Intervention de Bruno Sido

Réunion du 17 décembre 2014 à 16h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Bruno Sido, sénateur, premier vice-président, rapporteur :

–Mme Anne-Yvonne Le Dain et moi-même avons aujourd'hui le plaisir de vous présenter le projet de rapport sur le risque numérique dont vous nous avez confié l'élaboration.

C'est à partir d'une saisine de la commission des Affaires économiques du Sénat que nous avons entrepris une étude de faisabilité adoptée le 16 avril 2014.

Cette saisine faisait elle-même suite à une journée d'auditions publiques organisées conjointement par l'OPECST et la commission des Affaires étrangères et de la Défense du Sénat au mois de février 2013. Ce jour-là, l'audition publique avait été scindée en deux parties, l'une relative au risque numérique militaire et l'autre au risque numérique civil.

Nous comptions donc réaliser notre rapport en approfondissant la question du risque numérique civil mais il nous est rapidement apparu que, en matière de risque numérique, la distinction entre le civil et le militaire était artificielle compte tenu justement de la nature du numérique qui est présent partout.

Au terme d'une centaine d'auditions comprenant trois journées d'auditions publiques et des déplacements à Bruxelles et en province, notamment pour visiter le centre de haute sécurité de la Direction générale pour l'armement et le laboratoire de haute sécurité de l'INRIA, vos rapporteurs ont établi une douzaine de constats sur la situation de la sécurité numérique et procédé à des choix pour mener à bien leur étude.

Au début de celle-ci, nous avons pris soin de rencontrer le président de la commission des Affaires économiques du Sénat, M. Daniel Raoul, aujourd'hui de retour à l'OPECST ce dont nous nous réjouissons.

Nous lui avons indiqué que nous centrerions notre réflexion sur les opérateurs d'importance vitale, c'est-à-dire les entreprises dont le fonctionnement ne doit en aucun cas être interrompu, notamment du fait d'une défaillance de leur système d'information numérique.

Ces entreprises sont d'ailleurs soumises à des directives nationales de sécurité (DNS) qui leur imposent des obligations extrêmement précises. La loi de programmation militaire de 2013 les a renforcées.

L'angle d'attaque pour aborder l'étude à partir des opérateurs d'importance vitale s'est révélé intéressant pour le raisonnement mais conduisait aussitôt à replacer l'ensemble des activités desdits opérateurs dans la chaîne de sécurité qu'ils constituent avec leurs fournisseurs, leurs sous-traitants, leurs clients et leurs personnels.

En outre, pour être tout à fait complet, au moment où le Gouvernement annonçait un ambitieux projet de loi sur le numérique, il n'a cependant pas attendu le dépôt de celui-ci pour prendre, d'une part, comme déjà indiqué, dans la loi de programmation militaire, en 2013, des initiatives relatives justement aux opérateurs d'importance vitale et, d'autre part, pour élaborer, au cours de l'été 2014, des mesures relatives à la sécurité numérique concernant les administrations.

Ce qui montre que le Gouvernement comme nous-mêmes avons été conduits à effectuer des analyses rigoureuses sur les différents secteurs pour finalement constater que tout se recoupe et que la sécurité numérique, voire la sécurité tout court, ne peuvent être assurées qu'à partir de mesures reliées entre elles.

Par quelque bout que l'on considère la question, il est impossible de ne pas voir dans les ramifications du numérique le système nerveux de la société et des individus qui la composent, d'où l'impossibilité de scinder artificiellement les préoccupations de sécurité en divers segments d'études.

C'est bien ce qu'ont vu, en premier, les attaquants des systèmes numériques. À l'heure où notre pays se trouve placé sous les dispositions du plan Vigipirate à un très haut degré – dit « écarlate » –, le thème d'étude de l'OPECST ne peut qu'être au coeur des préoccupations de tous les parlementaires.

Pour relancer ce défi, depuis quelques années, des dispositifs ingénieux ont été imaginés et des moyens réels en hommes et en moyens ont été accordés. Par exemple, en 2009, l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'informations (ANSSI) a été créée.

Mais je dois préciser, dès l'abord, que des dispositifs étaient déjà en place et que, maintenant, ce n'est pas en accordant toujours davantage de compétences à l'ANSSI ni en portant ses effectifs de trois cents à mille ou à trois mille – seuils qui ne sont d'ailleurs nullement envisagés –, qu'on résoudrait les questions posées par les failles de la sécurité numérique et qu'on parerait aux attaques dont elle est l'objet.

