Le débat sur le rôle que doit avoir l'agence Frontex, et donc sur les moyens qui lui sont nécessaires, traduit le malthusianisme qui sous-tend la définition du budget européen : parce que ce budget pluriannuel n'autorise aucune marge de manoeuvre, il faut, à chaque nouvelle crise, improviser et envisager des ressources propres – comme si l'on ne savait pas que l'Union européenne progresse de crise en crise. Si l'on veut véritablement assigner aussi à Frontex une mission de prévention, il faut accroître les moyens de l'agence, ce qui impose d'en passer, encore et encore, par des discussions entre les États membres qui, en l'espèce, se renvoient la responsabilité sans que jamais les moyens indispensables soient débloqués.
Sur un autre plan, c'est de « crise des migrations » qu'il convient de parler. En utilisant le terme « crise des migrants », on mêle les migrants économiques, les personnes qui prétendent au regroupement familial et celles qui demandent le droit d'asile, droit absolu. Or, la logique qui les anime n'est pas la même. Un migrant économique a choisi de venir en Europe ; il cherchera à s'intégrer dans la société d'accueil. Comme je l'ai vu en Croatie et en Slovénie lors de la guerre dans les Balkans, un réfugié ne choisit rien : il va où il peut, dans l'asile le plus proche, et sa volonté première est de revenir dans son pays. Les personnes déplacées qui sont dans les camps situés dans les pays en lisière des zones de guerre et notamment de la Syrie – camps dans le fonctionnement desquels ni l'Union européenne ni les autres États disposant de ressources n'investissent assez –, vivent dans des conditions insupportables de violence omniprésente. Tous ces réfugiés ne souhaitent pas venir en Europe ; ils voudraient rentrer chez eux mais, la situation étant catastrophique, ceux qui le peuvent essayent de quitter ces camps pour partir plus loin, au péril de leur vie.
Il ne faut pas penser la question en hiérarchisant les légitimités mais en fonction des capacités réelle d'intégration ; je sais de source sûre que les tensions sont, par exemple, de plus en plus fortes à Montréal, qui accueille un flot de migrants considérable, alors même que le Québec est multiculturel et doté de grands moyens.
M. Gollnish parle d'installer des centres d'accueil et de recensement des migrants hors des frontières de l'Union européenne. Voilà qui rappelle quelque chose. Mouammar Kadhafi possédait sa propre compagnie d'aviation, qui proposait les billets les moins chers pour relier l'Afrique noire à l'Europe. Seulement, les voyageurs étaient contraints à une escale obligée dans le désert libyen, où l'on triait ceux dont les pays européens pouvaient avoir besoin. M. Berlusconi a beaucoup utilisé cette sorte de hot spot, mais aussi, dans une moindre mesure, les gouvernements espagnol et français de l'époque. Mais qu'advenait-il des autres ? Combien d'Africains, loin d'être renvoyés chez eux, ont fini dans des camps de travail forcé dans le désert ? On évoque maintenant la création de hot spots dans des pays du pourtour méditerranéen pour permettre le contrôle avant le départ ; mais de quelles capacités des pays tels que la Libye ou même la Tunisie et les autres disposent-ils pour recenser les migrants et apprécier convenablement leur situation ?
Dans le rapport intitulé « Migrations internationales, enjeu planétaire » adopté le 27 octobre, le Conseil économique, social et environnemental préconise de réviser le règlement de Dublin pour en finir avec le principe de l'examen des demandes d'asile par le pays d'entrée sur le sol de l'Union. Qu'en pensent nos collègues du Parlement européen ?