Je remercie à mon tour les participants à cette commission d'enquête, dont les débats ont été riches, ainsi que les administrateurs.
Je suis convaincu que la question de l'expatriation des Français doit être analysée avec mesure et sans esprit partisan, afin de ne pas nourrir notre sinistrose et cette forme de délectation morose qui nuit tant à l'image de notre pays à l'étranger.
Comme plusieurs de mes collègues, sur quelques bancs qu'ils siègent, et comme un certain nombre des personnes que nous avons auditionnées, je ne me suis pas retrouvé dans l'emploi du mot exagéré d'« exil » dans l'intitulé de la commission d'enquête. Naturellement, il n'est plus possible de modifier ce titre, qui figure dans le texte de la résolution adoptée par notre Assemblée. Dans mon rapport, je me suis toutefois efforcé de gommer toute idée de stigmatisation de nos compatriotes qui ont décidé de construire leur parcours personnel et – ou – professionnel hors de nos frontières.
Il n'est pas pour autant illégitime de s'interroger sur les raisons de l'expatriation de nos compatriotes et sur ce que celle-ci dit de l'attractivité et de la compétitivité de la France.
Plusieurs personnes auditionnées ont indiqué qu'il ne fallait pas s'inquiéter du fait que le nombre de Français résidant à l'étranger ait augmenté au cours des dernières années – plus rapidement que la population française dans son ensemble – soulignant que cette évolution marquait avant tout un rattrapage et une meilleure insertion de notre pays et de ses ressortissants dans la mondialisation. Il ne faut pas s'en inquiéter car ce phénomène marque d'abord la réussite de politiques volontaristes, librement adoptées par notre pays : la construction européenne – près de la moitié de nos résidents à l'étranger vit en Europe – et l'internationalisation de l'enseignement supérieur, dont Erasmus est le visage.
Cependant, il existe d'autres explications moins positives. On ne peut nier que la situation économique de notre pays, marquée par l'absence de croissance et par un recul de sa compétitivité et de son attractivité au cours des dix dernières années, joue un rôle. Des éléments relevant davantage de la culture ou de l'organisation de la société française ont été également évoqués à plusieurs reprises. Nos compatriotes manqueraient ainsi d'esprit d'entreprendre ou de goût du risque, et la valeur travail déclinerait ; la panne de la mobilité sociale et la culture du diplôme renforceraient également l'attrait de l'étranger.
Il est évident que le rapport de la commission d'enquête ne pouvait pas aborder toutes ces questions dans le délai de six mois qui lui était imparti.
Plus modestement, nous avons souhaité inscrire l'expatriation croissante de nos compatriotes dans le cadre plus global de la mondialisation et avons observé que toutes les économies développées connaissaient un phénomène analogue.
Je ne m'appesantirai pas sur la première partie du rapport qui présente un portrait des Français expatriés, soit une population plus jeune, plus active et plus diplômée que l'ensemble de la population française. Cette partie comporte également des données comparatives, émanant de l'Organisation de coopération et de développement économiques – OCDE – qui confirme le retard de la France par rapport à nos principaux partenaires qui comptent une diaspora plus ancienne et plus nombreuse.
Cette première partie est surtout l'occasion de faire apparaître les lacunes des outils à notre disposition pour acquérir une connaissance fiable et fine de la population des Français de l'étranger. Ces manques ne sont pas propres à la France, mais ils sont dommageables et il conviendrait d'y remédier. C'est pourquoi le rapport présente plusieurs propositions tendant à améliorer d'abord l'instrument principal que constitue le registre des Français établis hors de France : communiquer davantage sur son utilité pour nos compatriotes, standardiser l'enregistrement des données et étoffer les informations demandées pour permettre des approches plus qualitatives. Au-delà du registre, il conviendrait de doter notre pays d'un outil adéquat, au sein de l'Institut national de la statistique et des études économiques – INSEE – par exemple, permettant de réaliser, selon des modalités rigoureuses, des études qualitatives de la population expatriée.
La deuxième partie du rapport aborde la question du développement de l'expatriation des Français au cours des dernières années. Elle évoque la généralisation de la mobilité internationale des étudiants, qui marque la réussite d'une politique volontariste symbolisée par le programme Erasmus. Mais au-delà de ce programme phare, d'ailleurs renforcé dans le cadre du programme Erasmus + pour les années allant de 2014 à 2020, cette internationalisation des études supérieures s'avère une tendance irrésistible. Elle répond à une triple demande : celle des étudiants, celle des entreprises et celle des commissions d'évaluation des formations et de certification des diplômes, pour lesquelles l'ouverture des établissements à l'international est un signe d'attractivité pour les étudiants et de meilleure qualité relative des diplômes.
