Intervention de Henri Emmanuelli

Réunion du 5 mars 2015 à 10h00
Mission d'information commune sur la banque publique d'investissement, bpifrance

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHenri Emmanuelli, président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations :

Je pense qu'en matière de politique de l'emploi, le dopage de l'investissement – dont l'investissement public – a un effet à court terme plus efficace que la baisse des coûts du travail ; M. Pierre-Alain Muet avait fait la démonstration que l'effet de tels dispositifs se fera sentir à moyen et long terme mais qu'il n'est pas garanti à court terme. Mais je ne souhaite pas me lancer dans une controverse qui tient de la guerre de religions.

Pour en revenir à Bpifrance, j'ai indiqué que l'activité de financement a été très dynamique, comme en témoigne l'essor spectaculaire – il a été de 35 % en 2014 – des prêts de développement, qui sont donc des prêts sans garantie de 7 ans assortis d'un différé de remboursement de 2 ans. Cette possibilité intéresse tout patron de PME ou d'entreprise de taille intermédiaire (ETI), car c'est une formule idéale pour moderniser un parc de machines ou des équipements et améliorer ainsi la productivité.

Le préfinancement du CICE a décollé : les engagements ont doublé et le financement de l'innovation par Bpifrance s'est établi à un milliard d'euros, en hausse de plus de 40 % par rapport à 2013. Mais l'on m'a signalé récemment que les conditions d'octroi du CICE auraient été compliquées et que Bpifrance refuserait d'aller vers les entreprises en difficulté – alors que, souvent, l'allocation du CICE permet de monter un tour de table. Nous vous ferons part de ce qu'il en est quand nous en saurons davantage.

La culture entrepreneuriale française rend la question de l'investissement de toutes la plus complexe. Nos entreprises ne sont pas spontanément portées à ouvrir leur capital ; comme dans les autres pays latins, on préfère rester en famille ou entre associés initiaux. Ces réticences ne se manifestent pas dans les pays anglo-saxons, où l'ouverture du capital est perçue comme un facteur de croissance évident. En revanche, les entreprises françaises disposent, en grande partie grâce à la CDC, d'une bonne structure de financement des fonds propres. Contrairement à ce que nous avons fait, l'Allemagne n'a pas constitué des fonds et des fonds de fonds, mais elle parvient à un résultat similaire par le biais des banques régionales. On ne dit sans doute pas suffisamment que 40 % du produit net bancaire allemand est fait par les banques d'investissement et les banques locales du secteur public. La forte interpénétration entre entreprises et banques locales fait que la question du renforcement des fonds propres ne se pose pas dans les mêmes termes en Allemagne et en France.

L'objectif d'investissement de Bpifrance pour 2014 était de 1,5 milliard d'euros, dont 500 millions d'euros réservés aux opérations exceptionnelles dans des grandes entreprises – ainsi aurions-nous pu être sollicités pour Alstom ou les opérateurs de télécommunication. Dans le milliard d'euros restant, 150 millions seulement des 200 millions d'euros prévus ont été consacrés à l'injection de fonds directs dans les PME ; 800 millions d'euros doivent aller aux ETI, dont 300 millions proviennent des fonds de fonds. Les résultats auxquels les fonds de fonds permettent de parvenir sont certes d'une faible lisibilité, mais en les alimentant on a doté la France d'un dispositif de financement des hauts de bilan et, en une dizaine d'années, la CDC a permis de structurer le marché puisque, sur 2 euros investis en fonds propres, presque 1,5 euro est un investissement public. La part de l'investissement privé est faible parce que les particuliers s'orientent vers l'assurance vie et l'épargne réglementée dont l'épargne logement, et parce que les compagnies d'assurance vie ne peuvent se risquer dans le système de production. J'ai déjà dit les arguments en faveur de la titrisation des créances des PME ; je ne les répéterai pas.

Un effort demeure en matière de couverture territoriale. La qualité d'une banque se mesure bien sûr à la qualité de ses directeurs d'agence et de ses directeurs régionaux mais les salariés doivent être en nombre suffisant et, lors du dernier comité de suivi, M. Nicolas Dufourcq a réclamé une dotation importante en personnel supplémentaire, pour répondre à un besoin patent. On notera d'autre part que beaucoup d'employés de Bpifrance, formés chez J.P. Morgan ou Goldman Sachs, ont une vision toute financière des dossiers qui leur sont soumis. Des efforts d'adaptation ont eu lieu, mais il y aura toujours une certaine dose d'incompréhension entre les parlementaires sollicités pour intervenir en faveur d'entreprises en grande difficulté et des banquiers qui, ne considérant ces sociétés que comme des canards boiteux, ne les voudront pas en portefeuille.

Enfin, la doctrine d'investissement de Bpifrance est la même qu'en matière de prêt : elle est exclusivement co-investisseur, à parité. Cela lui donne la qualité d'investisseur avisé, conçue pour éviter qu'elle ne prenne, seule, des risques inconsidérés en accueillant toute la misère du monde économique, mais c'est un facteur de plus grande difficulté encore que pour l'activité de prêt : que faire si Bpifrance, prête à investir, ne trouve pas de partenaire ? M. Nicolas Dufourcq et le directeur de la stratégie de la CDC s'accordent pour considérer que l'on mettrait beaucoup d'huile dans les rouages en utilisant le plan Juncker pour accorder la garantie gratuite des opérations de capital investissement aux co-investisseurs européens. Si cette idée aboutit, les choses iront mieux, mais elle sera difficile à mettre en oeuvre.

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