Prenons un peu de recul au sujet de l'accord de Schengen et convenons que nous avons péché par timidité au moment de le définir, en organisant la libre circulation des personnes sans politique commune d'immigration légale, sans contrôle commun des frontières extérieures, sans définition commune du réfugié et sans création d'un office européen des réfugiés. Nous, Européens, sommes donc coupables, et responsables. De même, dans les années 1970, nous avions tous pris l'engagement de porter l'aide au développement à 0,7 % de notre PNB – nous en sommes loin ! Plutôt que d'accuser des gens qui, fuyant la misère et la guerre, se trouvent dans des situations épouvantables, nous devons assumer notre responsabilité dans ce qui se passe.
En politique étrangère, nous ne sommes pas aidés par les journalistes ; ils ne font pas leur travail, qui est d'expliquer l'enchaînement des événements. Ce qui a changé la donne, c'est la progression radicale de Daech en Syrie et avec elle celle de la terreur. Et ce qui a permis cette progression, c'est que la diplomatie américaine n'a pas soutenu toutes nos initiatives. Il faut saluer l'engagement permanent du président de la République, convaincu que l'on ne pouvait laisser se développer aux portes de l'Europe la situation que l'on connaît maintenant en Syrie. Et bien que ce faisant je ne sois pas dans mon rôle, je défendrai la chancelière Angela Merkel qui, face à l'horreur qu'est l'érection de murs à la frontière hongroise, a réagi en pensant d'où elle vient.
Une sorte de psychose gagne les esprits dans notre pays – mais examinons les chiffres ! Ce n'est pas en France que ces masses de réfugiés veulent venir « bénéficier des prestations sociales », mais en Allemagne. Quant à dire que l'on défendrait l'identité française en remettant en cause le droit du sol et le regroupement familial… allons donc ! Il y a là des dérives auxquelles nous devons prendre garde, et je suis fondée à penser que je défends mieux cette identité en défendant le droit d'asile, le droit d'accueil des réfugiés, le droit au regroupement familial et le droit du sol.
Je répondrai à M. Daniel Raoul que la réunion, le 25 octobre, de onze chefs d'État et de gouvernement illustre le pragmatisme de M. Juncker ; face à une tension excessive, il a obligé les dirigeants européens à prendre leurs responsabilités, au risque, sinon, que tout parte à vau-l'eau. La relocalisation et la répartition des réfugiés constituent une suspension de fait de l'accord de Dublin ; de nombreuses ONG le demandaient pendant la campagne des élections européennes. La réalité nous a rattrapés et il nous faut retravailler cet accord. Pour toutes ces raisons, il ne faut pas moins mais plus d'Europe. Chacun, en France, est attaché au principe de la libre circulation. Si nous la voulons pour nous-mêmes, nous devons compléter un dispositif demeuré imparfait, au-delà de la solidarité due à tout réfugié.