Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 30 septembre 2015 à 16h30
Commission des affaires européennes

Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur :

Il est important que je réponde de la manière la plus précise possible aux questions des parlementaires sur un sujet aussi grave.

Madame la présidente ÉlisabethGuigou, nous devons réfléchir ensemble à la manière de travailler avec la Turquie sur le sort des quelque 2 millions de réfugiés qui se trouvent sur son territoire. Ces réfugiés viennent de pays en guerre, et la Turquie les a accueillis jusqu'à présent aux meilleurs standards, ainsi que l'a reconnu le HCR. Notre préoccupation, c'est de travailler résolument avec la Turquie et d'augmenter de façon très significative les moyens du HCR. Sur l'abondement de 4 milliards décidé par l'Union européenne, 1,7 milliard sera consacré à l'accompagnement des efforts dans les camps de réfugiés. Il est très important de le faire.

Vous avez indiqué, monsieur Hamon, qu'il était de plus en plus difficile aux réfugiés de rester dans les camps. C'est exact, mais nous devons rester très prudents dans ce que nous avançons sur ce sujet. Je le dis très clairement devant vos commissions au risque de choquer certains d'entre vous : l'Europe n'est pas en situation d'accueillir les quelque 4 millions de réfugiés qui se trouvent dans les camps en Jordanie, en Turquie et au Liban. Cette idée n'est pas soutenable, et cela poserait des problèmes considérables. Le Premier ministre l'a déclaré la semaine dernière, et je partage tout à fait son sentiment.

Plusieurs d'entre vous ont visité des camps et ont constaté le décalage qui existait entre les standards humanitaires nécessaires pour accompagner ces populations, notamment si l'on veut qu'elles restent dans les camps jusqu'à ce qu'elles puissent rentrer chez elles, et les moyens qui sont mobilisés actuellement. L'une des propositions fortes de la France dans les discussions européennes, c'est de relever au maximum le niveau de l'aide internationale dans les camps, notamment via le HCR, car nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas être aux meilleurs standards humanitaires.

Je ne rentrerai pas dans le détail de notre coopération avec la Tunisie, pour des raisons que vous comprendrez bien. Nous travaillons de façon très étroite avec ce pays, notamment sur un important volet portant sur la sécurisation de ses frontières, compte tenu de l'inquiétude légitime que suscite la situation en Libye.

Monsieur Dufau, je vous confirme que, derrière l'ambition, il y a les moyens budgétaires correspondants. Le ministère de l'intérieur verra ses moyens significativement renforcés en 2016, à hauteur de 85,2 millions d'euros, au titre la mission « Immigration, asile et intégration ». Ces crédits permettront la création de places d'hébergement supplémentaires en CADA. Ainsi que je l'ai indiqué, nous avons décidé de créer 18 500 places sur la durée du quinquennat : les 5 000 places dont la création a été annoncée pour 2016 par le Premier ministre s'ajouteront aux 3 000 créées entre 2012 et 2014, aux 5 000 en cours de création, aux 3 500 inscrites dans le projet de loi de finances pour 2016 et aux 2 000 prévues en 2017. Le projet de loi de finances pour 2016 prévoit également une augmentation des effectifs de l'OFII et de l'OFPRA à hauteur de 196 équivalents temps plein afin d'assurer l'accueil des 30 000 réfugiés supplémentaires. Cet effort budgétaire très significatif sera soumis à la délibération du Parlement.

Monsieur Piron, vous avez eu le sentiment, avez-vous dit, que le pays des droits de l'homme, c'était l'Allemagne. Lorsque notre pays prend des positions fortes, j'entends systématiquement que c'est mieux ailleurs. Cela étant, en l'espace de quinze jours, les couvertures des magazines ont changé du tout ou tout : dans un premier temps, elles ont déploré que le président Hollande fasse moins que Mme Merkel ; ensuite, elles ont critiqué « l'irresponsabilité » de Mme Merkel. Parfois, d'ailleurs, ces articles contradictoires ont été signés par les mêmes auteurs.

