Intervention de Jacques Creyssel

Réunion du 19 février 2014 à 17h45
Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution, FCD :

Nous sommes doublement concernés par l'écotaxe. D'abord directement, car nous devons acquitter des coûts de transport élevés afin d'acheminer les produits jusque dans nos magasins. Ces coûts sont estimés à 1 milliard d'euros par an, et la répercussion de l'écotaxe telle qu'elle était prévue initialement avait été chiffrée aux alentours de 5 %, soit un surcoût direct de 50 millions d'euros. Nous sommes également concernés par le transport en amont ; les répercussions auraient donc été inéluctables. Il faut bien voir que ce sont les produits à faible valeur ajoutée et denses, pour lesquels la part du transport est proportionnellement la plus importante, qui auraient été les plus pénalisés par l'écotaxe.

Le dispositif tel qu'il était prévu se serait révélé très complexe à appliquer, voire incompréhensible, avec non seulement des réseaux taxés hétérogènes selon les régions, des tarifs variant suivant le type de véhicule, mais aussi une distorsion entre la taxe réellement acquittée et le coût payé par le chargeur. Ces inconvénients n'auraient pu que tendre les relations entre les distributeurs et les chargeurs et auraient favorisé les grands groupes de transport par rapport aux plus petites entreprises qui n'ont pas les moyens d'optimiser leurs coûts en fonction des règles du jeu forfaitaire telles qu'elles étaient prévues.

Nous considérons qu'il faut rejeter d'emblée l'une des solutions envisagées par le Gouvernement, dès avant la suspension de l'écotaxe : l'inscription du montant de l'écotaxe en pied de facture.

D'abord, un tel dispositif serait impossible à mettre en place techniquement. Par exemple, tout au long de la chaîne de fabrication d'un blanc de poulet, les coûts de transport se cumulent ; on en compte jusqu'à une dizaine : pour les aliments destinés au bétail, pour les animaux, l'abattage, la transformation etc.

Il est impossible de mettre en place un système de traçabilité complète de l'ensemble de ces dépenses de transport. Compte tenu de la complexité de l'ensemble des systèmes de fabrication, la généralisation des pieds de facture est vraiment impossible – à côté, la mise en oeuvre de la carte vitale paraîtrait d'une simplicité enfantine.

Ensuite, selon cette logique, la totalité de la charge, soit l'addition des pieds de factures successifs, serait immédiatement assumée par le consommateur. Compte tenu de l'état de la consommation aujourd'hui, cela ne nous paraît pas envisageable. Cette incapacité dans laquelle nous nous trouvons de répercuter immédiatement de telles charges sur le prix final pose un vrai problème pour l'équilibre de la filière agroalimentaire au sens large. Toute augmentation des prix se traduit par une baisse des volumes : ainsi, en 2013, les prix des produits laitiers ont augmenté de 1,9 % et les volumes ont baissé de 1,8 %. Espérons que le retour à une situation économique meilleure permettra de changer cela !

Enfin, cette mesure serait totalement inéquitable : à court terme, compte tenu de l'impossibilité de répercuter complètement l'écotaxe sur les prix à la consommation, elle reviendrait, de fait, à en faire prendre en charge l'essentiel par la grande distribution, dont la marge nette moyenne n'est que de 1 % environ, alors que certains grands industriels, dont la marge est de 8 à 20 %, n'en prendraient pas leur part.

La meilleure solution est encore de trouver une alternative à l'écotaxe. La plus simple serait d'augmenter la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Bien que ne présentant pas tous les avantages de l'écotaxe, notamment en termes de financement par les transporteurs étrangers, elle aurait celui de la simplicité : un point de TICPE représente 500 millions d'euros. On pourrait également envisager d'augmenter la faculté dont disposent les régions de « lever » des centimes supplémentaires de taxe sur les produits pétroliers ou de revenir sur certaines exonérations fiscales. Quoi qu'il en soit, je le répète, la solution la plus simple est, pour nous, et de très loin, l'instauration d'un mécanisme alternatif à l'écotaxe.

Si cette solution n'était pas retenue, il resterait à aménager l'écotaxe telle qu'elle était prévue. Cet aménagement ne pourrait jouer que sur les seuils d'assujettissement – en passant, par exemple, à 7,5 tonnes voire à 12 tonnes pour les camions – ou par l'instauration de mécanismes d'exonérations pour les courtes distances. Une telle solution ne serait envisageable que si elle se traduisait par une baisse globale du produit attendu, car il ne saurait être question de répartir différemment la même somme sur une assiette réduite. Nous sommes favorables à l'examen de mesures d'abattements plus importants pour les camions les moins polluants. De même, nous ne sommes pas opposés à la proposition de l'Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF) visant à baisser les taux kilométriques. Il n'en reste pas moins que ces ajustements ne permettraient pas de remédier à la complexité de l'écotaxe.

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