Gouvernement me donne instruction de mettre en oeuvre dans mon département. Tel est le cas depuis toujours dans le domaine social. Le fait associatif est essentiel, en particulier, dans la négociation des contrats de ville, qui concernent des quartiers où les enjeux en matière de maintien du lien social et de renouvellement du pacte républicain sont très sensibles. Il est également déterminant pour le succès des zones de sécurité prioritaires (ZSP). On le sait moins, car on imagine que l'action de l'État et des autorités judiciaires en matière de sécurité est plus traditionnelle : régalienne, hiérarchique et opérationnelle. Or, l'efficacité d'une ZSP dépend non seulement du déploiement d'effectifs supplémentaires sur le terrain et de la coordination accrue entre la police et la justice, mais aussi, de manière essentielle, de l'amélioration de la relation entre les forces de sécurité et la population du quartier considéré ; les acteurs associatifs jouant un rôle clé en la matière : ils sont à la fois des sources d'information, des capteurs, des relais, des médiateurs et des modérateurs.
De même, rien n'est possible sans les associations en matière de réforme des rythmes scolaires, dans aucune commune. Bien qu'il constitue un chaînon invisible dans le débat politique, le partenariat avec les associations – qui, avec leurs professionnels et leurs bénévoles, font preuve de leur capacité d'engagement et d'adaptation – est ce qui permet à cette politique publique de se mettre en oeuvre, cahin-caha, sur le terrain. En somme, nous assistons à un effet de ciseaux entre, d'un côté, le développement du fait associatif comme mode d'organisation de l'action collective et, de l'autre, la fragilité croissante des associations due à l'orientation globale des finances publiques et à l'affaiblissement conjoncturel du mécénat – même si, d'une manière générale, le monde de l'entreprise est lui aussi de plus en plus conscient du poids des associations et de l'intérêt d'un partenariat avec elles.
Quels outils employer pour faire face à cette situation ? En réponse à une demande pressante et unanime du monde associatif, la loi relative à l'économie sociale et solidaire a donné un cadre législatif à la notion de subvention. Le droit en vigueur n'a pas été modifié : les critères qui permettent d'accorder une subvention à une association, notamment ceux qui dérivent de la jurisprudence européenne, ont simplement été inscrits dans la loi. Néanmoins, cela a conféré une légitimité symbolique à la notion de subvention. Le critère clé qui distingue la subvention de la commande publique est le suivant : le bénéficiaire de la subvention est celui qui prend l'initiative de l'action, il ne répond pas à une demande de la collectivité publique. Cette distinction est d'ailleurs parfois purement formelle.
S'agissant de la commande publique, les associations se plaignent souvent de la mise en concurrence et ont du mal à se mettre dans la situation d'un prestataire de services, voire ne souhaitent pas le faire parce que c'est contraire à leur projet associatif. Quant aux subventions, pour les obtenir, elles doivent être en mesure de présenter aux financeurs publics des projets de moyen ou long terme construits, viables et sérieux, ce qui suppose qu'elles renforcent leur capacité stratégique. Tel est le message que délivre La Fonda. Les dispositifs d'accompagnement ont permis à un certain nombre d'associations de monter en compétence en matière de management et de gestion. Désormais, elles ont besoin d'améliorer leur capacité de projection stratégique et d'anticipation, afin de construire des projets convaincants, qui aident les décideurs locaux à imaginer l'avenir de telle ou telle politique publique, bien que leurs budgets se réduisent. D'où les outils de prospective que propose La Fonda. Néanmoins, les associations n'acquerront pas ces compétences du jour au lendemain : elles ont besoin, à cette fin, non seulement de soutien, de compréhension et de dispositifs d'accompagnement renforcés, mais aussi d'outils comptables appropriés.
