Intervention de Général d'armée Denis Favier

Réunion du 21 mars 2016 à 14h00
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Général d'armée Denis Favier, directeur général de la gendarmerie nationale :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, merci de m'accueillir à nouveau. Je suis très heureux de pouvoir m'exprimer devant vous sur les adaptations que la gendarmerie a dû réaliser dans les mois qui viennent de s'écouler pour faire face à la menace terroriste.

Mes propos liminaires se limiteront à dresser quelques constats sur l'état actuel d'une menace que vous connaissez, qui a été définie ici à plusieurs reprises. Mon analyse vise surtout à vous exposer les conséquences que j'en tire en termes d'adaptation de mon dispositif.

Premier constat : nous sommes confrontés à une menace terroriste qui s'inscrit dans la durée. Notre adaptation ne peut donc pas être ponctuelle mais elle implique – il faut vraiment le souligner – une rénovation profonde de notre action.

Deuxième constat : cette menace terroriste latente, diffuse, est caractérisée par un faible coût des armes utilisées qui favorise le passage à l'acte, mais aussi par son lien avec la grande délinquance de droit commun. Cette caractéristique nous contraint à mieux combiner les opérations de police administrative et de police judiciaire. Il s'agit d'une priorité et des directives ont d'ores et déjà été données aux unités pour optimiser ce volet essentiel.

Troisième et dernier constat : aucun point du territoire national n'est préservé, ce qui nous oblige à avoir une approche globale pour l'ensemble du pays. La compétence de la gendarmerie s'étend sur 95 % du territoire national, une zone où réside une partie importante de la population mais où se trouvent aussi de nombreux sites sensibles : des centrales nucléaires, des usines de type Seveso, de grands centres commerciaux construits à la périphérie des villes, et la plupart des sites militaires sensibles, pour ne citer que quelques exemples emblématiques.

Une fois ces constats dressés, j'ai défini quatre domaines dans lesquels notre action devait être améliorée : le renseignement ; le contrôle des flux et en particulier des entrées sur le territoire national ; le maillage territorial des unités d'intervention, sujet au coeur de l'actualité et de vos préoccupations, qui fait l'objet d'une réflexion très avancée au ministère de l'Intérieur ; notre capacité de résilience, à développer en lien avec la réserve opérationnelle de la gendarmerie et une future garde nationale française.

Dans le domaine du renseignement, nous devons poursuivre le travail collectif déjà engagé et identifier les marges de progrès. La gendarmerie ne fait pas partie des six entités du premier cercle du renseignement et elle ne revendique pas d'en devenir membre. Les unités du premier cercle font leur travail et connaissent ce que j'appellerais du renseignement fermé. La gendarmerie nationale intervient dans le deuxième cercle, avec les unités de compétence générale de la police nationale, pour collecter et analyser le renseignement territorial.

Compte tenu de l'étendue de sa zone d'intervention, de ses 3 000 brigades, de ses 60 000 militaires de la gendarmerie départementale et de ses outils informatiques, la gendarmerie a les moyens de capter les signaux faibles dans le territoire, de les analyser et de les faire remonter. Mieux prise en compte que par le passé, et s'appuyant sur un système de traitement des données très performant (la BDSP : base départementale de sécurité publique), cette capacité se révèle aujourd'hui essentielle, au regard notamment du nombre d'individus présentant des signes de radicalisation.

Dans cet esprit, nous avons décidé de créer 75 antennes de renseignement territorial (ART) dans des villes dans lesquelles nous sommes en zone de pleine compétence. Ce dispositif innovant produit d'ores et déjà des résultats probants. À titre d'exemple, je citerais Lunel, une ville qui a connu de nombreux départs pour le djihad, et d'où nous remontent des renseignements de toute première qualité depuis dix mois, ce qui nous permet de conduire une action particulièrement positive.

