Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, je vous propose que nous en venions à présent aux concessions de distribution électrique qui ont fait, quant à elles, l'objet d'une insertion au rapport public annuel de 2013. Cette étude porte sur des données de 2011 et du début de l'année 2012, mais celles-ci ont peu évolué depuis cette date, sauf sur certains points – j'y reviendrai.
Quelques constats d'abord. Le système de concession de distribution électrique est ancien – les textes fondateurs datent de 1884, 1904, et 1946 pour la loi de nationalisation – et il n'a guère évolué, si l'on excepte la filialisation d'ERDF. C'est un système dérogatoire au droit commun des concessions de service public en raison du monopole concédé à ERDF – qui représente 95 % du réseau, les 5 % restants revenant aux entreprises locales de distribution – et, surtout, de l'application d'un tarif national unique. C'est sur ce point que notre sujet rejoint vos préoccupations, puisque ce tarif, le Tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE), est une des composantes essentielles du coût de l'électricité pour les particuliers et les entreprises. Ce système est également dérogatoire en ce que la répartition des travaux entre autorité concédante et concessionnaires est assez précisément fixée par la loi, cette répartition variant selon que l'on se trouve en zone urbaine ou en zone rurale, dans un dispositif somme toute complexe qui pose quelques problèmes d'application. Ce système est enfin éclaté, puisqu'on dénombrait encore en 2012 756 concessionnaires, bien que, je le rappelle, la loi de 2006 ait encouragé leur regroupement au niveau départemental.
Un tel dispositif présente néanmoins un avantage évident, celui de la péréquation, puisque le tarif unique permet de financer les concessions déficitaires par les concessions excédentaires. En outre, il paraît globalement pérenne, notamment par rapport à la réglementation communautaire, puisqu'à aucun moment les directives européennes n'ont mis l'accent sur l'ouverture à la concurrence des réseaux de distribution, préférant donner la priorité en la matière à l'amont, la production, et à l'aval, la commercialisation. Cependant, il faut souligner que la plupart des concessions arriveront à échéance entre 2020 et 2025 ; le sujet sera donc forcément à l'ordre du jour au niveau national.
Si ce système est consolidé et efficace, il n'en pose pas moins quelques problèmes, notamment en matière de financement des investissements. Je rappelle que ceux-ci s'élèvent à 4 milliards d'euros, dont 3 milliards pour ERDF et 1 milliard pour les autorités concédantes, c'est-à-dire les collectivités territoriales et leurs groupements. Ce montant augmentera inévitablement et rapidement, pour plusieurs raisons. La première tient au développement des énergies renouvelables. En effet, la distribution comprend à la fois la sortie et l'entrée, et la plupart des énergies renouvelables sont branchées directement sur le réseau de distribution d'ERDF, et non en amont, sur le réseau de transport de RTE. La deuxième raison tient à la croissance démographique et à l'étalement urbain, qui obligent ERDF à étendre régulièrement son réseau. Une troisième raison tient à la généralisation du compteur communicant Linky, qui représente un investissement d'au moins 5 milliards d'euros – certains évoquent la somme de 7 milliards d'euros – et qui passera de toute façon par le TURPE. Enfin, le développement inéluctable du véhicule électrique risque, en fonction de son mode de fonctionnement et de son rythme de croissance, d'avoir un impact très important sur le degré de charge du réseau de distribution d'ERDF.
Or, la politique d'investissement d'ERDF a été assez variable, pour des raisons qui relevaient moins de l'opérateur que de la politique du groupe EDF. Entre 1992 et 2005, celui-ci a en effet donné la priorité à son développement international, au détriment de la distribution et de la maintenance des centrales nucléaires. Les investissements d'ERDF ont ainsi été divisés par deux, accumulant un retard qui s'est du reste traduit par une dégradation de la qualité de la prestation et de l'énergie distribuée. Depuis, l'investissement a retrouvé un niveau normal, puisqu'il s'établit à 3 milliards d'euros, mais il ne permet pas de financer le développement de Linky ni peut-être – mais cela n'a pas encore été véritablement évalué – celui du véhicule électrique.
Se pose également un problème de gouvernance. Le dialogue au plan local entre ERDF et les autorités concédantes est en effet souvent difficile. Les obligations d'ERDF sont assez peu claires, notamment en matière d'évaluation des actifs, concession par concession. Par ailleurs, le système est peu régulé. La Commission de régulation de l'énergie contrôle ERDF en amont, mais beaucoup moins que RTE. Par exemple, elle n'a pas de pouvoir de contrôle de la politique des investissements, alors qu'elle approuve le plan de financement de RTE. Ce dispositif est conforme aux directives communautaires, mais une telle différence de traitement s'explique difficilement.
Se pose enfin le problème, complexe, du mode de calcul du TURPE. Le Conseil d'État a annulé, fin 2012, le TURPE 3 pour des motifs liés au mode de calcul du coût pondéré du capital par rapport à la base d'actifs régulés d'ERDF. C'est un élément d'incertitude très important pour les investisseurs, mais la loi de transition énergétique devrait y remédier – j'y reviendrai.
Forte de ces constats, la Cour a notamment recommandé d'accélérer le regroupement des autorités concédantes, d'établir une programmation locale des investissements, de mettre en place un dispositif de contrôle des investissements d'ERDF afin d'éviter au groupe EDF d'avoir à trancher entre ses différentes priorités et, à plus long terme, de s'interroger sur l'évolution du modèle de la distribution d'électricité.
Pour conclure, je veux souligner que le projet de loi de transition énergétique en cours d'examen au Sénat comporte trois dispositions qui s'inscrivent dans la logique des préconisations de la Cour. La première vise à régler le problème du mode de calcul du TURPE en choisissant clairement le modèle économique plutôt que le modèle strictement comptable. Les deux autres dispositions prévoient, pour la première, le pilotage des investissements, avec la création d'un comité du système de distribution publique d'électricité chargé d'examiner la politique d'investissement d'ERDF, au sein duquel siégeraient des représentants des autorités concédantes et, pour la seconde, la présence d'un représentant des autorités concédantes au conseil d'administration d'ERDF.