La situation est grave, sans précédent depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale – nous sommes tous d'accord sur ce point. Il n'y a pas de solution facile et, donc, ainsi que je viens de le dire, pas de place pour la polémique dans cette affaire.
Monsieur le ministre, il faut examiner le bilan de votre politique, que vous avez défendu avec talent, mais vous avez aussi, selon moi, présenté la réalité sous un angle très contestable. Je me suis rendu, moi aussi, dans des camps de réfugiés ; j'ai eu l'occasion de discuter avec un certain nombre de responsables politiques qui siègent au Conseil auquel vous participez ; et je n'ai pas exactement la même lecture des événements que vous.
Parlons d'abord de l'alignement sur Mme Merkel. Vous pouvez expliquer tout ce que vous voulez, notamment en remontant jusqu'à août 2014, le fait est que la politique européenne en matière d'immigration a changé à partir du moment où la Kaiserin, Mme Merkel, patronne de l'Europe, a décidé d'ouvrir les portes. Cela a déclenché un appel d'air considérable sur toutes les frontières de l'Union européenne, ce qui a conduit un certain nombre de pays à fermer leurs frontières nationales, le Président de la République ayant lui-même déclaré qu'il envisageait de faire de même.
Pour avoir parlé à un certain nombre d'acteurs, je sais que Mme Merkel a eu des conversations avec M. Juncker, et que celui-ci a appliqué ce que souhaitait Mme Merkel, à savoir des quotas obligatoires, imposés du haut vers le bas, qui changent la nature des règles européennes. Car, si nous appliquions à d'autres domaines la logique de Mme Merkel, qui consiste à dire que l'Allemagne ne peut pas supporter seule le fardeau et qu'il faut des quotas obligatoires, nous serions en droit de demander un quota obligatoire d'hélicoptères et de soldats allemands au Mali, et M. Tsipras serait en droit d'exiger un quota obligatoire de prise en charge de la dette grecque par Mme Merkel !
Donc, Mme Merkel a changé les règles de l'Union européenne, elle a modifié le système et vous l'avez suivie. J'en veux pour preuve que même les chiffres changent au gré de ses déclarations. Le Président de la République annonce 120 000, après quoi elle annonce 160 000, puis 800 000… En fait, on n'en sait rien ! Et notre opinion publique n'en sait rien ! C'est tout le problème, monsieur le ministre.
Vous êtes un bon avocat pour défendre votre politique, vous faites votre métier et vous pouvez être extrêmement convaincant, mais permettez-moi de vous dire que votre plaidoirie ne correspond pas à la réalité. La réalité, c'est que vous ne contrôlez rien, parce que les événements autour de nous ne sont pas contrôlés. Il suffit de voir le désordre diplomatique autour de la Syrie pour le comprendre. Quant à la fragilité des camps de réfugiés au Liban évoquée par M. Hamon, je la confirme. C'est d'ailleurs exactement la même chose en Turquie, où je me suis rendu ces derniers jours.
Ensuite, vous aurez beau l'expliquer comme vous le voulez, le système des quotas obligatoires, imposé au forceps, ne fonctionne pas, parce qu'un certain nombre de pays n'en veulent pas. Et, sauf si vous modifiez la nature de l'Union européenne, vous n'allez pas forcer des États souverains à accepter des gens dont ils ne veulent pas. À terme, cette affaire risque de faire sauter ce qui reste de l'Union européenne.
J'en viens à mes interrogations. Toutes sortes de chiffres circulent : vous avez annoncé 600 000 migrants, l'Allemagne 800 000, d'autres organisations avancent le chiffre de 1 million. Ce que l'on sait, c'est que ces chiffres sont évolutifs. Ainsi que l'a expliqué M. Hamon, le père de famille qui est sous la tente depuis je ne sais combien de temps au Liban ou en Turquie, et qui entend dire que l'Europe est ouverte, va vouloir passer en Europe. Il y a en ce moment près d'Edirne, à la frontière entre la Turquie et la Grèce, des masses de gens qui veulent entrer en Europe.
Donc, les chiffres sont évolutifs et dépendent des signaux que l'on envoie. Or ces signaux ne sont pas clairs. Vous avez, à juste titre, modifié la politique menée par M. Renzi en Méditerranée, mais nous n'avons toujours pas de contrôles sérieux aux frontières extérieures de l'Union européennes. Si vous voulez envoyer un signal pour stopper les flux et sauver Schengen, il faut mettre en place d'urgence de tels contrôles, tant en Méditerranée et sur les frontières maritimes grecques que sur la frontière terrestre avec la Turquie. Or je ne vois pas le début d'une politique sérieuse en la matière. Où sont les forces ? Où sont les moyens ? Où sont les accords qui permettraient de les déployer ?