En ce domaine, il convient d'être vigilant pour que cette mobilité internationale des étudiants perde son caractère de « marqueur social » – pour reprendre l'expression de la directrice générale adjointe de Campus France. Sans vouloir opposer les grandes écoles et les universités, il est indispensable d'encourager ces dernières à renforcer leurs stratégies d'ouverture vers l'étranger.
En matière d'internationalisation de l'enseignement supérieur, il convient également de ne pas raisonner seulement en termes de mobilité sortante, de ne pas oublier que la France se classe troisième en matière d'accueil d'étudiants étrangers et d'avoir à l'esprit que le nombre d'étudiants venant dans notre pays est plus de quatre fois supérieur à celui des jeunes Français partant étudier hors de nos frontières. À cet égard, il convient d'oeuvrer à conforter notre place et l'attractivité de notre enseignement supérieur, en évitant de dresser devant les étudiants étrangers des obstacles administratifs, comme la circulaire Guéant a pu l'être dans le passé.
Après l'internationalisation des études supérieures, le rapport se penche sur celle des parcours professionnels, qui concerne la majorité des Français installés à l'étranger. Au regard des données issues du registre, la population française expatriée est donc majoritairement en âge de travailler, et ses taux d'emploi et d'activité sont très supérieurs à la moyenne nationale.
Cette dynamique s'explique par le fait que les expériences à l'étranger sont reconnues comme un réel atout dans une carrière professionnelle, tant par les salariés que par les entreprises. Les personnes auditionnées ont été unanimes sur ce point. Par ailleurs, le développement des départs d'actifs français à l'étranger répond largement aux évolutions d'un marché du travail devenu mondial. D'ailleurs, il faut souligner que sur ce marché, les Français – nos ingénieurs, par exemple – sont valorisés, voire courtisés dans certains secteurs.
Pour autant, le taux d'expatriation des jeunes diplômés n'a pas connu d'évolution exceptionnelle au cours des dernières années, si l'on en croit les chiffres de la Conférence des grandes écoles – CGE. Il faut donc parler plutôt d'une croissance continue, s'inscrivant dans l'internationalisation des marchés du travail.
Par ailleurs, ces données viennent nuancer l'idée reçue et très répandue, selon laquelle les jeunes diplômés français préféreraient s'expatrier pour créer leur entreprise. Je renvoie sur ce point à l'audition de M. Bernard Ramanantsoa, directeur général d'HEC, qui nous a indiqué que les jeunes créateurs savaient certes qu'il leur faudrait un jour développer leur entreprise à l'étranger, mais que leur réflexe était plutôt de créer leur entreprise en France afin de bénéficier d'un environnement qu'ils connaissent bien et de leurs réseaux.
Si la dynamique mondiale joue son rôle, il est illusoire d'ignorer que cette mobilité internationale accrue se trouve aussi encouragée par une moindre attractivité du marché français du travail, notamment du fait du taux de chômage élevé des jeunes ou du poids de la hiérarchie des diplômes en France qu'ont évoqué plusieurs personnes auditionnées.
La troisième partie du rapport s'intéresse à la compétitivité et à l'attractivité de la France. Le premier point abordé est celui de l'exil fiscal, qui était au coeur des préoccupations des promoteurs de la commission d'enquête. Celui-ci n'est pas un phénomène nouveau qui aurait commencé avec l'élection de M. François Hollande ! J'observe en outre que la motivation fiscale du départ n'est presque jamais mise en avant, à l'exception d'une infime minorité.
Sur ce point, la position du rapporteur, et je l'espère celle de l'ensemble des membres de la commission, est claire : il faut dénoncer ces comportements qui marquent un refus du devoir de solidarité entre Français dans un moment particulièrement difficile, comme l'a déclaré devant nous M. Matthias Fekl, secrétaire d'État chargé notamment des Français de l'étranger. Les professionnels élaborent à ce sujet beaucoup d'observations empiriques, pour ne pas dire impressionnistes. Néanmoins, la connaissance du phénomène progresse, notamment grâce à l'heureuse initiative du président Gilles Carrez de demander un rapport annuel au ministère des Finances.
