Intervention de Danielle Auroi

Réunion du 3 novembre 2015 à 18h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, présidente :

Monsieur le président, mes chers collègues du Parlement européen, du Sénat et de l'Assemblée nationale, je suis très heureuse que nous ayons pu organiser cette réunion conjointe rassemblant nos collègues du Parlement européen et de nos deux commissions des affaires européennes.

Il me paraît en effet essentiel que les parlementaires européens et nationaux dialoguent de plus en plus étroitement sur les principaux sujets de l'actualité européenne, comme sur les perspectives politiques que l'on souhaite donner à l'Europe.

En un temps où la construction européenne est fortement contestée, mise en cause par les nationalismes et populismes de tous genres, il est crucial que la voix des parlements se fasse entendre – car après tout, elle est l'expression des mandats des citoyens. Nous devons contribuer ensemble à un renouveau européen, dans un esprit de complémentarité entre le Parlement européen, colégislateur, et les parlements nationaux, constituant une force d'influence et de proposition.

Nous avons aujourd'hui deux sujets principaux à notre ordre du jour, tous deux d'une très forte actualité : la politique migratoire et la préparation de la Conférence climat de Paris.

La politique migratoire est un sujet majeur pour l'avenir du continent, pour lequel le rôle du Parlement européen est central, en tant que colégislateur européen. Cette question fait non seulement la une des journaux depuis des semaines, mais est au coeur des valeurs de solidarité qui constituent notre Union : solidarité avec les personnes en danger – il y a des noyades pratiquement tous les jours en Méditerranée – et solidarité entre les États membres.

Face à la crise migratoire, nous avons besoin de plus d'Europe, mais aussi de « mieux d'Europe ». Les institutions européennes et les États membres se sont émus de la situation des réfugiés et ont fait part de leur détermination à apporter à la crise migratoire des réponses concrètes.

Si des avancées notables sont à relever, il reste toutefois beaucoup à accomplir. La pression migratoire ne fléchit pas, comme en témoigne la réunion du mini-sommet avec les Balkans le 25 octobre dernier, et les engagements formulés par les États peinent encore à se concrétiser : il semble que nous ayons surtout affaire à des déclarations d'intention. Je souhaite évoquer ici quelques étapes et défis qui me paraissent importants.

Le 20 mai 2015, j'interpellais le Premier ministre Manuel Valls dans l'hémicycle sur le rejet par la France de la proposition du président Juncker d'une répartition équitable des migrants : construire une ligne Maginot – c'est l'expression que j'avais alors employée – ne donnait aucune garantie du fait qu'elle ne serait pas franchie et me paraissait totalement illusoire et vouée à l'échec.

Depuis, les événements dramatiques se sont succédé et le principe de la relocalisation a été adopté par l'Union européenne. C'est une étape essentielle, qui me paraît positive. Il est toutefois indispensable d'aller encore plus loin, afin que le mécanisme de répartition soit pérennisé. Nous serons très intéressés de vous entendre, en particulier les députés du Parlement européen, sur cette question.

Je veux également rappeler que notre commission des affaires européennes s'est toujours déclarée favorable à la mise en place d'un système européen de gardes-frontières et de garde-côtes. Les réticences et oppositions de certains États membres à déléguer à terme une partie de leur souveraineté en la matière devront être surmontées pour parvenir à une solution opérationnelle efficace. Nous serions heureux de connaître également les propositions du Sénat et du Parlement européen à ce propos.

Les réflexions sur la politique migratoire de l'Union européenne devront aborder la politique de retour des migrants en situation irrégulière dans l'Union et les accords de réadmission, et définir une nouvelle approche des migrations légales pour répondre aux défis démographiques à venir.

Pour ce qui est du système européen d'asile, certains pays comme l'Allemagne considèrent que les dispositions de l'accord de Dublin sont obsolètes, et estiment indispensable de réviser le système existant pour renforcer la solidarité entre États membres. Nous aimerions entendre vos points de vue sur ces sujets qui figurent au programme de la Commission pour 2016.

Par ailleurs, le Conseil a décidé de poursuivre la mise en place de nouveaux centres d'enregistrement et d'accueil des migrants – les fameux hot spots. À ce sujet, les Grecs ont indiqué que, pour eux, premiers concernés, ces hot spots devaient être avant tout des centres d'accueil. Si ces centres ont commencé à fonctionner et ont procédé aux premières localisations de migrants, je reste réservée sur un dispositif dont on ne voit pas encore très clairement les rôles respectifs qu'y jouent l'Union et les États. Pour moi, ils ne constituent que des points d'entrée, sans qu'il soit fait référence à des couloirs sécurisés permettant aux réfugiés reconnus comme tels d'accéder aux États d'accueil que tous les États européens devraient constituer.

Le Président de la République a annoncé que la France enverrait des spécialistes de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) dans les hot spots ainsi que des experts auprès de Frontex et du Bureau européen d'appui en matière d'asile (European Asylum Support Office, EASO). Je regrette le peu d'empressement de certains États à répondre positivement aux demandes formulées par ces agences. Ainsi le nouveau président de la République de Pologne, Andrzej Duda, que nous avons reçu la semaine dernière à l'Assemblée nationale, a-t-il déclaré estimer que son pays n'avait pas à accueillir de réfugiés. Il y a des contradictions en la matière, et nous vous écouterons avec intérêt à ce propos.

Enfin, les flux migratoires ne pourront être endigués sans une politique européenne globale agissant sur les causes profondes des migrations. À cet égard, le soutien – notamment financier – annoncé aux pays particulièrement concernés par les phénomènes migratoires, comme la Jordanie, le Liban, la Turquie et les pays de l'Ouest africain, doit se concrétiser le plus rapidement possible. Les instruments d'aide au développement doivent, en complément, être utilisés afin que les conditions de vie soient améliorées, en particulier dans les pays africains, et que leurs populations cessent de regarder l'Europe comme un lieu où il serait nécessaire d'aller pour aller mieux.

La coopération avec les pays tiers doit faire l'objet d'un dialogue continu prenant en compte l'ensemble de ces points. Les efforts exigés des pays africains en contrepartie de l'aide financière apportée par l'Union européenne selon le principe du « more for more » constitueront un point central du sommet de La Valette sur les migrations qui va avoir lieu les 11 et 12 novembre prochains.

La Turquie, dont la situation géographique en fait un point de passage massivement emprunté, accueille près de deux millions de réfugiés syriens. C'est pour l'Union un partenaire incontournable dans ce contexte de crise migratoire et les négociations en cours sur le plan d'action commun soulignent la nécessité d'améliorer les conditions d'accueil et d'intégration des migrants en Turquie. Je regrette que la proposition du président Juncker visant à autoriser les réfugiés à travailler dès leur arrivée en Europe ait été rejetée en septembre : permettre aux nouveaux arrivants de travailler rapidement est en effet essentiel pour leur bonne intégration. Nous serions intéressés d'entendre vos points de vue sur les négociations entre l'Union européenne et la Turquie en cours, ainsi que sur les enjeux du sommet de La Valette.

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