Intervention de Frédéric Lerais

Réunion du 2 octobre 2014 à 10h45
Commission d'enquête relative à l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Frédéric Lerais, directeur général de l'Institut de recherches économiques et sociales, IRES :

L'article que j'ai cosigné avec MM. Alain Gubian, Stéphane Jugnot et Vladimir Passeron sur « les effets de la RTT sur l'emploi » démontre que le processus de RTT a conduit à un enrichissement de la croissance en emplois. Il établit le constat, au regard de la valeur ajoutée, que la productivité horaire a été modifiée du fait de la modulation du temps de travail et des réorganisations mises en place, et que le montant de l'aide, au regard du surcoût représenté par la baisse de la durée de 10 % et le maintien des salaires, a permis de neutraliser la hausse des coûts salariaux. Ainsi, sans amélioration de la productivité, sans aides et sans modération salariale, le coût du travail horaire aurait augmenté de 11,4 %.

Cet article se fonde sur les estimations des modérations salariales et des effets sur l'emploi. Il montre que les montants financiers accordés, l'ampleur des baisses de la durée du travail – paramètre non négligeable de l'adaptation des entreprises, toutes n'ont pas baissé la durée de 10 % –, et les allègements se sont traduits par un équilibre, voire, pour les dispositifs « Aubry incitatif » et « de Robien », par un léger gain pour les entreprises.

Ce point est majeur, et le dispositif avait été pensé ainsi. Nous avons donc constaté qu'il n'y avait pas eu trop de dérives ex post. Je vous remettrai un document à ce sujet.

Par ailleurs, les aides avaient été calibrées à l'aune de deux éléments attendus en retour : la baisse du chômage et une évolution plus dynamique de la masse salariale. Néanmoins, dans la mesure où l'ampleur de la baisse de la durée du travail et des effets sur l'emploi a été probablement moins importante que les estimations initiales, cela s'est certainement traduit par un surcoût net, de l'ordre de 1 à 2 milliards d'euros.

La croissance du PIB et la croissance du PIB par tête ne sont intéressantes qu'à très long terme, sans compter que cette dernière ne donne pas d'indications sur la part des salaires dans la valeur ajoutée.

Selon une étude présentée en 2013 par Françoise Milewski au Conseil économique, social et environnemental sur le travail à temps partiel, la dynamique du temps partiel a été beaucoup moins importante après 1998. Plusieurs raisons expliquent cette rupture. D'abord, les allègements ont été proratisés équitablement, alors qu'auparavant ils favorisaient le développement du temps partiel. Ensuite, les négociations dans les entreprises ont amené des salariés travaillant à temps partiel à passer à temps complet, et la plupart de ceux restés à temps partiel ont vu leur durée maintenue, et non réduite de 10 %, ce qui a représenté un gain pour eux. C'est un des éléments qui expliquent que la baisse observée du temps de travail n'a pas été de 10 %.

D'après mes souvenirs, les emplois créés l'ont plutôt été en contrat à durée indéterminée. D'ailleurs, le dispositif offensif « Aubry 1 » prévoyait une prime pour les embauches en CDI. Je crois plutôt à l'effet réduction du temps de travail sur les temps partiels pour augmenter leur durée ou aboutir à des temps complets.

Je ne dissocie pas nombre d'heures et coût du travail. La baisse de la durée du travail n'aurait pas été possible si elle s'était traduite par un surcoût pour les entreprises. C'est bien pour cela que le dispositif, tel qu'il a été proposé, cherchait à garantir un équilibre entre modération salariale, allègements et baisse de la durée du travail.

Sur la période 1996-2002, la réduction du temps de travail a contribué de façon non négligeable à la forte réduction du chômage. Pour l'évolution à très long terme du chômage, l'insuffisance de la croissance et le dynamisme démographique auront un impact majeur. À plus court terme, la croissance est bridée en raison d'un manque d'investissements publics. Aussi une grande part du chômage et une partie du chômage conjoncturel s'expliquent-elles par la baisse de la demande, comme en témoignent les carnets de commandes des entreprises.

De mon point de vue, l'insuffisance de l'offre en France n'est pas due principalement au coût du travail, elle est due à un manque d'investissements, en particulier publics, et aux difficultés des petites entreprises à accéder à un système financier qui leur fasse confiance. Cette insuffisance de l'investissement depuis huit ans est très préoccupante, car les goulots de production rendront la situation très problématique au moment de la reprise économique. Notre pays ne soutient pas suffisamment la modernisation de son système productif.

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