Mon rapport exploite ainsi les données figurant dans les deux rapports remis par le ministère des finances, le second datant du 26 septembre dernier.
Il convient tout d'abord de souligner qu'il existe des difficultés techniques réelles qui ne rendent pas aisée la connaissance des départs – ou des retours – des contribuables. Le directeur général des finances publiques l'a expliqué devant nous de manière très claire : les outils de l'administration sont orientés, non vers le suivi statistique, mais vers la gestion de l'impôt lui-même avec un équilibre délicat entre les besoins de l'administration et les obligations déclaratives imposées aux contribuables. Ces obstacles sont réels, et il ne s'agit pas d'une volonté de l'administration de cacher des informations qui seraient gênantes ; les avocats fiscalistes entendus par la commission n'ont d'ailleurs pas contredit la réalité de ces difficultés.
Je renvoie au rapport pour revoir les données plus précises et je m'en tiens à quelques éléments synthétiques.
Le nombre des départs de redevables de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) – qui possèdent donc un patrimoine supérieur à 1,3 million d'euros – a beaucoup augmenté entre 2004 et 2007, avant de s'établir autour de plus de 500 départs annuels – 587 en 2012 ; ces contribuables disposent d'un patrimoine plus élevé que la moyenne des redevables de l'ISF ; de plus, la répartition de ce patrimoine montre une forte concentration. Les déclarations relatives à l'exit tax font apparaître 522 départs en 2011 et 2012, dont 469 ont déclaré une plus-value positive ; le montant cumulé atteint 4,5 milliards d'euros, soit une plus-value moyenne de 9,7 millions d'euros ; là encore, on observe une forte concentration. Le nombre de départs de redevables à l'impôt sur le revenu – IR – augmente depuis 2011, que l'on regarde le nombre total ou seulement les redevables disposant d'un revenu fiscal de référence élevé.
Le rapport s'attache à décrire ce qui dans notre législation fiscale est jugé le plus pénalisant en France et ce qui est présenté comme le plus attractif chez nos voisins : la fiscalité des plus-values mobilières, l'ISF – même si j'observe que les deux derniers avocats fiscalistes auditionnés en ont largement relativisé l'importance –, la fiscalité des stock options et des attributions gratuites d'actions, et les contrôles fiscaux. Symétriquement, ce qui est présenté comme attractif à l'étranger touche à la fiscalité très favorable du patrimoine en Belgique, au régime du forfait fiscal en Suisse ou à celui des non domiciliés au Royaume-Uni.
Cependant, il est indispensable d'aller au-delà des idées reçues sur le système fiscal français. D'une part, il est impossible de faire abstraction des services publics et des transferts sociaux qui sont financés par l'impôt et qui sont la contrepartie des efforts demandés aux citoyens. D'autre part, la fiscalité française n'est pas beaucoup plus lourde qu'ailleurs, notamment pour les revenus moyens. Le rapport présente ainsi une comparaison très éclairante des barèmes de l'IR chez nos voisins. En outre, la France n'est pas la seule à avoir introduit un dispositif du type exit tax.
En matière fiscale, il est indispensable de trouver l'équilibre entre l'exigence du redressement de nos comptes publics, celle de la justice fiscale et l'attractivité de notre pays. Je suis totalement solidaire de cette politique, poursuivie depuis deux ans.
Néanmoins, il existe deux aspects de la question fiscale qui méritent de retenir l'attention et d'être débattus : l'amélioration des relations entre l'administration fiscale et les contribuables – personnes physiques comme entreprises –, le développement d'une « relation de confiance » grâce au rescrit fiscal et un effort de stabilisation de la norme fiscale.
S'agissant de l'attractivité économique de la France, il est incontestable que notre pays a souffert des effets directs de la crise et de l'essor parfois fulgurant des économies émergentes. Les acteurs économiques, français comme étrangers, jugent sévèrement l'évolution de notre économie depuis dix ans et pointent un déficit d'image à l'étranger, une compétitivité affaiblie et un environnement administratif pesant.
Comment établir la part de la mondialisation dans les difficultés que traverse la France pour maintenir son attractivité ? L'approfondissement de la mondialisation entraîne en tout cas la perte de portée progressive du concept de frontière économique.