La question des outils comptables est certes technique, mais elle est essentielle de mon point de vue. Tous les intervenants ont insisté sur la légitimité des excédents et de leur mise en réserve. Malgré la permanence de cette analyse – La Fonda a publié une note à ce sujet il y a déjà cinq ans –, force est de constater que la doctrine des pouvoirs publics et le comportement des financeurs n'ont guère évolué en la matière. Il faut donc faire en sorte que la constitution d'excédents et le financement du fonctionnement des associations apparaissent légitimes aux yeux des financeurs, dans un contexte de raréfaction des ressources. Les collectivités publiques et les mécènes privés se posent les uns et les autres la même question lorsqu'ils financent un projet : quel en sera l'impact dans la société ou sur le territoire ? Les associations – même celles qui sont des partenaires permanents de l'action publique et sont donc financées en continu, par exemple les centres sociaux – doivent donc être en mesure, dans la discussion budgétaire, en particulier lors des réunions de comités d'engagement, de présenter un projet assorti d'un plan de financement et de résultats prévisionnels. Les décideurs ont besoin d'outils pertinents qui leur permettent de mesurer l'activité des associations et d'apprécier leur solidité. Mais ces outils doivent être développés sans complexifier davantage les dossiers de demande de subvention. À cet égard, je partage les remarques des autres intervenants : malgré l'élaboration d'un formulaire CERFA unique de demande de subvention il y a quelques années, la créativité des administrations – tant de l'État que des collectivités territoriales, sans parler de l'Union européenne – est proprement sidérante : elles fixent de nouveaux critères, demandent toujours plus de pièces, etc. Si nous voulons disposer d'un modèle unique de dossier de demande de subvention et, au-delà, de dialogue de gestion entre les associations et leurs financeurs, il convient d'améliorer les outils.
Il existe selon moi deux pistes pertinentes à cette fin, qui s'inscrivent l'une et l'autre dans le cadre de l'élaboration d'un nouveau plan comptable du secteur des associations. Il s'agirait, premièrement, de clarifier voire de faire évoluer la nomenclature des fonds propres des associations. Malgré la création dans le plan comptable, il y a une quinzaine d'années, de notions telles que le « fonds associatif » ou le « financement de projet », les bilans et les comptes d'exploitation des associations restent trop souvent opaques : les reports à nouveau sont trop nombreux, les réserves ne sont pas désignées correctement. La lecture de ces documents permet rarement de se faire une idée claire sur le mode de financement d'une association ou sur sa solidité.
Deuxième piste : moderniser le compte d'emploi des ressources collectées, qui a été créé dans les années 1990 à l'instigation de la Cour des comptes pour les associations qui font appel à la générosité du public. Il s'agit d'un document comptable fondamental pour les organismes à but non lucratif, puisqu'il permet de savoir d'où vient l'argent et à quoi il sert – le compte d'exploitation permettant, lui, de savoir comment se constitue l'éventuel excédent de l'association. De l'avis de la plupart des acteurs associatifs – que je partage –, le compte d'emploi des ressources a été sophistiqué à l'excès à la demande de la Cour des comptes : il est aujourd'hui plus utile au contrôleur qu'aux associations elles-mêmes. Si nous pouvions, en tenant compte de l'expérience de ces dernières années, nous mettre d'accord avec les contrôleurs sur un certain nombre de mesures de clarification et de simplification de ce document comptable, il deviendrait un outil très précieux pour les financeurs publics. Ceux-ci se posent en effet les mêmes questions que les donateurs privés : à quoi sert ma contribution ? Qui sont les autres contributeurs ? Comment ces différentes contributions ont-elles été affectées aux missions que s'est données l'association ?
À cet égard, le compte d'emploi des ressources permet, d'une part, d'évaluer plus directement l'impact d'un projet et, d'autre part, de connaître le ratio des frais de fonctionnement de l'association. Je plaide d'ailleurs auprès des associations – sans être toujours entendu – pour qu'elles fassent ressortir ce ratio. Dans le budget d'un projet de recherche, on distingue, d'une part, les frais de structure du laboratoire et, d'autre part, le financement de la recherche en tant que telle. Il n'y a pas de raison qu'une association ne puisse pas, de la même manière – sans pour autant développer une comptabilité analytique sophistiquée –, intégrer à sa demande de financement la part de frais de fonctionnement dont elle a légitimement besoin.
Ces propositions, techniques en apparence, sont essentielles pour faire progresser le dialogue entre les responsables associatifs et les financeurs concernant la solidité des projets. C'est la seule solution pour surmonter la fragilité que nous constatons actuellement en matière de financement des associations, les contraintes auxquelles sont soumises les différentes catégories de financeurs n'étant pas près de disparaître.