Notre positionnement en la matière pourrait se résumer ainsi : ancrage dans le renseignement territorial et valorisation de cette chaîne ; présence dans l'état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT) qui a été constitué au sein du ministère de l'Intérieur après l'attentat de Saint-Quentin-Fallavier, à un moment où nous avons réalisé que certaines informations s'avéraient insuffisamment partagées. Cette structure, de taille réduite et où chacun des services est représenté, permet de fluidifier le partage des renseignements et de vérifier la réalité du suivi des personnes signalées et répertoriées au sein du fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Pour ma part, je considère qu'il s'agit d'une avancée très positive qu'il faut entretenir au cours des années à venir.

Deux pistes d'amélioration pourraient être explorées. D'une part, et à l'instar de notre présence au sein de la Direction du renseignement militaire (DRM), de la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) et de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), entités du premier cercle, je suis favorable au détachement de gendarmes au sein de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Il serait intéressant d'explorer cette piste au cours des prochains mois.

D'autre part, et afin de conforter le haut niveau de coopération entre le renseignement territorial et la gendarmerie, il me paraîtrait opportun de réfléchir au positionnement du Service central de renseignement territorial (SCRT).

Deuxième domaine d'améliorations possibles et qui, à mes yeux, est très important : le contrôle des flux. Depuis les attentats de janvier 2015, je considère que les points vulnérables de notre dispositif sont incontestablement les noeuds autoroutiers, les gares ferroviaires et les aéroports. Nous devons mieux contrôler, dans la profondeur du territoire, tous les axes qui convergent vers les villes et qui servent de vecteurs aux terroristes, qu'il s'agisse d'infrastructures routières, ferroviaires, portuaires ou aéroportuaires.

C'est la raison pour laquelle il faut notamment développer le système de lecture automatisée de plaques d'immatriculation (LAPI), qui serait encore plus performant si les données étaient collectées au plan national. Le système de traitement central de lecture LAPI (STCL) que je défends permettrait de détecter des mouvements de véhicules sur l'ensemble de nos axes routiers, mais il faudrait aussi faire évoluer les textes pour que nous puissions vraiment exploiter ces données. Quoi qu'il en soit, nous avons là un moyen de développer une action attendue de sécurisation du territoire national.

Dans ce domaine, nous pouvons également bâtir un engagement avec les armées, notamment dans le cadre du dispositif Sentinelle. À chaque fois que nous avons tenu des barrières de péages, ce que nous avons fait après le 13 novembre pendant plusieurs semaines, nous avons obtenu des résultats importants. De tels dispositifs contribuent à valoriser le sentiment de sécurité et sont de nature à dissuader les actions terroristes.

Dépassons le cadre du territoire national et élargissons un peu le périmètre d'observation. Je pense qu'il faut, d'une manière plus large, dans la même optique de contrôle des flux, avoir une réelle action aux frontières extérieures de l'Union européenne. C'est le sens du dispositif que nous sommes en train de mettre en oeuvre. Si l'on va au-delà, je pense que nous devons aussi porter un regard affûté sur les zones de départ des terroristes : l'Afrique, la Libye, les pays du pourtour Est de la Méditerranée. Nous avons là une action déterminante à conduire. C'est une action de police générale qui doit impliquer les unités de l'intérieur et sans doute aussi les armées. Ce faisant, nous pourrions développer une politique cohérente de contrôle des flux.

Troisième domaine : la doctrine et les schémas d'intervention. Les attentats de janvier et de novembre ont mis en évidence la nécessité de faire évoluer nos schémas et de rénover nos doctrines nationales, en distinguant différents niveaux d'intervention. Je prolonge aujourd'hui une analyse que j'avais déjà esquissée devant vous. Mettons à part l'intervention élémentaire, celles des primo-engagés qui arrivent sur un fait de nature gravissime et qui doivent le gérer comme on l'a toujours fait dans notre pays : en se positionnant, en observant, en ripostant, le cas échéant.