Dans ce contexte, il est clair que les décisions d'implantation des centres de production et des équipes de direction ne se fondent pas d'abord – contrairement à ce que l'on veut nous faire croire – sur des considérations fiscales, mais sur la localisation de l'activité économique ; cela est vrai pour les grands groupes – je vous renvoie à l'audition du secrétaire général de Total – comme pour les PME ou les start-up. Pour ces dernières, la présence presque obligatoire hors de nos frontières n'est pas forcément négative pour l'activité et pour l'emploi en France ; ainsi, M. Jérôme Lecat nous a expliqué que son entreprise employait 30 personnes dans la Silicon Valley – d'où il ne peut être absent étant donné son secteur d'activité – et 60 en France.
Le rapport ne veut donc pas sacrifier à notre pessimisme national. La France dispose d'atouts dont les principaux, selon les dirigeants d'entreprises internationales implantées en France, sont : la qualité des infrastructures de communication, de transports et logistiques, la taille du marché intérieur, la formation et la qualification des salariés, le tissu industriel, et l'écosystème d'innovation et de recherche et développement – R&D. Ces ressources ne nous dispensent pas de déployer une politique active de renforcement de l'attractivité de la France, qui devrait reposer sur l'amélioration de l'environnement administratif des entreprises – il ne s'agit pas de nier le chemin déjà parcouru ou en voie de l'être mais de s'orienter, comme nos voisins, vers un service administratif organisé davantage en conseil des entreprises, notamment des plus petites, qu'en organisme d'envoi et de réception de formalités administratives –, la stabilisation de la règle fiscale, en évitant les modifications continuelles et en limitant le recours à la rétroactivité fiscale, et le développement de la communication sur les atouts de la France ; seule une stratégie de ce type peut répondre au déficit d'image et, à cet égard, l'initiative de la French Tech constitue un exemple à suivre.
En revanche, mener une politique de compétitivité ne doit pas nous entraîner sur le dangereux terrain de la concurrence sociale et fiscale. Si l'on en juge par les récentes annonces faites aux États-Unis, la France n'est pas la seule à être touchée et à vouloir réagir. En ce domaine, la réponse est à rechercher au niveau international : au sein de l'Union européenne d'abord – je renvoie aux trois enquêtes approfondies lancées par la Commission européenne sur les politiques fiscales d'Irlande, des Pays-Bas et du Luxembourg –, à l'OCDE et au G20 ensuite ; l'OCDE vient ainsi d'élaborer des propositions pour lutter contre les pratiques d'optimisation fiscale des multinationales en matière d'érosion des bases d'imposition et de transfert artificiel des bénéfices.
Si les règles fiscales engendrent des délocalisations à l'étranger de sièges sociaux ou de centres de décision, la solution ne consiste pas à se livrer à une course perdue d'avance en matière de dumping fiscal, mais au contraire à contraindre les États acteurs de ce dumping fiscal à s'aligner sur des standards internationaux. La France n'est fort heureusement plus isolée dans ce combat.
Enfin, le rapport se termine sur la conviction que la présence de plus de 2 millions de nos compatriotes hors de nos frontières constitue un atout majeur pour notre pays. Il est de notre intérêt de mener ce que certains appellent une « politique diasporique active ». Nous ne partons pas de rien et nous disposons déjà d'outils puissants : des réseaux consulaires et d'enseignement à l'étranger uniques au monde, un système de représentation des Français de l'étranger qui a été rénové et qui s'avère très structuré, et des acteurs économiques soutenant nos entreprises, notamment le réseau des services économiques de l'État ou celui des chambres de commerce et d'industrie – CCI – à l'international.
Le rapport émet quelques propositions visant à renforcer la coordination de tous les acteurs, à sensibiliser nos compatriotes à la défense des intérêts de la France, et à les accompagner dans leurs démarches lors de leur départ et au cours de leur vie quotidienne à l'étranger.
En conclusion, je ne pense pas que, pour reprendre les termes de l'exposé des motifs de la proposition de résolution à l'origine de la création de la commission, nous soyons en face d'une « situation inquiétante pour l'attractivité économique de la France et préjudiciable à son influence dans le monde ». Je nourris même le sentiment contraire. Je suis convaincu que la France est riche de ses hommes et de ses femmes, qu'ils résident sur son territoire ou qu'ils aient choisi de mener leur parcours personnel ou professionnel à l'étranger.