La France a pris des positions très claires : nous devons accueillir ceux qui relèvent du statut de réfugié conformément aux valeurs qui sont les nôtres depuis 1793 ; nous devons le faire dans des conditions de soutenabilité ; à cette fin, nous avons adopté une nouvelle loi relative à l'asile et nous donnons des moyens supplémentaires significatifs à l'administration et aux CADA, pour atteindre les meilleurs standards ; enfin, nous allons faire voter une loi relative au droit des étrangers qui montre, avec le titre de séjour pluriannuel et le « passeport talents », que la France est un pays ouvert. Dans le même temps, cette générosité dont nous faisons preuve depuis des décennies implique de la fermeté à l'égard des filières de passeurs et de l'immigration économique irrégulière. C'est en cela que notre politique est équilibrée.

Nous ne dérogerons pas à ces principes qui guident notre politique. Si la France ne les affirme pas de manière constante et déterminée, compte tenu des désordres du monde, elle ne contribuera pas à l'élaboration des solutions. Notre pays tient ferme la barre de sa politique migratoire et essaie de faire en sorte qu'il y ait la même fermeté et la même clarté au niveau européen. J'énonce clairement les objectifs, et nous nous efforçons de nous y tenir. En agissant de la sorte, nous ne sommes pas moins humains ou moins à la hauteur des enjeux que d'autres. Nous sommes pleinement responsables, ce qui est indispensable lorsque l'on veut avoir des préoccupations humanitaires. Car la préoccupation humanitaire sans la responsabilité mène in fine au désastre humanitaire. Il faut à la fois l'humanité et la responsabilité. Telle est la position de la France.

S'agissant de la répartition interne en France, le schéma national d'accueil des demandeurs d'asile prévu dans la loi relative à l'asile s'appliquera. En ce qui concerne l'intégration, nous allons nous doter des outils nécessaires grâce au projet de loi relatif au droit des étrangers en cours d'examen. Celui-ci prévoit la création d'un contrat d'intégration, le renforcement de l'exigence de connaissance de la langue française et l'augmentation des moyens alloués par l'État aux politiques d'intégration. Ces dispositions s'appliqueront, bien entendu, aux bénéficiaires du statut de réfugié.

Contrairement à ce qu'a affirmé M. Lellouche, je n'ai pas été polémique : j'ai essayé d'être précis. Mais peut-être est-on polémique lorsque l'on est précis face à l'imprécision ! Pour ma part, je m'efforce d'être pointu sur ces questions, car il y a trop d'amalgames, d'approximations, de chiffres faux, de campagnes menées qui ne correspondent pas à la réalité. Cette exigence est un devoir éthique, compte tenu des risques auxquels notre pays est confronté.

M. Lellouche prétend que nous avons couru après l'Allemagne, alors que j'ai expliqué très précisément ce que nous avons fait. Il a aussi évoqué les conversations qu'il avait eues dans les couloirs avec Jean-Claude Juncker. Or il s'avère que j'en ai eu beaucoup moi-même dans le cadre de la préparation du Conseil JAI, et que je n'ai pas du tout ressenti le climat qu'il décrit. La France a une position constante et cohérente. J'ai une relation très forte de confiance et d'amitié avec mon homologue allemand, qui a permis à la relation franco-allemande de jouer son rôle de ballast au sein de l'Union européenne, au moment où il y avait des interrogations et des doutes.

Je n'arrive pas à comprendre que, par-delà ce qui différencie les formations politiques ou les groupes parlementaires, nous ne puissions pas nous réjouir ensemble de voir la relation franco-allemande fonctionner de façon équilibrée lorsque l'essentiel est en jeu. Je trouve très triste que l'on instruise constamment à notre égard un double procès : auparavant, on nous accusait de ne pas être capables de faire fonctionner la relation franco-allemande, ainsi que nous l'avons entendu au moment de la ratification du traité européen, lorsque j'étais ministre délégué aux affaires européennes ; maintenant que la relation franco-allemande fonctionne parfaitement, on assure que c'est parce que nous suivons les Allemands. Donc, ce n'est jamais bien ! Une fois que vous avez intégré cette donnée, vous pouvez être relativement serein et heureux en essayant de bien faire les choses dans une relation de confiance avec les Allemands.

Je veux vous rassurer, monsieur Gollnisch : Charleville-Mézières est en France, et nous reconduisons les étrangers en situation irrégulière non pas en France, mais à l'étranger.

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