En effet, cette question transversale suppose l'acquisition, par l'ensemble de la société, d'une culture du numérique et d'une éducation initiale et continue à la hauteur des services rendus par cette technique, en dépit des fragilités qu'elle recèle.

Depuis le début de mon propos et surtout à la suite de la vidéo que vous venez de regarder, vous vous demandez peut-être si vos rapporteurs n'ont pas cédé à quelque alarmisme. Je vous rassurerai en disant que nous avons d'abord souhaité démontrer, dans une analyse que l'on a voulu extrêmement fouillée, le mécanisme de transmission des messages et les fragilités, souvent de conception, des matériels, des réseaux, des services et des diverses applications numériques.

À un moment donné, il nous est apparu que les imperfections constatées peuvent constituer également des chances et c'est cet aspect que Mme Anne-Yvonne Le Dain va maintenant développer pour vous montrer la face optimiste de l'analyse de vos rapporteurs.

Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, rapporteur. – Au fur et à mesure des auditions, une idée m'a de plus en plus préoccupée : comment tirer parti d'une difficulté, d'une inquiétude, d'un mal éventuel et, en l'occurrence, en matière d'insécurité numérique, comment faire de l'économie avec du droit ? À partir du droit national, du droit européen et même du droit international.

Il se trouve que la France possède de nombreux atouts en ce domaine, tant en matière de logiciels et de matériels qu'en matière de connaissances, notamment grâce à l'École française de mathématiques qui a été à l'origine d'une grande tradition en matière de cryptologie et de cryptographie. S'y ajoutent les ressources des universités, des centres de recherche de la Direction générale de l'armement, du CNRS ou de l'INRIA, pour ne citer qu'eux. Elles devraient permettre de conforter les entreprises oeuvrant en ces domaines et, surtout, de faire en sorte que de nouvelles initiatives puissent naître sans être récupérées aussitôt par nos concurrents principaux, à savoir les États-Unis d'Amérique au moment où l'Union européenne est en train de négocier un accord commercial transatlantique.

Dans le monde du numérique, beaucoup de dispositifs sont en autorégulation alors que, au niveau national comme au niveau international les enjeux économiques sont considérables. Les entreprises nord-américaines, les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) agissent à ce niveau et sont extrêmement présentes, y compris à Bruxelles où se bâtit le cadre de l'économie numérique du XXIème siècle. L'enjeu est colossal. Le numérique touche tout, dans la vie personnelle comme dans la vie professionnelle de chacun, les personnes physiques comme les personnes morales.

Pour mettre en valeur les atouts français, il faut se débarrasser de préjugés et d'attitudes routinières. Par exemple, les préjugés associés à l'image des hackers qui peuvent également être employés fort utilement pour devenir, non pas des pirates, mais des corsaires au service des institutions qui les emploient.

On voit bien qu'il s'agit actuellement d'un enjeu absolument stratégique et c'est ce qui a motivé la rédaction de ce rapport.

À ce stade de notre travail, nous avons auditionné beaucoup de monde et accompli beaucoup de travail avec le président Bruno Sido, et je pense que les cent quarante recommandations qui vous sont proposées sont tout à fait importantes, mais qu'il serait pertinent, sur la base du document, qui représente un énorme travail, dont je remercie les administrateurs, de consacrer encore un peu de temps pour réécrire, reformuler, revoir la manière dont les choses sont dites ;pour communiquer de manière plus efficace dans un contexte où, en ce moment, entre l'Union européenne et les États-Unis d'Amérique, et dans les relations internationales en général, les enjeux dans ce domaine sont considérables.

Il serait souhaitable de prendre encore deux à trois semaines après les vacances pour revoir un certain nombre de finalités, pour reformuler, reclasser et donner des priorités en ce domaine. L'enjeu est essentiel ; on a pu le mesurer en entendant énormément de monde, en se posant la question de la protection des données individuelles et personnelles dont les volumes ont explosé.

Au moment de la décision de lancer la présente étude, l'affaire Snowden n'était pas encore sur la table et le piratage du portable de la chancelière allemande n'était pas encore connu. Nous avions anticipé. Maintenant, l'environnement national et international a encore évolué et il serait essentiel de prendre un peu de temps pour reformuler un certain nombre de choses. Je vous remercie.

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