Nous devons travailler l'intervention intermédiaire, celle où nous avons une fragilité, selon le plan engagé par le ministre, qui implique les brigades anti-criminalité (BAC) et les pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG). Avant l'intervention des unités du haut du spectre que sont les service de Recherche, assistance, intervention, dissuasion (RAID) et le Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), certaines unités doivent être capables d'engager le feu dans les quelques minutes qui suivent un début de tuerie planifiée. Nous devons développer de telles unités, en province notamment, en les dotant d'une puissance de feu renforcée, d'équipements de protection adaptés, et d'aides à la visée. Nous sommes en phase de montée en puissance dans ce registre et la gendarmerie aura atteint sa première cible au cours de l'été prochain : 50 PSIG « SABRE », répartis sur le territoire national, nous permettront ainsi de disposer d'une telle capacité intermédiaire.

Le GIGN et le RAID, les unités centrales spécialisées, doivent avoir des bras armés en province. La gendarmerie a trois antennes en province – à Toulouse, Orange et Dijon – auxquelles vont s'ajouter celles de Nantes, Tours et Reims dans le courant de l'année 2016. Ces unités sont en cours de formation et nous aurons à terme un dispositif assez solide, y compris outre-mer, puisque tous les départements et collectivités territoriales sont concernés. Nous allons notamment créer une antenne du GIGN à Mayotte, territoire sur lequel j'ai souhaité renforcer le dispositif d'intervention existant.

Voilà pour la théorie en matière d'intervention, mais nous devons également faire aboutir le schéma national d'intervention, qui fait l'objet d'importants débats. Nous devons notamment redéfinir ce que sont les unités du haut du spectre et ce qu'elles savent faire. Dans le cadre du schéma national d'intervention, nous avons listé des capacités qui font la différence en termes de contre-terrorisme. Nous avons également recensé les capacités des unités sur la base de déclarations ; il nous appartient à présent de vérifier leur existence réelle afin d'affiner le schéma national d'intervention.

Ce schéma, en cours de finalisation, rappelle les principes : l'unité concernée au premier chef est celle qui relève de la zone de compétence de la force considérée. Mais si cette dernière rencontre un problème technique ou si elle ne maîtrise pas une capacité nécessaire, une unité extérieure peut venir en force concourante. Ce schéma d'intervention me semble constituer une avancée considérable.

En matière d'intervention, la gendarmerie consent un effort important envers des groupes étrangers amis, notamment dans la bande sahélienne où nous devons nous déployer. Pour y être allé régulièrement, je considère qu'il y a là des menaces considérables, un besoin d'aide. Je préconise de reprendre la formation dans les cinq pays de l'arc sud sahélien – (la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad) – et le Sénégal ainsi que la Côte d'Ivoire, afin de les aider à faire face aux menaces auxquelles ils sont aujourd'hui confrontés et que nous pourrons avoir à affronter demain.

Quatrième domaine : la résilience et le rôle de la réserve de la gendarmerie. La réserve est un outil exceptionnel, constitué de 25 000 hommes et femmes, dont 70 % de personnes âgées de vingt-cinq à quarante ans et qui, en complément de leur activité professionnelle, viennent travailler en gendarmerie pour contribuer à leur propre sécurité, là où ils vivent. Ce concept, qui fonctionne vraiment très bien, me permet de faire travailler 1 500 réservistes chaque jour, de renforcer la couverture du territoire, de collecter du renseignement, d'affirmer une présence de l'État, et de rassurer nos concitoyens. Il est possible d'aller encore plus loin en sollicitant notamment les réservistes pour la sécurité quotidienne, je pense aux écoles et aux hôpitaux. Cette piste de réflexion mériterait d'être creusée. Le succès de la réserve s'explique par son ancrage dans les territoires qui nous permet de faire travailler les gens pendant des périodes très courtes, parfois de vingt-quatre heures seulement.

Voici en quelques mots, Monsieur le président, ce que je voulais dire pour lancer les débats. Je suis bien sûr à votre disposition si vous souhaitez approfondir certains sujets notamment en ce qui concerne les équipements utilisés dans le cadre du plan de lutte antiterroriste du début de l'année ou du pacte de sécurité de fin d'année.

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