Intervention de Frédéric Lefebvre

Réunion du 7 octobre 2014 à 16h00
Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de france

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédéric Lefebvre :

Au moment de la création de la commission d'enquête, j'avais émis des réserves sur la méthode et sur l'intitulé de notre travail ; on s'est d'ailleurs aperçu que les thématiques traitées dépassaient les seules forces vives. Nous devons combattre le risque de deux formes de caricature : la première tombe dans le déni et affirme que tous les départs sont volontaires, et la seconde ne voudrait voir qu'un tableau où tout le monde quitterait la France en raison de sa politique fiscale. Entre les deux caricatures, il y a la place pour une autre politique !

J'ai beaucoup hésité à participer à la commission : mon collègue Thierry Mariani a décidé de ne pas en être membre, alors que nous avions ensemble pointé les questions que sa création posait. J'ai rédigé une contribution dans laquelle je tente de démontrer la nécessité de changer notre politique publique. Contrairement à ce qu'a dit le rapporteur, l'exit tax constitue une grande erreur, élaborée par le Gouvernement auquel j'appartenais – malgré les réserves que j'avais exprimées, à l'époque – et considérablement durcie par l'actuelle équipe gouvernementale. À l'époque, les start-up quittaient le pays à cause de la fiscalité afin de réaliser leur plus-value à l'étranger ; face à cette situation, on a créé un dispositif qui incite les jeunes entrepreneurs à partir avant même d'avoir créé leur entreprise.

La mobilité représente en effet une chance exceptionnelle pour notre pays : souhaitons-nous réellement une France rétrécie sur l'hexagone où même les frontières de l'Europe font peur ? Je me souviens que l'on culpabilisait les jeunes il y a vingt ans en affirmant qu'ils ne parlaient pas anglais, ne voulaient pas quitter la France et désiraient devenir fonctionnaires ; aujourd'hui, on les culpabilise encore en leur reprochant de vouloir partir. Nous sommes dans une forme de schizophrénie.

Avec l'Internet et les transports à bas coût, le monde se révèle tout petit et nous pouvons ainsi partir facilement à sa rencontre. Mais qui peut profiter de ces opportunités ? Le rapport ne traite pas de ce sujet ; or la mobilité n'est offerte qu'aux élèves des grandes écoles voire aux étudiants de l'université, alors que tellement de jeunes en apprentissage ou provenant de quartiers dits difficiles auraient besoin de découvrir d'autres pays, mais aucune politique n'est développée pour les y aider. À Montréal, de nombreux jeunes Français viennent des quartiers nord de Marseille et du département de Seine-Saint-Denis, et se sont installés au Québec car ils n'avaient pas d'espoir en France ; ils réussissent, sont fiers d'être Français et portent le drapeau de notre pays.

Certains Français vivent cinq ans maximum à l'étranger afin d'enrichir leur expérience, mais d'autres sont installés hors de nos frontières depuis trente ou quarante ans, et il y a lieu de s'en réjouir. Notre pays a d'importants progrès à réaliser dans le domaine de l'exportation, et il est de son intérêt que des Français soient installés à l'étranger pour favoriser les échanges commerciaux avec notre pays.

Le rapport n'évoque pas hélas le déficit dont nous souffrons en matière de lien avec nos compatriotes vivant à l'étranger. Plutôt que de les culpabiliser, nous devrions aider les étudiants munis d'un baccalauréat international à surmonter les obstacles mis par les universités à leur inscription ; de même, l'État se désengage dans les écoles à l'étranger depuis deux ans, ce qui crée de telles difficultés que certains députés socialistes ont voté l'amendement au texte gouvernemental que j'ai défendu sur les bourses scolaires. J'ai entendu M. Matthias Fekl, le nouveau ministre des Français de l'étranger, dire qu'il regarderait les dossiers au cas par cas : on lui en enverra, mais on nous avait déjà tenu le même engagement il y a un an.

S'agissant de l'aide médicale d'État – AME –, la France doit continuer d'être généreuse même si les étrangers doivent payer quelque chose ; en outre, j'ai déposé une proposition de loi pour revenir sur cette situation inacceptable qui veut que nos compatriotes décidant de revenir en France et souffrant d'un problème de santé n'aient pas le droit aux soins immédiats et doivent attendre un délai de carence, contrairement aux étrangers. Nous devons traiter ces sujets ! De même, nous déployons de nombreux efforts pour attirer les investisseurs étrangers en France, mais nous créons de nombreuses difficultés aux Français souhaitant défendre leur patrimoine : nous voyons ainsi partir tous nos châteaux, tous nos vins et tout l'immobilier. Je préférerais que l'on soutienne les Français qui partent à la conquête du monde plutôt que de laisser vendre la France. Que l'on cesse de les culpabiliser et d'inventer des dispositions fiscales folles comme la contribution sociale généralisée – CSG ; en effet, faire acquitter des cotisations sociales par des personnes qui ne bénéficient pas de la protection sociale n'obéit à aucune logique et revient à créer une double imposition, car la CSG n'étant pas un impôt, elle n'entre pas dans le champ des conventions fiscales de non double imposition. Ce système fait d'ailleurs l'objet d'une procédure européenne.

Je voterai contre l'adoption de ce rapport, mais je ne veux pas que l'on caricature notre pays et nos compatriotes qui partent conquérir le monde comme les matelots des XVIe et XVIIe siècles.

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